Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта (книги полностью TXT) 📗
Tu n'as rien a y faire ce soir ! Il ne rentrera que demain avec le roi. Tu ne vas pas te mettre a courir les rues, des cette nuit, pour le seul plaisir de contempler une porte close, meme ornee de la figure de saint Crepin. Va donc te coucher. Je vais te porter un souper leger et ensuite tu dormiras.
Demain, il faut etre belle et fraiche.
Joignant le geste a la parole, Sara devetit sa maitresse en un tournemain, l'affubla d'une longue chemise plissee et la fourra au lit sans plus de ceremonie que si elle etait encore une gamine de quinze ans. Apres quoi, satisfaite, elle se planta devant elle les poings sur les hanches, goguenarde.
— Va falloir perdre ces habitudes de bohemienne que tu as prises depuis quelque temps, ma belle. Nous sommes maintenant redevenue une dame, une vraie. Et il faudra aussi compter avec Madame la Reine qui ne doit pas aimer beaucoup que ses dames d'honneur courent le guilledou apres la nuit tombee.
La robe que la dame de La Tremoille fit porter, des le matin, chez Catherine etait reellement tres belle et la jeune femme, a toucher le magnifique tissu, ne put retenir un frisson sensuel. Il y avait bien longtemps que ses doigts n'avaient palpe un veritable , brocart milanais, encore que la couleur ne l'enthousiasmat pas tellement. C'etait un somptueux assemblage d'oiseaux fantastiques, des aigles surtout, d'azur et de pourpre sur un fond d'or tisse. Catherine, pour son gout, en trouvait les nuances un peu trop vives mais l'ensemble etait gai et fastueux.
— Comment me trouves-tu ? demanda-t-elle a Sara une fois vetue. Est-ce que je n'ai pas un peu l'air d'une enseigne de teinturier ?
Sourcils fronces, bouche serree, Sara hocha la tete.
— A toi, tout va. C'est un peu vif mais joli tout de meme.
Malgre cet avis favorable, Catherine ajouta a sa toilette une gorgerette de fine mousseline plissee dont le decollete de la robe, reellement excessif, menacait a tout moment de liberer completement ses seins et une voix interieure soufflait a Catherine que la reine Yolande n'apprecierait peut-etre pas un aussi spectaculaire etalage de chair. Le son lointain d'une trompe l'arracha a la contemplation de son miroir. Elle se hata d'enfoncer sur sa tete le hennin assorti a la robe, piqua les epingles un peu au hasard et se rua vers la porte.
— J'entends le cortege ! cria-t-elle a Sara. Il faut que j'aille au chateau.
En effet, le son se rapprochait, annoncant le roi, Jehanne et leur nombreuse escorte. Catherine, un peu hors d'haleine, rejoignit le cercle des dames de la reine juste comme les trompettes d'avant-garde franchissaient la porte Royale. Elle alla se placer aupres de Mme de Gaucourt. Consciente de l'effet qu'elle produisait, elle nota le sourire un peu amuse de la reine, les chuchotements des autres dames et le sourire eclatant de la dame de La Tremoille, toute vetue de satin fauve et blanc. La longue habitude qu'elle avait des cours et de leurs curiosites lui fut d'un grand secours pour faire bonne contenance. Puis, comme la brillante cavalcade mettait pied a terre sur la terrasse du logis royal, elle oublia tout. Elle vit le roi et Jehanne qui chevauchaient cote a cote mais surtout, derriere l'armure blanche de la Pucelle, une autre armure, noire celle-la, et certain casque surmonte d'un epervier qui fit battre son c?ur tres vite. Arnaud semblait bien integre a la suite de Jehanne, desormais. Il la suivait de pres et, a cote de lui, Catherine reconnut Xaintrailles, La Hire et Jean d'Aulon.
Le roi, bien que son regard se fut attarde pensivement sur elle, n'interessa Catherine que tres peu. Elle fut meme decue de lui trouver si petite mine.
