Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта (книги полностью TXT) 📗
Malgre le sentiment du danger couru, Catherine ne put se taire.
— Jehanne n'est pas condamnee, que je sache !
Le bourreau haussa les epaules, indifferent.
— Que voulez-vous que je vous dise ? On m'a donne des ordres, je les execute. Je peux compter sur vous, maitre Son ?
— Ca sera fait ! repondit le maitre macon sans parvenir a dissimuler tout a fait le tremblement de sa voix. Bonsoir !
— Bonsoir !
Quand il fut sorti, tous resterent figes sur place, meme Margot qui, sa marmite dans les mains, regardait d'un air stupide la porte par laquelle le bourreau etait sorti. Au bout d'un instant seulement, elle vint poser sa charge sur la table, se signa vivement.
— Pauvre fille ! fit-elle. Le bucher... c't'une mort affreuse !
Tard dans la soiree, longtemps apres que se fut termine le plus silencieux de leurs soupers communs, les habitants de la maison de la rue aux Ours retrouverent dans le cellier frere Isambert et frere Etienne, revenu le soir meme d'une mission a Louviers. Le dominicain et le cordelier etaient d'une gravite de mauvais augure. Leurs visages creuses de rides montraient une profonde tristesse.
Non, elle n'est pas condamnee, expliqua frere Isambert a la question d'Arnaud, mais peu s'en faut. Jeudi, elle doit etre conduite au cimetiere de l'abbaye Saint-Ouen pour y etre publiquement admonestee et pressee d'abjurer ses fautes, de se soumettre a l'Eglise... telle qu'elle est si miserablement representee ici, c'est-a-dire a maitre Cauchon. Si elle refuse, on la jette au feu ; si elle accepte...
— Si elle accepte ? repeta Nicole.
Le moine haussa ses maigres epaules sous le froc blanc et le manteau noir qui le vetaient. Son visage emacie se tendit :
— On devrait, normalement, la remettre a un couvent pour y etre gardee et y subir la penitence qu'il plaira au tribunal de lui infliger. Mais je sens qu'il y a la un piege, que Cauchon prepare quelque chose. Il a trop souvent promis a Warwick que Jehanne mourrait.
Tandis que chacun pesait, au fond de son esprit, les paroles du moine, maitre Son avait tire de sa poche un rouleau de parchemin qu'il etalait sur un tonneau. Pour l'empecher de se rouler a nouveau, il posa dessus un chandelier de fer puis lissa de la main la peau craquante et brunie par le temps. Alors que tous les autres affichaient une mine sombre, lui- meme avait l'air curieusement satisfait. Sa femme le remarqua.
— On dirait que ce que vient de dire frere Isambert te fait plaisir ?
— Beaucoup plus que tu ne crois car j'entrevois une possibilite serieuse de sauver Jehanne. Ceci, ajouta-t-il en designant son parchemin, est un plan tres ancien de l'abbaye Saint-Ouen, dont, entre parentheses, j'ai aussi l'entretien. Et ce plan est, selon moi, d'un interet capital. Venez plutot voir...
Ils se masserent autour de lui, penchant au-dessus de ses epaules leurs visages avides. Longtemps, Jean Son parla, a voix contenue.
Afin d'etre sure de pouvoir se placer ou Jean Son et Arnaud le lui avaient prescrit, Catherine avait gagne, tot dans la matinee, le cimetiere de l'abbaye Saint-Ouen. Elle devait se tenir sur les marches d'un calvaire a demi ecroule, face aux tribunes preparees pour les juges et au petit echafaud sur lequel Jehanne allait prendre place. Non loin de la, entre les tribunes et le portail sud de l'eglise Saint-Ouen, se dressait sinistrement le bucher edifie la veille par le maitre macon, croulant sous les piles de fagots. Nicole, peu apres, s'installa avec une bande de commeres endimanchees sous l'une des galeries de bois qui entouraient l'enclos des morts et dans les toitures desquelles s'entassaient les vieux ossements des corps deja releves. On appelait cela un charnier. Le cimetiere s'emplissait rapidement, la douceur du temps et la curiosite ayant fait sortir presque tous les Rouennais de chez eux. La plupart devaient voir Jehanne pour la premiere fois en cette occasion.
