Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗
— Rentrons !...
Parce que plus rien n'avait d'importance, ni Garin et sa richesse, ni Philippe et son amour, du moment qu'Arnaud s'etait rapproche d'elle !
Le regard qu'il lui avait jete, en quittant la salle, n'avait pourtant rien d'encourageant, si ce n'est peut-etre qu'au milieu de la colere et du mepris, la jeune femme avait cru y lire une sorte d'admiration. Et c'est de cette faible lueur qu'elle eclairait son reve. Il la haissait sans doute, la meprisait plus que certainement, mais Abou- al-Khayr avait dit qu'il la desirait et, tandis qu'aux cotes de Garin, elle regagnait la maison sur le canal vert, Catherine sentait revenir en elle ses forces combatives.
Le but de sa vie, elle venait de le voir la, tout pres d'elle, un but qui n'avait plus rien d'inaccessibles car, si l'orgueilleux comte de Montsalvy pouvait regarder dedaigneusement la niece d'un drapier, par contre la dame de Brazey devenait digne de lui. Catherine comprenait que son mariage l'avait mise presque sur le meme plan qu'Arnaud. Elle etait partie integrante de son univers d'orgueil et de splendeur, qu'il le voulut ou non et, ce soir, elle avait pu mesurer l'eclat et la puissance de sa beaute. Combien de fois le regard de Philippe ne s'etait-il pas pose sur elle... et tant d'autres avec lui ? Tous etrangement semblables avec leur expression avide... Ce soir, Catherine se sentait de taille a balayer les autres obstacles dresses entre elle et son amour, jusque et y compris cette haine d'Arnaud pour les Legoix et qu'elle se jurait de lui arracher. Pourrait-il lui reprocher la mort de Michel quand il saurait qu'elle avait failli en mourir, que Gaucher son pere avait ete pendu, sa maison detruite ? Cet homme, jusque-la si lointain, Catherine savait maintenant qu'elle le voulait, de toutes les forces tendues de son ame et quelle n'aurait de cesse ni de repos tant qu'il ne l'aurait pas faite sienne sans retour possible.
Perdue dans son reve, Catherine rentra chez elle, regagna sa chambre et se souvint alors de son mari, car elle s'apercut que, pour une fois, il l'avait suivie jusque dans ses appartements. Appuye d'un coude a la cheminee, il la regardait curieusement mais, sur son visage immobile, Catherine ne put rien dechiffrer. Elle lui adressa un vague sourire, tandis qu'elle abandonnait aux mains de Sara le long manteau de velours noir jete sur sa robe.
— Vous ne vous sentez pas fatigue ? demanda- t-elle. Moi, je suis recrue. Ce monde, cette chaleur !...
Tout en parlant, elle se dirigeait vers sa table a coiffer. Le miroir lui renvoya son image resplendissante, avivee encore par l'eclat sombre du diamant sur son front. Pensant que Garin ne l'avait suivie que pour recuperer la precieuse pierre, elle se hata de degrafer la chaine d'or, tendit le joyau.
— Voila ! je vous rends votre precieux tresor ! Je concois que vous ayez hate de le remettre en lieu sur...
Mais, d'un geste, Garin repoussa la main tendue. Sur ses levres minces passa un sourire de dedain.
— Gardez-le ! fit-il. Si je vous ai suivie chez vous, ce soir, ce n'est certes pas a son propos, mais bien pour vous poser une question : depuis combien de temps connaissez-vous messire de Montsalvy ?
La question desarconna Catherine qui, par habitude, chercha le regard de Sara. Mais voyant que son maitre souhaitait demeurer chez sa femme, la tzingara s'etait eclipsee, a sa maniere silencieuse, les laissant seuls. La jeune femme detourna la tete, prit un peigne d'ivoire et commenca a le passer doucement dans ses cheveux.
— Qui vous fait supposer que je le connaisse ?
— Votre emotion trop visible tout a l'heure. Vous n'auriez pas fremi ainsi pour un inconnu. Aussi souffrez que je reitere ma question
: d'ou le connaissez- vous ?
Le ton de Garin etait parfaitement courtois et sa voix ne s'etait pas elevee au-dela de ses habituelles notes basses, mais Catherine ne s'y trompa cependant pas. Il voulait une reponse et l'obtiendrait. Le mieux etait, sans doute, de lui dire la verite, tout au moins une partie de la verite, celle qu'il pouvait entendre. En quelques phrases, elle retraca la scene de la route de Tournai, quand Mathieu et elle-meme avaient trouve le chevalier blesse. Elle dit comment ils l'avaient transporte jusqu'a l'auberge et comme Abou- al-Khayr l'avait panse et avait, ensuite, pris soin de lui.