Mince, pale et grele avec un visage morose aux lignes tout en longueur, un nez tombant et des yeux globuleux, sans eclat et quasi sans vie, il semblait porter sur ses epaules etroites le poids d'une eternelle inquietude. Ses robes de velours paraissaient trop grandes pour lui et le grand chapeau de feutre aux bords retrousses qu'il portait l'ecrasait quelque peu. Derriere lui venait un enorme seigneur, incroyablement cousu d'or et de pourpre, sous un fantastique chaperon plus complique qu'un turban et que Catherine prit pour un musulman. Avec sa barbe brune, son large visage et ses gestes onctueux, avec surtout le luxe etourdissant qu'il affichait, celui-la ressemblait a un sultan. En voyant la dame de La Tremoille se jeter dans ses bras courts, Catherine comprit que c'etait la son seigneur et maitre, Georges de La Tremoille. Mais il avait tellement grossi, depuis qu'elle l'avait vu a la Cour de Philippe, qu'elle ne l'aurait pas reconnu ! Il semblait d'ailleurs plus vaniteux et plus inquietant que jamais : le digne matou soyeux de la belle chatte rousse !
Tandis que la societe entrait au chateau pour la collation, Catherine sentit une main la tirer en arriere, se retourna et se trouva en face d'Arnaud qui la regardait severement.
— D'ou tenez-vous cette robe ? fit-il brutalement sans meme prendre la peine de la saluer tandis que son doigt, accusateur, designait la toilette de la jeune femme.
— J'aimerais savoir en quoi cela peut vous interesser ! repliqua-t-elle vivement. Est-ce parce que vous servez une femme que vous vous interessez a la toilette ?
Puis, avec un sourire moqueur, elle ajouta :
— Vous ne me ferez pas croire que l'on parle tellement chiffons dans l'entourage de Jehanne !
Arnaud haussa les epaules, rougit legerement.
— Je n'ai que faire de vos appreciations. Repondez ! D'ou vient cette robe?
Catherine avait bonne envie de l'envoyer promener. Pourtant, il y avait dans le ton agressif du capitaine quelque chose d'inhabituel qu'elle ne put definir mais qui la poussa a lui obeir.
— Madame de La Tremoille me l'a fait porter ce matin pour me permettre de figurer convenablement a l'entree du roi. Tout ce que je possede actuellement ne depasse guere la toilette bourgeoise...
— Qui eut cent fois mieux valu en l'occurrence ! Toute la Cour connait cette robe que Madame de La Tremoille a portee plusieurs fois et qui est faite a ses couleurs. Vous obliger a vous en affubler, c'est vous enroler, aux yeux de tous, parmi les clients des La Tremoille. Ma parole, c'est presque une livree dont on vous a accoutree ! Et je me demande ce qu'en pense la reine Yolande. Ignorez-vous que La Tremoille est son pire ennemi et qu'il n'est pas un seul parmi les vrais amis du roi qui ne souhaiterait l'etouffer dans sa graisse pour les mauvais conseils qu'il donne a notre Sire ? Il est, en outre, l'ennemi mortel du connetable de Richemont1 et j'ajoute qu'il est, bien entendu, celui de Jehanne par-dessus le marche. Vous voila fixee.
Catherine se sentit rougir, furieuse d'etre tombee sans le savoir dans ce panneau stupide qui, une fois de plus, la rendait suspecte aux yeux d'Arnaud.
— J'ignorais tout cela ! fit-elle sincerement. Comment aurais-je su ? Je ne suis arrivee qu'hier et ne connais rien de cette Cour...
— Alors, vous constaterez vite qu'elle est exactement semblable a celle de votre grand ami, le duc
1. Bien que beau-frere de Philippe le Bon, Arthur de Richemont, par loyalisme, etait devenu connetable de France en 1425 et servait Charles VII.
Philippe. Memes intrigues, memes mensonges, meme rapacite et memes coups de griffes caches sous les sourires. Allez oter cette robe si vous tenez a l'estime de la reine Yolande.
Il tournait deja les talons pour rejoindre Xaintrailles quand Catherine le retint d'une main timidement posee sur son bras.
— Arnaud, murmura-t-elle en levant sur lui son beau regard lumineux de tendresse. C'est votre estime seule qui compte a mes yeux. Etes-vous donc decide a me hair toute votre vie... ?
Pour la toute premiere fois dans l'histoire tumultueuse de leurs relations, il ne se facha pas mais detourna la tete, peut-etre pour echapper a la trop douce magie des yeux qui l'imploraient. Sans brutalite, il detacha la main posee sur son bras.