Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗
Sous l'?il inquisiteur de la grosse dame, Catherine se sentit rougir et ne repondit pas. Elle se rendait bien compte qu'elle avait fait une faute, mais elle eut prefere se couper la langue plutot que de revenir sur ses paroles. Ermengarde ne parut pas s'en formaliser. Elle eclata de rire et assena, sur le dos de la jeune femme, une claque si vigoureuse qu'elle faillit la precipiter tete premiere dans le coffre ouvert.
— Ne faites pas cette tete-la, dame Catherine ! Nous sommes seules, vous et moi, et je peux bien vous avouer que je fais, moi aussi, des v?ux pour ce jeune insolent. Car, outre que je considere le roi Charles comme notre tres legitime souverain, j'ai toujours aime les beaux garcons, surtout quand ils sont assez braves pour etre un peu fous. Et sacrebleu, il est beau le matin ! Je sais bien que si j'avais vingt ans de moins...
— Que feriez-vous ? demanda Catherine amusee.
— Je ne peux vous dire exactement comment je m'y prendrais, mais il ne pourrait plus entrer dans son lit sans m'y trouver ! Et, morbleu, pour m'en tirer, il faudrait autre chose que sa grande epee...
car, ou bien je me trompe fort ou bien ce garcon n'a pas seulement l'aspect d'un homme, il en a l'ame, cela se voit dans ses yeux. De plus, je jurerais qu'en amour c'est un maitre. Cela aussi se sent quand on s'y connait.
Catherine fit toute une affaire de brosser la robe ecarlate et de l'etendre sur l'immense lit qu'elle devait partager avec la Grande Maitresse. Cela lui permettait de cacher la rougeur que les paroles un peu trop directes d'Ermengarde avaient fait monter a son front. Mais la comtesse avait des yeux particulierement percants.
— Laissez donc cette robe, s'ecria-t-elle gaiement. Ne jouez pas les prudes et les sottes avec moi et ne vous cachez pas pour rougir a l'aise afin de me faire croire que mes paroles vous choquent. Je vous ai dit ce que je ferais si j'avais vingt ans de moins... si j'etais vous, par exemple.
— Oh ! s'ecria Catherine scandalisee.
Je vous ai deja dit de ne pas faire la prude et j'ajoute : ne me prenez pas pour une sotte, Catherine de Brazey. Je suis une vieille bete, mais je sais lire sur un visage quand s'y peignent l'amour et le desir. Et il etait fort heureux pour vous que votre epoux n'y vit que d'un ?il, au bal de l'autre soir. Il n'etait pas un trait de votre visage qui ne proclamat votre amour pour cet homme.
Ainsi, le secret que Catherine avait cru si bien enfoui au fond de son c?ur pouvait se lire sans peine sur sa figure ? Qui d'autre, en ce cas, avait su s'en rendre maitre et, parmi tous ceux qui assistaient a la fete de fiancailles, combien avaient compris le lien invisible et mysterieux tendu entre le chevalier noir et la dame au diamant nocturne ? Garin peut-etre, qui s'etait montre si taciturne depuis, ou encore le duc Philippe. D'autres femmes, sans doute, avec leurs yeux toujours a l'affut des faiblesses de leurs rivales pour s'en faire des armes mortelles...
— Ne vous tourmentez donc pas, poursuivit dame Ermengarde pour qui, decidement, le visage mobile de Catherine n'avait pas de secrets. Votre mari est borgne et quant a Monseigneur, il avait bien trop a faire avec votre beau chevalier pour s'occuper de vous a cet instant. Et, ne vous deplaise, quand il y a au milieu d'elles un gaillard comme cet Arnaud, les femmes ne voient que lui et ne perdent pas leur temps a s'observer entre elles. Chacune pour soi !... Allons, ne vous torturez pas ainsi ! Tout le monde ne pratique pas la physionomie comme je le fais... et tout le monde n'est pas votre amie comme je le suis ! Votre secret sera bien garde.
A mesure qu'elle parlait, Catherine sentait sa gorge se detendre et l'inquietude d'un instant fit place a un vif soulagement. Elle etait heureuse aussi de decouvrir aupres d'elle cette amitie inattendue et surement sincere. Ermengarde de Chateauvillain etait celebre pour la liberte avec laquelle elle affichait ses sentiments et, jamais au grand jamais, elle ne se fut abaissee a simuler quoi que ce fut, dut sa vie en dependre. Elle avait bien trop le sentiment de sa noblesse pour cela.
