Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта (книги полностью TXT) 📗
l'autre. Il flairait la un mystere et cherchait a l'eclaircir.
— Le bourreau vous mettra d'accord, fit-il avec un rire enroue. Mais si vous me disiez votre nom, je verrais peut-etre plus clair. Etes-vous, comme Madame de Brazey, un transfuge de Bourgogne ?
Un indescriptible mepris crispa tous les traits d'Arnaud.
Moi ? Un Bourguignon ? Tu m'insultes, eveque ! Je n'ai plus rien a perdre a te dire mon nom. Il te servira du moins a comprendre que je n'ai rien de commun avec cette folle. Je m'appelle Arnaud de Montsalvy et je suis capitaine du roi Charles ! Elle est bourguignonne... Les siens, au temps de la Caboche, ont tue mon frere. Et tu voudrais que je lui sois lie en quoi que ce soit ? Tu es fou, eveque, si tu peux croire une chose pareille...
Un flot de larmes jaillit des yeux de Catherine. Sans doute Arnaud n'avait-il en vue que son salut a elle mais le dedain dont il l'enveloppait etait plus qu'elle n'en pouvait supporter. Desesperee, elle cria :
— Ainsi, tu me repousses encore... meme maintenant ? Pourquoi ne veux-tu pas que je meure avec toi ? Dis, pourquoi ?
Elle tendait vers lui ses mains enchainees, prete a se trainer a ses pieds pour un seul mot moins dur. Tout disparaissait du decor redoutable, du prelat sectaire et haineux qui l'ecoutait. Seul demeurait cet homme passionnement aime qui la rejetait a cette heure supreme. Raidi, les dents serrees, Arnaud regardait droit devant lui, refusant de s'attendrir.
— Finissons-en, eveque ! Fais-la relacher. Je t'avouerai tout ce que j'ai fait contre toi.
Mais Pierre Cauchon eclatait de rire et, emporte par cette gaiete pleine de fiel, alla s'abattre sur son fauteuil. La bouche grande ouverte montrant les quelques dents gatees qui lui restaient, il riait, il riait sous les yeux des deux autres, interdits. Il se calma sur un hoquet, passa sa langue sur ses levres seches comme un gros chat qui s'apprete a devorer une souris. Une lueur haineuse s'alluma dans son regard tandis qu'il revenait vers les prisonniers.
Sa grosse main empoigna le col de l'habit d'Arnaud.
— Un Montsalvy, hein ? Le frere du jeune Michel, j'imagine ? Et tu penses que je vais croire ta petite fable ? Tu me prends pour un simple d'esprit, ou bien penses-tu que je n'ai pas de memoire ? La relacher ? Ta complice ?... Alors que je sais, mieux que personne, combien elle et les siens ont toujours ete devoues a ta famille ?
— Devoues a ma famille ? Les Legoix ? Tu perds l'esprit ?
Une colere folle s'emparait du gros eveque, l'etouffant a demi. Il hoquetait mais ses paroles n'en perdirent rien de leur intelligibilite.
— Je deteste qu'on se moque de moi. J'etais l'un des chefs des emeutes cabochiennes, blanc-bec ! Et je sais mieux que toi qu'il y avait Legoix et Legoix. Penses-tu me faire accroire que tu ignores ce que celle-ci, quand elle n'etait encore qu'une gamine, a fait pour sauver ton frere ? Que je suis trop gateux pour me rappeler que deux enfants ont arrache un prisonnier que l'on menait a Montfaucon, au peril de leur vie et avec un courage digne d'une meilleure cause, qu'ils l'ont cache dans la cave du pere de la fille... la cave ou il a ete decouvert... la cave de ce Gaucher Legoix que j'ai fait pendre aussitot a sa propre enseigne de maudit orfevre armagnac ? Gaucher Legoix
!... son pere a elle !
D'un doigt tremblant de fureur, il designait Catherine qui l'ecoutait avec une joie, une emotion qu'il ne pouvait comprendre. Etranglant de rage, il ajouta :
— Elle... Catherine Legoix... la petite putain qui avait cache ton frere dans son lit et que, maintenant, tu oses me demander de relacher, pauvre imbecile !
— Pas dans mon lit, protesta Catherine a qui l'indignation avait rendu toute sa lucidite : dans la cave !
Mais Arnaud n'ecoutait plus ni elle, ni Cauchon. Il la regardait seulement comme jamais encore il ne l'avait regardee. Le c?ur tremblant, Catherine n'osait y croire. Il y avait, dans les yeux noirs du jeune homme, une joie immense et aussi tout l'amour, toute la passion qu'elle avait desespere d'y voir jamais. Sans la quitter des yeux, il murmura :
— Tu ne sais pas ce que tu viens de faire pour moi, eveque ! Sinon, je crois bien que tu le regretterais !... Catherine, mon amour... mon seul, mon merveilleux amour... pourras-tu jamais me pardonner ?
