Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗
La voix de Philippe atteignit alors, sous l'effet de la colere, un diapason aigu qu'on ne lui avait que rarement entendu et qui trahissait sa fureur mieux que ses paroles.
— Nul n'ignore combien grands furent nos regrets de n'avoir pu participer a cette glorieuse et desastreuse journee.
— N'importe qui peut en dire autant, huit ans apres ! fit Arnaud goguenard. Moi j'y etais, seigneur duc, c'est peut-etre ce qui me donne le droit de parler si haut. N'importe ! Vous preferez boire, danser et fraterniser avec l'ennemi, libre a vous. Je reprends donc mon gage et...
— Moi je le releve...
Un chevalier gigantesque, portant un extravagant costume mi-partie rouge et bleu qui moulait strictement un torse epais comme celui d'un ours s'etait avance. Courbe rapidement avec une agilite dont pareille masse semblait incapable, il ramassa le gantelet. Puis se tourna vers le chevalier noir.
Tu souhaitais t'affronter a un prince, seigneur de la Chataigneraie, tu peux te contenter du sang de Saint Louis, meme frappe de batardise...
Je suis Lionel de Bourbon, batard de Vendome et je te dis, moi, que tu en as menti par la gorge...
Catherine se soutenait a peine. Sur le point de defaillir, elle chercha instinctivement un appui. Elle rencontra le bras solide de dame Ermengarde qui se tenait pres d'elle. Prunelles dilatees, narines battantes, la Grande Maitresse piaffait comme un cheval de bataille qui entend la trompette. La scene jouee sous ses yeux, accaparait toute son attention et la ravissait visiblement. Elle couvait d'un regard brillant la silhouette vigoureuse et noire du capitaine de Montsalvy et une veritable houle soulevait sa poitrine genereuse... Le chevalier cependant contemplait avec un sang-froid absolu la gigantesque silhouette de son adversaire. L'examen dut le satisfaire car il haussa ses larges epaules vetues d'acier.
— Va pour le sang du bon roi Louis, bien que je m'etonne de le voir aventure dans une mauvaise cause ! J'aurai donc l'honneur, seigneur batard, de te couper les oreilles, a defaut de celles de ton maitre. Mais retiens bien ceci : c'est au jugement de Dieu que je t'appelle. Tu as choisi de defendre la cause de Philippe de Bourgogne comme je l'attaque moi, au nom de mon maitre. Il ne s'agit pas ici de rompre des lances courtoises en l'honneur des dames. Nous combattrons a outrance, jusqu'a la mort de l'un de nous, ou jusqu'a ce qu'il crie merci.
Catherine poussa un sourd gemissement que Garin entendit. Il tourna vers sa femme un regard oblique, mais ne fit aucun commentaire. Dame Ermengarde aussi avait entendu. Elle haussa les epaules.
— Ne soyez pas si sensible, ma chere ! Le jugement de Dieu est une chose passionnante. Et j'espere bien que Dieu rendra justice a ce jeune chevalier. Il est magnifique, sur ma parole !... Comment s'appelle- t-il ? Montsalvy ? Un vieux nom je crois, fort bien porte !
Ces paroles de sympathie reconforterent un peu Catherine. Dans le concert de haine qui entourait Arnaud, elles etaient les quelques notes amicales qui rassurent. Une autre voix pourtant, s'elevait pour le jeune homme. Le duc venait de lui demander sechement s'il avait un second pour la rencontre.
— Par la mordieu, s'ecria Arthur de Richemont. S'il n'en a pas, je suis pret a lui offrir mon epee. C'est un vaillant compagnon que j'ai vu combattre a Azincourt. N'y voyez pas offense, Monseigneur mon frere, mais seulement ancienne fraternite d'armes.
— Et je vous approuverais, Monseigneur, dit Marguerite, sa fiancee, d'une voix emue. Ce chevalier est le jeune frere d'un ecuyer que j'ai eu jadis en ma maison de Guyenne, un gentil seigneur qui fut vilainement mis a mal par la populace parisienne, lors de ces affreux jours de la Caboche. J'ai implore pour sa vie et mon pere me l'a refusee. Si vous combattez pour Arnaud de Montsalvy, c'est doublement, mon cher seigneur, que vous porterez mes couleurs. Je n'approuve pas mon frere.
Richemont, attendri, prit la main de sa blonde fiancee et la baisa tendrement.
— Douce dame, en vous choisissant, mon c?ur ne s'etait pas trompe.
Mais, pendant ce temps, Arnaud, apres avoir salue le Breton, avait designe fierement un autre chevalier, arme aussi de toutes pieces, qui etait apparu au seuil des portes.
