Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта (книги полностью TXT) 📗
Mais, deja saisi d'une rage aveugle, il l'empoignait par un bras, la jetait presque aux mains des hommes d'armes qui, stupides d'etonnement, n'avaient pas ose bouger. La voix emportee du jeune homme rugit :
— Vous etes sourds ou idiots ? Je vous ai dit d'arreter cette femme !
— Mais... messire, commenca un sergent.
Aussitot Arnaud fut sur lui, le dominant de toute
sa haute taille. Les poings serres, pret a cogner, il etait tendu comme une corde d'arc. Son visage etait pourpre.
— Pas de mais, l'ami ! J'ordonne ! Sais-tu seulement qui elle est ? Une Bourguignonne... la pire de toutes ! Ce n'est pas une pitoyable refugiee comme elle cherchait a nous le faire accroire. C'est la propre maitresse de Philippe le Bon, la belle Catherine de Brazey ! Il ne faut pas etre tres malin pour deviner ce qu'elle vient faire ici !
Au nom de Philippe, le soldat avait pris peur visi blement. Il s'etait hate de saisir Catherine au poignet quand une voix lente, incredule, se fit entendre :
— La belle Catherine ici ? La dame aux cheveux d'or ? Qui a dit une chose pareille ?
Criniere rouge au vent et armure d'acier bleu, c'etait Xaintrailles qui debouchait d'une ruelle. Il etait au moins aussi cabosse que son ami, mais son visage joyeux n'en avait pas perdu sa bonne humeur pour autant.
— C'est moi qui le dis ! lanca sechement Arnaud. Regarde, si tu ne me crois pas !
Le grand chevalier roux s'avanca vers le groupe de soldats qui s'etait referme autour de Catherine et l'examina avec une stupeur non feinte puis eclata de rire.
— C'est ma foi vrai ! Tudieu, belle dame, que faites-vous ici... et dans cet appareil ?
— Elle est venue nous espionner pour son amant, c'est facile a comprendre, gronda Arnaud. Quant a ce qu'elle va faire maintenant, c'est moi qui vais te le dire : avant une heure elle sera bouclee au fond d'un cachot ou elle attendra son jugement. Allez, vous autres, en avant. Emmenez-la...
Mais Xaintrailles avait cesse de rire. Il regardait toujours Catherine. Puis il arreta son ami d'une main posee sur son bras.
— Tu ne trouves pas que c'est un peu etonnant ? fit-il en secouant la tete.
Pourquoi Philippe de Bourgogne, qui a retire ses troupes du siege a la suite de son altercation avec Bedford, l'enverrait-il ici... et dans cet etat ? Regarde ses vetements en lambeaux, ses pieds en sang... elle se soutient a peine...
La lueur de pitie qu'elle lisait dans les yeux du capitaine rendit un peu de courage a Catherine effondree. Mais l'entetement d'Arnaud ne voulait rien entendre. Il haussa les epaules avec emportement.
Cela prouve seulement qu'elle est meilleure comedienne que tu ne crois !
Quant aux intentions profondes de Philippe le Tortueux, sois bien sur que je ne tarderai pas a les connaitre. La nouvelle de l'arrivee prochaine de la Pucelle a du changer bien des choses a la Cour de Bruges. En prison, l'espionne... et tout de suite ! La, je saurai bien lui delier la langue.
Xaintrailles n'insista pas. Il connaissait trop Arnaud pour ignorer que, dut sa vie en dependre, il ne se dejugerait pas pour un empire, surtout en public.
D'ailleurs, la foule s'etait attroupee autour d'eux et grondait, tout de suite prete a la menace.
— A mort la Bourguignonne !
Le cri s'amplifiait deja. Depuis des mois que le siege durait, les gens d'Orleans etaient exasperes, avides de laisser eclater leur fureur et leur angoisse. Sentant qu'ils risquaient d'etre emportes, quelques soldats enfermerent Catherine au milieu d'eux, tandis que d'autres ecartaient les plus enrages a coups de bois de lance. Une poignee de boue, lancee d'une main sure, vint frapper la jeune femme a l'emplacement du c?ur. Elle ne broncha pas. Elle se tenait tres droite, rigide... comme insensible. Elle regardait Arnaud de toute son ame. La boue nauseabonde coula le long de sa robe, laissant une trainee noire. Alors brusquement, la jeune femme eclata de rire... Un rire terrible, strident, qui ne lui appartenait pas et qui fit taire d'un seul coup tous les cris de mort. Elle riait, riait, comme si jamais plus elle ne s'arreterait.