Ah, certes, ils etaient bien loin du donjon sinistre, des murs suintants et du vieillard quinteux qui etouffait dans son haut fauteuil, cherchant avec des rales un air qui fuyait ses poumons malades. La colere furieuse a laquelle il s'etait laisse emporter avait declenche une violente crise d'emphyseme. Il ralait avec au fond de la gorge un tragique crepitement qui ponctuait ses efforts pour respirer. Mais il eut pu mourir aupres d'eux sans qu'Arnaud et Catherine, perdus dans leur reve, lui pretassent la moindre attention. Ils goutaient cette minute unique, tellement inattendue, qui abattait entre eux tous les obstacles, d'un seul coup, qui reduisait a un faible tas de cendres les annees ecoulees, les ranc?urs, les jalousies, les cruautes de jadis.
— Je n'ai rien a te pardonner, murmura enfin Catherine, ses yeux violets charges d'extase... puisque je peux maintenant te dire que je t'aime...
Mais les rales de l'eveque avaient attire un moine qui leva les bras au ciel et se precipita au secours de son patron. Entre deux quintes de toux, celui-ci designa les deux prisonniers d'une main tremblante :
— Au cachot... ces deux-la... chacun dans un cachot... au secret !
Les archers les emmenerent hors de la salle sans que leurs regards se fussent separes. Leurs mains enchainees les empechaient de se toucher mais le muet langage des yeux les faisait proches comme aucune etreinte n'avait jamais reussi a le faire. Ils avaient tous deux la certitude que, de tout temps, ils avaient ete elus, designes pour se completer, etre chacun l'univers entier de l'autre et, dans leur bonheur present, ils oubliaient non seulement tout ce qui les avait si longtemps separes, mais encore la mort qui s'appretait pour eux...
Les "geoliers avaient si peur qu'ils pussent communiquer entre eux qu'on les enferma dans des tours differentes et au fond de basses-fosses. Arnaud etait enchaine au plus bas de la tour du Beffroi et Catherine dans un cachot de la tour des Deux-Ecus, formant ainsi, avec la tour de Bouvreuil ou languissait la Pucelle, un triangle tragique. Mais, bien que Catherine n'eut encore jamais connu prison si cruelle, car on l'avait descendue par une corde au fond d'un trou fangeux ou ne penetrait pas la moindre lumiere, elle y vivait plus heureuse qu'elle ne l'avait jamais ete dans le palais de Philippe ou dans l'hotel fastueux de son mari defunt. Son amour lui tenait lieu de lumiere, de chaleur, de tout ce necessaire qui lui eut manque si cruellement.
Elle etait en etat de grace, soutenue dans sa misere par la pensee d'Arnaud, malheureuse seulement d'imaginer ses souffrances a lui. Une seule crainte : ne pas le revoir avant de mourir, mais cette crainte ne la tourmentait pas beaucoup : elle connaissait trop Pierre Cauchon pour le croire capable de se priver de ce divertissement de choix : leur offrir a chacun la torture de l'autre.
Le temps passait, pourtant, sans que rien ne vint, ni juges, ni interrogatoires, et le geolier etait muet. Catherine avait compte que cinq ou six jours avaient du passer, d'apres le rythme des releves de la garde, mais comment savoir si elle ne se trompait pas, au fond de ce trou sans le moindre rayon de jour ? Sans doute, si cet ensevelissement se fut prolonge, Catherine eut-elle plonge, peu a peu, dans le desespoir. Elle n'en eut pas le temps. Le reflet d'une torche eclaira le trou puant ou elle croupissait, une corde descendit alourdie d'un geolier qui fit remonter la prisonniere. Elle se retrouva au grand soleil de la cour Chatelaine, clignant des yeux comme un oiseau nocturne.
Des soldats qui semblaient attendre se mirent a rire en la voyant paraitre, maladroite dans ses liens. L'un d'eux saisit un seau d'eau, le lui jeta : — Pouah ! s'ecria-t-il... fille sale ! Le jeu plut aux autres. Ce fut a qui arroserait Catherine. L'eau froide la suffoqua d'abord mais le soleil chauffait deja bien. Elle eprouva une joie secrete en sentant que la fange du cachot glissait d'elle, avec chaque seau... Un ordre bref vint du corps de garde et les soldats abandonnerent les seaux. Ruisselante, Catherine sentit soudain son c?ur se dilater de bonheur : de la tour du Beffroi sortait un etre titubant dont les mains enchainees tatonnaient devant lui, en aveugle. Il etait sale, amaigri mais aucune misere ne pouvait empecher Catherine de reconnaitre Arnaud. Leurs gardes les entourant, ils ne pouvaient courir l'un vers l'autre mais, pour elle, le savoir vivant etait une joie sans prix... On remplaca les chaines par des cordes, on les poussa en avant, a coups de bois de lance en direction du pont-levis du chateau. L'heure de mourir etait venue, bien certainement, et on les menait sur quelque place de la ville pour faire de leur supplice un exemple...