Mais la hauteur du rang ne l'empechait pas d'etre aussi curieuse que n'importe quelle autre femme. D'un geste sans replique, elle prit Catherine par le bras, la fit asseoir aupres d'elle sur le grand lit et lui adressa un sourire rayonnant.
— Maintenant que j'ai devine la moitie de l'affaire, contez-moi donc le reste, ma chere. Outre que je brule de vous aider dans cette aventure, rien ne me plait autant qu'une belle histoire d'amour...
— Je crains que vous ne soyez decue, soupira Catherine... Il n'y a pas grand-chose a raconter.
Il y avait longtemps qu'elle n'avait eprouve pareil sentiment de securite. Dans cette grande chambre au plafond bas, eclairee seulement par les flammes de la cheminee, assise aupres de cette femme solide et sure, elle vivait la une halte necessaire, un precieux moment de confiance qui allait lui permettre, en se racontant, de faire le point de son propre c?ur. Au-dela des murs, il y avait la ville agitee, la foule des hommes qui, demain, regarderaient deux de leurs semblables s'entr'egorger. Confusement, Catherine sentait qu'ensuite le temps du repos serait revolu, que la route ouverte devant elle serait difficile, qu'elle s'ecorche- rait les genoux et les mains aux pierres cruelles d'une voie douloureuse dont elle ne voyait encore que le premier meandre. Quel etait donc ce vers qu'un jour Abou-al-Khayr lui avait murmure ? « Le chemin de l'amour est pave de chair et de sang. » Mais elle etait prete a laisser sa chair lambeau par lambeau, son sang goutte a goutte aux epines du chemin, pour vivre son amour, ne fut-ce qu'une heure, parce qu'en cette heure unique elle saurait enfermer tout le souffle de sa vie et tout ce qu'elle avait d'amour a donner. Une remarque d'Ermengarde la ramena brutalement sur terre.
— Et si demain le batard de Vendome le tue ?
Une ec?urante vague de peur monta des entrailles
de Catherine, emplit sa bouche d'amertume, deborda de son regard affole. La pensee qu'Arnaud pouvait mourir ne l'avait meme pas effleure. Il y avait en lui quelque chose d'indestructible. Il etait la vie meme et son corps paraissait fait d'une matiere aussi solide que l'acier de son armure. Catherine rejetait de toutes ses forces l'image d'un Arnaud couche dans le sable de l'arene sous son armure defoncee que le sang doublait d'ecarlate. Il ne pouvait pas mourir. La mort ne pouvait pas le prendre puisqu'il lui appartenait, a elle, Catherine !...
Mais les mots d'Ermengarde tracaient dans la muraille de sa certitude une mince lezarde par laquelle s'infiltrait l'angoisse. D'un bond, elle fut debout, d'un geste elle atteignit sa cape, s'en enveloppa.
— Ou allez-vous ? s'etonna Ermengarde.
— Je vais le voir !... Il faut que je lui parle, que je lui dise...
— Quoi?
— Je ne sais pas ! Que je l'aime ! Je ne peux pas le laisser mourir au combat sans qu'il sache ce qu'il est pour moi...
A demi folle, elle se precipitait vers la porte. Ermengarde l'attrapa au vol par un pan de son long manteau, l'empoigna aux epaules et l'obligea a s'asseoir sur un coffre.
Etes-vous folle ? Les gens du roi ont dresse leur camp hors de la ville, pres des lices, et le batard de Vendome a eleve son tref de l'autre cote.
Les gardes du duc Philippe entourent camps et lices, de concert pour une fois avec les Ecossais du roi de France que commande Buchan1.
Non, seulement vous ne pourrez pas franchir les portes de la ville, a moins de vous faire descendre par une corde le long des murailles, mais encore il vous sera impossible d'atteindre le camp. Et, en admettant meme que vous le puissiez, je vous empecherais, moi, d'y aller.
— Et pourquoi donc ? s'ecria Catherine prete a pleurer.
Les doigts vigoureux d'Ermengarde meurtrissaient ses clavicules.
Pourtant elle ne parvenait pas a lui en vouloir parce que, sous la rudesse de la Bourguignonne, elle sentait une tendresse bourrue. Sa large face rouge revetit soudain une extraordinaire expression de majeste.