— Comme vous pouvez en juger, fit-elle avec un sourire, c'est a la fois une vieille connaissance et une vague relation. Mais il etait normal que je montrasse quelque emotion en le voyant reparaitre aussi inopinement devant moi ce soir et dans de si tragiques circonstances.
— Tragiques est le mot, en effet. Il est probable, ma chere, que vous ne tarderez guere a pleurer cette « ancienne connaissance ». Le batard de Vendome est un redoutable adversaire qui joint l'astuce et la souplesse du serpent a la force du taureau... Et le combat sera a outrance. Peut-etre prefererez-vous n'y point assister, si vous etes tellement sensible ?
Quelle idee ? Je tiens au contraire a voir le combat. Monseigneur Philippe, d'ailleurs, ne nous y a-t-il pas convies ?
— En effet ! Eh bien donc, nous nous y rendrons puisque vous pensez pouvoir supporter ce spectacle. Je vous souhaite le bonsoir, Catherine...
Un instant, la jeune femme eut envie de le retenir. Son attitude lui semblait bizarre. Elle souhaitait le faire parler afin de se rendre compte du credit exact attache par lui a ses explications, mais le desir d'etre seule avec le souvenir d'Arnaud fut le plus fort. Elle laissa Garin s'eloigner, renvoya meme Sara quand elle reapparut pour l'aider a se deshabiller. Elle n'avait envie de partager avec personne l'espoir qui la gonflait, chaud et secret comme une promesse de maternite, et quelle voulait porter jusqu'a ce qu'il repandit sur elle une pleine moisson de bonheur.
Pour le moment, un but unique, renferme dans le mot : Arras. Elle voulait oublier qu'Arnaud y aventurerait dangereusement sa vie. Dans deux jours, les memes murs de la meme cite les enfermeraient tous deux, sous le meme ciel. Et Catherine se jurait de ne pas laisser Arnaud s'eloigner d'elle sans avoir tente de le reprendre, quelles qu'en puissent etre les consequences.
Se loger dans Arras fut moins aise pour les Brazey qu'a Amiens.
Philippe de Bourgogne menageait trop ses bons bourgeois artesiens pour les obliger a faire place a ses hotes comme l'avait fait cavalierement l'eveque d'Amiens. Aussi Catherine dut-elle s'empiler, avec Ermengarde de Chateauvillain, Marie de Vaugrigneuse et deux autres dames de parage des princesses, dans deux chambres que leur ceda d'assez bonne grace un lainier de la ville haute, tandis que Garin s'en allait rejoindre Nicolas Rolin et Lambert
de Saulx dans une simple auberge. Cet arrangement ne deplaisait pas a Catherine qui voyait dans cette separation momentanee un presage favorable a la reussite de ses projets.
L'annonce du combat du lendemain avait empli la ville a eclater. De partout, de tous les chateaux voisins et meme de villes eloignees, on accourait. Des tentes se gonflaient, l'une apres l'autre, jusque sous les murs de la ville. Arras paraissait jaillir d'un parterre d'enormes fleurs.
On ne parlait que de la joute sur les places et dans les carrefours ou des paris s'engageaient. Catherine enrageait de constater que, partout, on donnait le batard de Vendome gagnant. Personne n'offrait cher de la peau d'Arnaud de Montsalvy et, comme, par-dessus le marche, nul ne se genait pour proclamer hautement qu'il n'aurait pas vole son sort, si definitif fut-il, Catherine s'indignait de tout son c?ur.
— Depuis quand la force brutale prime-t-elle la valeur ? s'ecria-t-elle tandis qu'elle aidait dame Ermengarde a defaire ses coffres et a defroisser ses robes en vue du banquet du soir et de la joute du lendemain. Ce batard est fort comme un ours, mais cela ne signifie nullement qu'il doive vaincre...
— Peste ! ma chere, fit Ermengarde en lui enlevant prestement des mains la precieuse robe de velours de Genes que, dans sa fureur, Catherine malmenait quelque peu, ce jeune presomptueux semble avoir en vous un chaud defenseur ! Pourtant vous devriez, ce me semble, porter tous vos v?ux au batard qui va combattre pour l'honneur de notre Duc. Est-ce que, par hasard, vous ne seriez pas aussi bonne Bourguignonne que vous devriez ?