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Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта (книги полностью TXT) 📗

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Ce que l'abbe avait pris pour une boutade d'Ermengarde n'allait cependant pas tarder a prendre les couleurs d'une cruelle realite. A l'heure ou les benedictins, revenus des champs a l'appel de l'Angelus, se rangeaient deux par deux sous les arches romanes du cloitre et entonnaient un chant a la gloire de Dieu, a l'heure ou le frere portier repoussait les grands vantaux de la porte charretiere, roulant sur leurs gonds avec un bruit de tonnerre et ou Ermengarde, Catherine et Sara se disposaient a aller prier a la chapelle, un terrible cortege entra dans Saint- Seine et s'avanca jusqu'a la porte de l'abbaye.

C'etait une troupe de soudards, armes jusqu'aux dents de longues lances, de larges epees solides et de haches, montes sur de lourds chevaux capables de porter cent livres de fer en plus de leur cavalier. Les hommes etaient de mauvaise mine et appartenaient visiblement a l'une de ces bandes de routiers dont il etait facile de se procurer, alors, les services pourvu que l'on eut la bourse pleine. Gens de sac et de corde, sans foi ni autre loi que l'or et la ripaille, qui portaient le crime inscrit sur chaque trait de leurs figures brutales. Leurs casaques de cuir, protegees de plaques de fer aux endroits vulnerables, montraient des taches de sang seche, des traces de brulures et leurs casques de bon acier etaient bosseles a maints endroits, mais ils offraient un aspect redoutable, si effrayant que, sur leur passage, les gens de Saint- Seine se barricaderent en hate, entassant derriere leurs portes les meubles les plus lourds, priant Dieu de leur epargner la colere de ces gens.

La troupe avait debouche si subitement dans la vallee que nul n'avait pu donner l'alarme et que l'on n'avait pas eu le temps de chercher refuge a l'abbaye comme cela se faisait au temps jadis, au temps des Grandes Compagnies qui trainaient apres elles le meurtre, le viol et l'incendie. L'effet de surprise avait joue a plein. Endormis dans la paix prospere que leur valait la sage administration de leur duc, les Bourguignons en general et les gens de Saint-Seine en particulier avaient oublie le chemin du sur refuge de jadis.

Tapis derriere leurs etroites fenetres, les paysans regarderent defiler dans le crepuscule l'effrayante troupe.

En tete chevauchaient deux hommes. L'un etait vetu a peu pres comme le reste de la bande, mais l'expression arrogante de sa figure et la chaine d'or pendue sur sa poitrine indiquaient qu'il en etait le chef. L'autre etait Garin.

Tout de noir vetu a son habitude, le chaperon enfonce sur les yeux, un manteau noir l'enveloppant jusqu'au cou, il avancait sans rien regarder de ce qui se passait autour de lui. Mais, ce qui terrifia le frere-portier en voyant la troupe monter vers l'abbaye, ce furent les deux prisonniers que trainaient les chevaux de tete. Deux lambeaux humains encore doues de vie titubaient, enchaines aux selles de Garin et de son compagnon : un homme et une femme. Tous deux avaient ete traites avec une atroce barbarie. Les longs cheveux blonds de la femme, souilles de sang et de poussiere, cachaient mal son corps nu, zebre de coups de fouet. L'homme etait un vieillard comme l'attestaient ses cheveux et sa barbe blanche. Il portait une longue robe noire en lambeaux qui laissait voir ses jambes maigres, ses pieds nus. Ses membres portaient des traces de brulures au fer rouge. De longues trainees de sang seche tracaient des rigoles sur les figures des deux supplicies. On leur avait creve les yeux...

Tout courant, epouvante de voir la bande faire halte devant la porte de l'abbaye, le frere-portier s'en alla prevenir le pere-abbe qui commencait l'office du soir a la chapelle et qui accourut. Ermengarde, Catherine et Sara, mues par le meme pressentiment, le suivirent ainsi qu'une bonne partie des moines.

Quand ils parvinrent aux creneaux dominant le grand portail, Ermengarde d'un geste brusque, rejeta Catherine derriere son large dos, laissant Jean de Blaisy s'avancer seul. La nuit etait presque tombee mais, au-dehors, les routiers avaient allume des torches qui jetaient sur leur groupe et sur leurs miserables prisonniers une lueur sanglante.