— Le sire de Xaintrailles soutiendra ma querelle si besoin est.
L'arrivant, la tete decouverte, offrait une tignasse rousse comme une carotte et un sourire moqueur. Il etait, lui aussi, grand et solidement charpente. Nomme, il avanca de quelques pas, salua.
Philippe de Bourgogne, avec effort, s'etait leve de son siege, gardant cependant une main appuyee a l'accoudoir.
— Messires, dit-il, s'il plait a Dieu et pour ne point souiller la terre de notre seigneur l'eveque d'Amiens, c'est a Arras, chez moi, et dans trois jours que se deroulera votre rencontre que Dieu jugera. Ma parole vous est donnee que vous y serez recus courtoisement et en surete. Et maintenant, puisque ce soir est soir de fete, oublions la bataille a venir et joignez-vous a mes hotes...
L'orgueil etait enfin venu au secours de Philippe. Il avait repris tout empire sur lui-meme et nul ne pouvait plus deviner les sentiments tumultueux qui l'agitaient apres cette insulte publique. Au plus haut point il avait le sens de sa dignite et de son rang de prince souverain.
De plus, confiant dans la force formidable du batard de Vendome, il pouvait, a peu de frais, s'offrir le luxe de se montrer magnanime et d'exercer, meme envers un ennemi jure, les lois de l'hospitalite.
Mais froidement Arnaud de Montsalvy recoiffait son casque dont, d'un coup de doigt sec, il avait releve la visiere. A nouveau son regard noir defia les yeux gris de Philippe.
— Grand merci seigneur duc ! Mais en ce qui me concerne, mes ennemis demeurent mes ennemis et je compte ceux de mon prince au premier rang de ceux- ci. Je ne bois qu'avec mes amis. Nous nous retrouverons dans trois jours, au champ clos... Pour l'heure, nous rentrons a Guise. Place !
Inclinant brievement la tete, le chevalier tourna les talons et marcha lentement vers la porte. Mais avant qu'il ne se fut retourne, son regard avait glisse. Un instant il s'etait fixe sur Catherine et la jeune femme, au bord des larmes, avait vu un eclair traverser leurs noires prunelles.
Elle avait eu un geste instinctif, a peine ebauche, des deux mains tendues vers lui, mais deja Arnaud de Montsalvy etait loin. Bientot, les portes se refermaient sur les deux compagnons. Et, quand, la silhouette du noir chevalier fut evanouie, Catherine eut la sensation que toutes les lumieres s'etaient eteintes a la fois et que la vaste salle etait devenue sombre et froide.
Les trompettes alors sonnerent pour annoncer le souper.
Le festin avait ete un veritable supplice pour Catherine. Elle eut aime demeurer seule, dans le silence de sa chambre, afin de pouvoir evoquer a loisir celui qui venait de reapparaitre si brusquement dans sa vie. La vue d'Arnaud avait fait defaillir son c?ur, mais ce c?ur s'etait ranime avec le depart du chevalier, pour n'en battre que plus fort et plus obstinement. Lorsque la silhouette noire avait franchi la porte de chene, Catherine avait du faire appel a tout son bon sens et a tout son controle d'elle-meme pour ne pas courir derriere lui, tant avait ete violente l'impulsion qui la jetait vers le jeune homme. Elle ignorait quel accueil il lui eut reserve, mais pouvoir seulement lui parler, le toucher, sentir sur elle le poids sans douceur de son regard noir... pour ces humbles joies, la jeune femme eut donne tous les princes de la terre. Et pour se retrouver, ne fut-ce qu'une fugitive seconde, entre ses bras, elle eut joyeusement vendu son ame au Diable.
Durant toute la soiree, elle parla, sourit, accueillit les hommages qu'attirait sa beaute, mais ses levres et ses yeux agissaient machinalement. En realite, Catherine n'etait plus dans ce palais d'Amiens. A la suite de Montsalvy et de Xaintrailles, elle galopait sur la route de Guise ou les gens du roi Charles avaient leur camp. Elle voyait, avec cette double vue de l'amour qui se trompe si rarement, la silhouette d'acier noir penchee sur l'encolure du cheval, le profil dur, les levres serrees dans l'ombre du casque, elle entendait le galop lourd des chevaux, le cliquetis des armes et jusqu'au battement du c?ur d'Arnaud sous sa carapace de fer... Elle etait avec lui, pres de lui, contre lui, si proche que le cavalier lui semblait taille dans la meme chair que son propre corps... Elle ne prit pas garde a la secheresse du ton de Garin quand il lui dit :