Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта (книги полностью TXT) 📗
A la suite du frere, ils se dirigerent vers une porte qui ouvrait dans le fond du magasin mais, en passant pres de l'une des deux dames, celle-ci fouilla vivement dans son escarcelle et fourra une piece d'or dans la main de Catherine, trop eberluee pour reagir.
— Poor woman ! s'ecria la dame chaleureusement... C'etait pour avoir une nouveau robe !
Un si bon sourire accompagnait ces mots que Catherine ne put se defendre d'une sympathie reelle pour cette femme charitable qui savait compatir a la misere d'une autre femme. Elle la remercia d'une reverence et d'un :
— Merci, gracieuse dame... Que Dieu vous benisse !
Mais dame Nicole avait l'air proprement scandalisee.
— Madame la comtesse est trop bonne... une telle generosite ! Allons, vous autres, filez !
Quand ils arriverent dans la grande cuisine, bien chauffee par un grand feu flambant dans la vaste cheminee, la piece etait vide mais la porte qui donnait sur la cour de derriere etait entrouverte. La servante devait etre au puits ou a la basse-cour. Arnaud, qui, depuis l'entree dans la maison, avait garde le silence a grand-peine, grogna entre haut et bas.
— S'il faut vivre avec cette Nicole, je crois que j'aimerais mieux coucher sur le port avec les debardeurs.
Chut ! coupa frere Etienne. Il ne faut surtout pas se fier aux apparences.
Vous changerez peut-etre d'avis sur le compte de votre hotesse. Ah, voici la servante ! Une forte fille armee de deux seaux pleins entrait a cet instant dans la cuisine et, la trouvant envahie, faillit tout lacher.
— Vous voulez quoi, vous autres ? s'ecria-t-elle d'un ton rogue.
Frere Etienne allait repondre mais, juste a cet instant, dame Nicole sortit de son magasin.
— Ce sont des cousins de mon epoux qui nous viennent de Louviers et qui ont tout perdu, fit-elle sans rien perdre de son aspect reveche. Il faut bien que nous les accueillions. Tu leur donneras a manger, Margot, et puis tu les conduiras dans la soupente. Quand le maitre rentrera, il decidera de ce qu'on en fera !
— Grand merci de votre charite, bonne dame, commenca frere Etienne, mais Nicole lui coupa la parole en haussant les epaules.
— On est chretien ou on ne l'est pas. Nous sommes deja a l'etroit et les vivres sont rares mais je ne peux pas laisser a la rue des parents de mon epoux. A propos, suivez-moi, mon pere, j'aimerais bien vous parler...
Il la suivit sans empressement, laissant Arnaud et Catherine en compagnie de la servante qui les regardait par en dessous. Elle ne trouva sans doute rien d'extraordinaire car elle se mit en devoir d'emplir deux ecuelles de soupe, coupa un gros quignon de pain bis et poussa le tout devant les nouveaux venus.
— Comme ca, vous venez de Louviers ?
— Oui, fit Catherine en plongeant une cuiller dans l'epaisse soupe qui sentait bon. De Louviers...
— J'ai des cousins la-bas, des tanneurs... Guillaume Lerouge, vous connaissez ?
Cette fois, ce fut Arnaud qui se lanca dans la bataille. Il s'arreta de laper sa soupe a grand bruit, dans le meilleur style croquant, leva les yeux vers la grosse fille.
— Sur ! Guillaume Le rouge ? J'pense bien que j'le connais... Pauvre gars ! L'a ete pendu l'autre jour par c'bandit d'Vignolles ! Ah ! on vit d'droles de jours. C'est dur pour l'pauvre monde.
Catherine, sideree, n'en croyait pas ses oreilles. Depuis leur arrivee a Rouen, elle craignait a chaque instant qu'Arnaud ne trahit son origine seigneuriale par ses manieres mais, tout a coup, il se montrait plus fort qu'elle a ce jeu. Il avait gagne d'ailleurs car Margot soupirait avec conviction :
— J'pense bien qu'c'est dur ! Mais ici, vous s'rez point trop malheureux.
Oh la maitresse n'est point commode ! Pour etre dure, l'est dure ! Mais on mange bien. V's'avez l'air solide, vous. Maitre Jean vous trouvera de l'ouvrage et vot'femme trouv'ra a faire ici. L'aut'servante est morte. Alors, c'est pas l'travail qui manque.