— Que voulez-vous ? lanca l'abbe d'une voix rude. Que signifient ces armes, cet homme et cette femme tortures ?

— Que signifie, seigneur abbe, cette porte fermee ? repondit une voix que Catherine reconnut avec un frisson.

L'attrait de la peur fut plus fort en elle que la peur meme. Tendant le cou, elle regarda entre Ermengarde et le merlon auquel la comtesse s'appuyait, vit la figure pale de Garin eclairee par les lueurs d'incendie. De son mari, son regard glissa sur les deux victimes aveugles qui s'etaient laissees tomber sur le sol, plus qu'a demi mortes. Malgre le sang qui maculait leur visage, elle les reconnut avec un cri rauque qui s'etrangla dans sa gorge : c'etaient Paquerette et Gervais ! Sara, rapide comme l'eclair, etouffa ce cri sous sa main, tirant Catherine en arriere d'un bras energique. Un silence profond s'etait fait sur le village et le vallon. La voix calme de l'abbe en prit une resonance plus profonde :

— Ma porte se ferme chaque fois que le soleil se couche, dit-il, Es-tu donc un tel mecreant pour ignorer les coutumes des maisons de Dieu ?

— Je ne les ignore pas. Je desire seulement entrer.

— Pour quoi faire ? Demandes-tu l'asile ? J'en doute a te voir ainsi entoure. Les armes des hommes doivent tomber au seuil du Seigneur. Si tu veux entrer, Garin de Brazey, tu entreras... mais seul !

Le compagnon de Brazey prit la parole. Sa voix eraillee passa comme une lime sur les nerfs tendus de Catherine.

— Pourquoi me refuserais-tu l'entree, moine ? Je suis le Begue de Perouges.

Je le sais, fit Jean de Blaisy sans s'emouvoir. Je t'ai reconnu et je connais le chemin de sang qui est le tien : les femmes egorgees, les enfants embroches et les villages en flammes ont depuis longtemps crie vers le ciel contre toi.

Tu es une bete puante et les betes puantes n'entrent pas ici ! Jette tes armes, couvre ta tete de cendres et demande pardon a Dieu. Alors seulement tu entreras. Je reconnais ta marque a ces deux malheureux que tu traines a ta suite. Si tu veux que je t'ecoute, laisse mes freres les recueillir.

L'autre eut un gros rire insultant.

— Tu perds ta pitie, moine ! Deux sorciers adorateurs de Satan, des traitres de surcroit ! Seul le bucher peut leur convenir !

Mais Garin s'impatientait de cette discussion. Il eleva la voix, se dressant debout sur ses etriers.

— Treve de bavardages, sire abbe ! Je suis venu te reclamer ma femme, Catherine de Brazey qui se cache dans ton abbaye. Rends-la-moi et nous passerons notre chemin. Je te promets meme d'egorger sur l'heure et sans souffrances ces deux miserables qui l'ont cachee, guidee jusqu'ici.

— Sans souffrances ? fit dedaigneusement l'abbe. As-tu perdu l'esprit, Grand Argentier de Bourgogne ? Crois-tu que ton maitre te pardonnera de t'etre acoquine avec le bandit que voila ? De quel droit viens- tu ici me parler en maitre ? Oublies-tu qui je suis ? Mon sang est plus noble que le tien et je suis homme de Dieu, passe ton chemin. Ta femme, epuisee, a demi morte a cause de toi, est venue ici. Elle a invoque le droit d'asile que tout malheureux, quel qu'il soit, est en droit de reclamer au seuil des abbayes. Et je lui ai accorde ce droit. Elle ne quittera cette maison que de son plein gre.

Malgre l'horreur ou l'avait plongee le sort affreux de Paquerette et de Gervais, Catherine ne pouvait se defendre d'admirer la fiere contenance du prieur. Sa mince et haute silhouette noire se dressait sur le fond rougeoyant de la nuit eclairee par les torches. Il etait debout au bord de cet abime au fond duquel les visages haineux de Garin, du Begue de Perouges et de leurs hommes semblaient autant de demons vomis par l'enfer. Il etait pareil a l'ange sombre du Jugement en face des reprouves, etendant sur eux ses grandes ailes, pour rejeter ou pour accueillir.

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