Bientot, Catherine reconnut Arnaud. Vetu de son costume noir, etrique et rape, le dos rond, la tete cachee par un vaste chaperon vert sombre, il s'installa aussi pres que possible de l'echafaud prepare pour Jehanne, juste derriere les cordons d'archers anglais. Ceux-ci formaient, avec leurs piques tenues en travers, une barriere solide, mais tout de meme possible a renverser pour un homme aussi vigoureux que le capitaine. Les autres conjures devaient etre a leur place : Jean Son dans le beffroi de la ville et frere Etienne a l'interieur de l'eglise Saint-Ouen.
Le plan concu par le macon etait d'une grande simplicite. Dans les vieux plans de l'eglise, il avait decouvert, plusieurs annees auparavant, l'existence d'un souterrain joignant la campagne qui aboutissait sous une dalle de la vieille crypte romane. Sans trop savoir pourquoi, il n'en avait jamais souffle mot a personne et s'en felicitait maintenant. Il savait exactement sous quelle dalle ouvrait l'antique escalier et, tandis que ses ouvriers elevaient le soubassement de platre commande par le tribunal, il avait, sous couleur d'examiner les piliers de la crypte, descelle la dalle et indique a frere Etienne le moyen de la lever sans peine. Le costume de cordelier du moine lui permettait d'entrer de jour comme de nuit dans n'importe quelle eglise sans que personne s'en etonnat. Pour le moment, il devait etre en prieres dans la crypte, attendant qu'Arnaud lui amenat la fugitive.
Les consignes distribuees portaient que l'on ne devait pas bouger avant la sentence. A ce moment, deux eventualites pouvaient se presenter : ou bien Jehanne s'en remettait au jugement de l'Eglise et serait confiee a des nonnes, ou bien elle refusait et serait donnee au bourreau. Dans l'un et l'autre cas, Catherine devait a ce moment precis entrer en convulsions, jouant la femme hysterique, et Nicole, sous couleur de lui porter secours, devait accroitre la confusion dans le cimetiere. D'autre part, Jean Son, poste dans le beffroi de la ville d'ou il pouvait voir et surtout entendre les hurlements stridents que les deux femmes avaient mission de pousser, mettrait en branle, au meme moment, les deux cloches d'alarme, Rouvel et Cache-Ribaud dont la voix formidable avait toujours, au cours des siecles, appele les gens de Rouen a la defense ou a la revolte. Ce tocsin inattendu acheverait de creer un tumulte et une agitation suffisants pour permettre a Arnaud, avec l'aide de frere Isambert qui n'etait jamais loin de Jehanne, d'arracher la prisonniere a ses gardes et de la jeter dans l'eglise. Avec un homme comme Cauchon, le droit d'asile ne jouerait sans doute guere mais il suffirait de gagner deux ou trois minutes sur les poursuivants pour que la dalle se fut refermee sur Jehanne.
Avant que les Anglais aient trouve le point de la fuite, la Pucelle et ses sauveteurs seraient dans la campagne et rejoindraient, apres la chute du jour, La Hire qui s'avancerait avec un detachement aussi pres que possible de la ville. Revenue de son malaise apparent, il serait facile a Catherine de rejoindre peu apres les fugitifs...
Le public emplissait maintenant le cimetiere, et le calvaire auquel s'appuyait Catherine etait battu par une mer humaine qu'heureusement elle dominait sans peine. La-bas, pres des tribunes, une vague d'acier herissee de piques signala un detachement de soldats, puis la tribune des juges s'emplit de robes noires et blanches sur lesquelles tranchait le violet pourpre de l'eveque. De loin, il parut enorme a Catherine, ses grasses epaules rechauffees, malgre la douceur du temps, d'un camail d'hermine sur lequel tranchait grotesquement l'ecarlate de son visage. Haut dans le ciel, traverse du vol noir et blanc des hirondelles, le tintement du glas tomba lourdement de la tour ciselee de l'eglise. Catherine, le c?ur etreint d'une soudaine angoisse, vit arriver le bourreau et ses aides puis, encadree de soldats, une mince silhouette vetue de noir.
Quand Jehanne apparut sur l'echafaud qui lui etait reserve, un long murmure traversa la foule, murmure ou entrait beaucoup de pitie.