— Emmenez-la ! hurla Arnaud hors de lui... Emmenez-la ou je la tue !...
Le rire se brisa dans un sanglot. Le sergent poussa Catherine aux epaules tandis qu'un soldat lui liait vivement les mains derriere le dos. Elle detourna la tete, mais ne la baissa pas. Tout se brouillait devant ses yeux. D'un geste plein d'une lassitude infinie, elle haussa les epaules, se laissa emmener, indifferente desormais... ne voyant rien des rues qu'on lui faisait traverser.
Elle ne remarqua meme pas, comme on traversait une petite place, la haute silhouette de Xaintrailles qui surgissait de derriere une fontaine et arretait discretement le chef d'escorte.
— Mets-la dans un cachot, murmura le capitaine, mais pas dans une fosse et ne la ferre pas. Et puis, dis au geolier qu'il tache de lui trouver quelque chose a manger. Elle ne tient debout que par miracle. J'ai rarement vu une coupable qui ressemble autant a une victime.
L'homme fit signe qu'il avait compris, empocha la piece d'or que lui glissait Xaintrailles et rejoignit le peloton des gardes de Catherine.
Le Chastelet, ou les hommes d'armes conduisirent la jeune femme, etait la forteresse d'Orleans. Elle commandait l'entree du grand pont qui, enjambant une ile sablonneuse dominee par la petite bastille Saint-Antoine, s'en allait rejoindre sur la rive gauche la grosse place forte des Tourelles, l'un des principaux points d'appui des Anglais. William Gladsdale, bailli d'Alencon, y commandait.
Quand le jour parut, Catherine, en se haussant jusqu'au soupirail qui eclairait chichement sa prison, put voir couler la Loire et en eprouva une vague joie.
Depuis qu'elle l'avait atteint, au bout d'une marche epuisante, elle en etait venue a humaniser le grand fleuve et voyait en lui un ami. La veille, quand les gardes l'avaient jetee dans ce cachot, elle n'avait pas eu la moindre reaction. Hebetee de fatigue et assommee par son immense deception, elle s'etait jetee sur le tas de paille qui devait lui servir de couche et y avait dormi d'un sommeil de bete harassee. Elle n'avait meme pas entendu le geolier lui apporter une cruche d'eau et un morceau de pain...
Au reveil, il lui avait fallu un moment pour se rendre compte qu'elle n'etait pas le jouet d'un mauvais reve. Mais a mesure que ses souvenirs se degageaient des brouillards du sommeil, les evenements de la veille se precisaient avec tous leurs details. La tete dans les mains, assise sur son grabat, elle avait essaye de faire le point de sa situation et n'en avait tire qu'amertume. Tous ces jours derniers, durant le terrible voyage et meme avant, elle avait vecu une sorte d'etat hypnotique, exactement depuis l'instant ou, a Chateauvillain, frere Etienne lui avait appris qu'Arnaud n'etait pas marie. La reprise de contact avec la realite etait brutale et le reveil avait un gout saumatre.
Quand elle evoquait Arnaud de Montsalvy, le rouge de la colere et de la honte lui montait au front. Mais elle lui en voulait moins qu'a elle-meme.
Folle qu'elle etait de croire qu'il allait lui ouvrir les bras simplement parce qu'elle venait a lui depouillee de tout, sans plus rien d'autre que son amour !
Elle se rendait compte qu'inconsciemment peut-etre, elle avait pense qu'il l'attendait depuis toujours, uniquement parce que, par deux fois, il avait perdu la tete entre ses bras. Elle avait oublie volontairement la scene penible de leur dernier revoir, le lit de Philippe ou il l'avait trouvee, son ultime regard d'ecrasant mepris. Pour un homme aussi dur, aussi intransigeant qu'Arnaud, il y avait des choses sur lesquelles il devait etre impossible de revenir, et, a ses yeux, Catherine etait deux fois coupable, deux fois maudite
: elle etait l'une de ces Legoix qui, jadis, avaient massacre son frere Michel et elle etait la maitresse bien-aimee de Philippe de Bourgogne qu'il haissait et considerait comme traitre. Non, si dans cette affaire quelqu'un etait a blamer, c'etait bien elle d'avoir tout sacrifie a un reve impossible. Elle avait tout perdu, tout... Elle gisait au fond d'une geole sous une inculpation qui pouvait la mener a la mort, elle avait couru mille dangers et tout cela pour rien...