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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта (книги полностью TXT) 📗

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A la pointe du jour, Catherine et ses compagnons se trouverent devant une etroite riviere qui roulait des flots tumultueux entre des croupes rocheuses, chevelues d'arbres. Dans le bouillonnement neigeux de l'eau, de grosses pierres grises tracaient un gue.

— Voici le Suzon ! dit Gervais en designant le ruisseau de son baton.

C'est la que je vous abandonne. Quand vous l'aurez traverse, vous piquerez droit au nord. A deux lieues d'ici, environ, vous trouverez l'abbaye de Saint-Seine, lieu d'asile s'il en est. Le prieur en est messire Jean de Blaisy. Il est homme de bien et de grande charite. Il vous accueillera.

Cette suggestion ne semblait pas agreer beaucoup a Catherine. Elle objecta que l'abbe de Saint-Seine etait possesseur du chateau de Malain, qu'il l'avait prete a Garin pour l'y enfermer. Mais Gervais retorqua : Je gagerais que messire Jean ignorait a quelles fins le Grand Argentier destinait son domaine. Plus que certainement, Garin de Brazey le lui a emprunte sous un pretexte. Tu peux te rendre sans crainte a Saint-Seine.

Serais-tu la pire ennemie de sa famille que Jean de Blaisy t'accueillerait sans hesiter. Pour lui, le -malheureux qui vient s'agenouiller au seuil de son eglise est l'envoye de Dieu lui-meme et le duc en personne n'oserait venir lui arracher son hote. Va, te dis-je. Tu ne peux continuer a courir les chemins. Il te faut un port de salut. A Saint-Seine tu ne craindras rien...

Catherine reflechissait. La longue marche nocturne l'avait fatiguee car on avait parcouru deux bonnes lieues en terrain difficile. Mais peu a peu son visage s'eclaira. Elle se souvenait maintenant que ce Jean de Blaisy etait le cousin d'Ermengarde et cela lui rendait confiance. Et puis Gervais avait raison en disant qu'elle ne pouvait errer ainsi pendant des jours et des jours.

La trahison de Paquerette pouvait se reproduire. Garin etait riche. Quelques sacs d'or ne lui couteraient pas pour reprendre sa victime. Elle tendit la main au vieillard.

— Tu as raison. J'irai a Saint-Seine. Mais toi, si tu vois revenir au village un jeune homme vetu de vert, un chevaucheur de la Grande Ecurie...

— Je sais, coupa Gervais brusquement, l'amant de Paquerette. Je lui dirai ou tu es. Car il doit revenir te chercher, n'est-ce pas ?

— Il doit revenir, en effet. Maintenant, je veux te dire merci. Je n'ai rien pour te prouver ma gratitude, mais plus tard, peut-etre, je pourrai le faire et...

Gervais lui coupa la parole d'un geste sec.

— Je ne te demande rien et ne veux rien. En te sauvant, j'ai seulement repare le mal que Paquerette m'avait fait commettre. Nous sommes quittes.

Je te souhaite d'etre heureuse.

Ayant dit, le vieillard s'eloigna rapidement, revenant sur ses pas. Catherine et Sara virent sa silhouette imposante se dissoudre parmi les arbres. Elles se retrouverent seules aupres du ruisseau tumultueux.

— Allons ! fit seulement Sara.

Et, la premiere, elle s'engagea dans le chemin de pierres qui franchissait les eaux blanches. Le passage du gue s'effectua sans encombre. Parvenues sur l'autre rive, les deux femmes mangerent un peu de pain que Gervais leur avait remis, burent de l'eau du ruisseau et se trouverent pretes a se remettre en marche. Sara coupa deux fortes branches avec le couteau qu'elle avait toujours sur elle, en fit deux batons et donna l'un a Catherine.

— Nous avons encore deux lieues a faire et le chemin est difficile, dit-elle. Lentement, l'une derriere l'autre, elles commencerent a remonter la pente du val du Suzon en direction de Saint-Seine. Le soleil se levait, le premier vrai soleil depuis tant de jours. Bientot ses rayons envelopperent la terre encore transie d'une belle couleur doree qui magnifiait toutes choses.

Quelques heures plus tard, au creux profond d'un plissement du plateau de Haute Bourgogne ou courait une petite riviere, Catherine et Sara, extenuees mais heureuses, decouvraient les grands toits gris de l'abbaye de Saint-Seine, la haute tour carree couronnee d'echafaudages de l'eglise abbatiale et, tout aupres, comme une couvee de poussins aupres d'une mere poule grise et blanche, le moutonnement doux des toits brunis d'ou s'echappaient de minces panaches de fumee.