— Et comme j'le crains pas, l'travail ! assura Catherine tandis qu'Arnaud, apparemment satisfait, achevait d'engloutir sa soupe.
Quand ce fut fini, il torchonna l'ecuelle avec un morceau de pain, vida son gobelet d'un trait et s'essuya la bouche avec sa manche.
— Ca va mieux ! fit-il d'un air enchante. Fameuse, la soupe !
Et, pour mieux montrer tout le bien qu'il en pensait, il lacha un rot retentissant.
— V'nez alors, fit la servante, j'vais vous montrer vot' chambre. Dame, c'est point luxueux, ni meme chauffe. Mais a deux, ajouta-t-elle avec un clin d'?il complice, on s'rechauffe, pas vrai ?
La soupente, nichee tout en haut de la maison, sous le pignon du grand toit a double pente, offrait l'aspect d'une boite en forme de pyramide tronquee. Un certain nombre d'objets hors d'usage s'y entassaient et il y regnait un froid de loup. Mais Margot apporta deux paillasses qu'elle entassa l'une sur l'autre et un nombre suffisant de bonnes couvertures de laine.
— Demain, fit-elle, on f'ra un peu d'menage la-d'dans. Mais, pour ce soir, l'important c'est qu'vous ayez point froid. R'posez-vous un brin.
Quand elle fut sortie, Catherine et Arnaud se retrouverent seuls et resterent un moment, face a face, a se contempler. Puis, brusquement, Catherine eclata de rire. Il y avait trop longtemps qu'elle en avait envie.
— J'ignorais que vous possediez de tels talents ! fit-elle moqueuse en prenant soin, toutefois, de voiler sa voix. Vrai, dans votre role de croquant, vous etes parfait ! D'une verite ! Et moi qui craignais votre trop grande hauteur.
— Je vous ai dit que j'ai ete eleve comme un petit paysan... En fait, ajouta-t-il avec un sourire soudain qui illumina son visage, je crois bien que j'ai toujours ete un paysan deguise. Et je ne suis pas sur de ne pas en etre fier. Je ne suis pas du tout fait pour la vie mondaine... mais je dois reconnaitre que vous vous tirez parfaitement de votre role, vous aussi !
Et, tout d'un coup, lui aussi se mit a rire, rejoignant Catherine dans cette gaiete franche qui les detendait et balayait pour un temps les ranc?urs, les mauvais souvenirs. Ils riaient comme deux enfants qui ont fait une bonne farce, complices et accordes comme jamais peut-etre ils ne l'avaient encore ete, meme au plus ardent des heures naguere partagees. Ils riaient encore quand dame Nicole penetra dans la soupente, un paquet sous le bras.
— Chut ! fit-elle un doigt sur la bouche. On pourrait vous entendre et pour des refugies depouilles de tout, vous me semblez un peu gais...
Elle souriait cette fois et Catherine constata que ce sourire conferait un charme extraordinaire a son long visage sans grace. Elle jeta le paquet de vetements sur les couvertures puis, tout naturellement, plongea dans une reverence.
— Messire et vous Madame, pardonnez l'accueil que j'ai du vous faire...
et, par la meme occasion, pardonnez-moi aussi mes rebuffades futures et ma mauvaise humeur a venir ! Je ne suis pas sure de la servante, loin de la, ni d'ailleurs de personne !
Soulagee d'un grand poids car elle se sentait mal a l'aise depuis son arrivee chez les Son, Catherine alla spontanement embrasser Nicole tandis qu'Arnaud l'assurait qu'ils lui etaient, au contraire, grandement reconnaissants. Il valait bien mieux qu'il en fut ainsi. Ceci mis au point, Nicole ne s'attarda point pour que Margot ne se posat pas de questions. On leur apporta des ustensiles de toilette et de l'eau. Quand rentra maitre Jean Son, ils etaient propres et presentables quoi que fort modestement vetus comme il convient a des parents pauvres.
A premiere vue, le maitre macon n'etait pas plus sympathique que son epouse. Gros et rougeaud, bouffi de graisse et d'orgueil, il promenait sur toutes choses un regard endormi, content de soi et vaguement condescendant qui ne plaidait pas en faveur de son intelligence. Mais ses « cousins » ne tarderent pas a comprendre que cet aspect sottement inoffensif cachait un esprit clair et lucide, un reel courage et une profonde astuce normande.