— Nous sommes arrivees, fit Sara. Il etait temps, je n'en pouvais plus !

Elles descendirent le versant pele du coteau, les yeux fixes sur la tour que les ouvriers abandonnaient. Les cloches appelaient les moines a quelque office, egrenant dans l'air calme leurs notes hautes et graves. Malgre un peu de repos pris vers le milieu du jour, Catherine ne sentait plus ses pieds. Les souliers qu'elle tenait de Paquerette avaient plus d'un trou et chaque pas lui causait une souffrance. Mais la terreur de Garin etait plus forte que toutes les douleurs. Elle courait presque, malgre l'ecrasante fatigue, en devalant la pente qui menait au couvent, avide du refuge des hauts murs et d'un peu de paille ou s'etendre.

Une demi-heure plus tard, les deux fugitives s'ecroulaient plutot qu'elles ne s'agenouillaient devant le vantail de chene noir arme de fer de la porterie.

Les femmes du village avaient regarde avec mefiance ces deux creatures aux vetements dechires par toutes les ronces de la grande foret, aux visages salis et tires par la fatigue. On s'attroupait, on les regardait et a travers les rues du village on les suivait. Des gamins deja ramassaient des pierres pour les leur jeter. Catherine sentit la menace qui pesait sur elle et sur Sara. On n'aimait pas les vagabonds dans cette bourgade riche, aux poulaillers bien garnis, aux jardins bien entretenus. Et Sara avec ses cheveux bleus, son teint bistre n'inspirait pas confiance. La peur, toujours latente au fond de son ame depuis son enlevement, s'enfla en Catherine comme un vent de tempete. Elle se pelotonna contre Sara, baissant la tete pour eviter la premiere pierre qu'un gamin aux joues rouges lancait deja. Elles etaient prises entre les paysans qui les entouraient et la porte close de l'abbaye vers laquelle elles tournaient des yeux affoles. Derriere la petite fenetre etroite de la tour, Sara crut voir la tete rase d'un moine. Entourant les epaules de Catherine d'un bras, elle cria d'une voix enrouee :

— Asile... Pour l'amour de Dieu ! Asile !

Une autre pierre tomba. Mais, lentement, le lourd portail tournait sur ses gonds. La silhouette austere d'un moine en robe noire, un scapulaire sur les epaules, apparut. La troisieme pierre lancee contre les deux femmes vint rouler a ses pieds. Il la repoussa de sa sandale, laissant peser sur les gamins et les commeres un regard severe, puis s'approcha du groupe lamentable et terrorise que formaient Catherine et Sara dans les bras l'une de l'autre.

— Entrez ! fit-il d'une voix grave. L'asile vous est ouvert !

Mais cette ultime frayeur avait eu raison de la resistance de la jeune femme. Il fallut l'emporter, evanouie, jusqu'a la maison des hotes du monastere.

Jean de Blaisy, abbe de Saint-Seine, etait bien tel que Gervais l'avait decrit : d'une charite sans limite. Deux femmes avaient demande asile, il leur accordait sans condition le refuge de son monastere. Mais en apprenant que l'une des deux mendiantes admises a la maison-Dieu, enclose dans l'abbaye pour le reconfort du pelerin et les soins aux malades, demandait a lui parler, il montra quelque etonnement. Malgre la tonsure et la bure noire qui le vetait, il demeurait un homme de haute naissance et n'etait pas completement parvenu a se defaire d'un sentiment de distance envers les gens de basse caste, les miserables, dont, cependant, au jour du Jeudi Saint, il lavait lui-meme les pieds, humblement agenouille dans la poussiere. Pourtant, comme l'etrangere se reclamait de sa cousine Ermengarde de Chateauvillain, il donna l'ordre qu'elle fut conduite a l'eglise ou il la rencontrerait, le lendemain matin, apres avoir dit sa messe.

Tandis qu'il achevait l'office divin, Catherine s'etait tapie contre l'une des pierres tombales dressees le long du mur et attendait patiemment. Quand elle vit s'avancer vers elle le grand moine-seigneur, si imposant dans l'austere froc noir d'ou emergeait une tete etroite cerclee d'une mince couronne de cheveux gris et dont le profil etait celui d'un oiseau de proie, elle tomba a genoux mais ne baissa pas la tete. Debout devant elle, les mains dans les manches de sa robe, l'abbe considera avec attention le visage menu entre les lourdes nattes blondes.

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