Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
— Prisonniere ? Pourquoi donc ? Votre epoux, que je connais depuis longtemps, m'a confie cette forteresse et vous-meme en me disant qu'il lui fallait s'absenter pour de longs mois. J'aurai donc, Madame, l'honneur de defendre Carlat et le bonheur de veiller sur vous.
— Parfait ! dit Catherine. Puisque vous ne semblez, Messire, avoir en seule vue que ma satisfaction, je pense donc faire prochainement un petit voyage. Vous chargerez-vous de mes equipages ?
Elle avait trouve, pour cette ultime question, un sourire charmant. Mais il n'eut pas sa contrepartie. Au contraire, Kennedy sembla perdre d'un seul coup toute sa joie de vivre. Les lignes de son visage tomberent et un gros sillon se creusa dans son front.
— Gracieuse dame, dit-il avec un effort visible... C'est la seule chose que je ne puisse vous accorder. Sous aucun pretexte vous ne devez quitter Carlat... a moins que ce ne soit pour Montsalvy ou, dans ce cas, je devrai vous remettre aux mains du venerable pere abbe, avec deux hommes de confiance pour veiller sur vous.
Les mains de Catherine se crisperent sur les accoudoirs sculptes de son fauteuil. Ses yeux lancerent des eclairs.
— Savez-vous bien, Messire, ce que vous dites... et a qui vous le dites ?
— A la femme d'un ami ! soupira l'Ecossais. Donc a quelqu'un qui, m'etant confie, m'est plus cher que ma propre famille. Meme si je dois, en gemissant, dechainer votre courroux, j'accomplirai le devoir que m'a impose Montsalvy et ne faillirai point a la parole donnee. Voyez-vous, votre epoux est mon frere d'armes...
Encore ! L'irritation gonfla les minces narines de la jeune femme. Trouverait-elle toujours, devant elle, cette invraisemblable solidarite des hommes ? Ils se tenaient les uns les autres comme les doigts d'une seule main et rien, apparemment, ne pouvait rompre cette puissante magie. Une fois de plus, elle etait prisonniere et, cette fois, dans sa propre demeure. Il faudrait, sans doute, user de ruse... a moins que la force pure ? L'Ecossais etait vigoureux, mais de quel homme son fidele Normand ne viendrait-il pas a bout ?
Avec infiniment de grace, Catherine se tourna sur son siege, appela Sara d'un geste de la main.
— Va me chercher Gauthier, dit-elle avec une inquietante douceur. J'ai a lui parler.
— Pardonnez-moi, Madame, repondit la gitane, mais Gauthier est parti chasser ce matin a l'aube.
— Chasser ? Avec quelle permission ?
Ce fut le gouverneur qui se chargea de la reponse.
— Avec la mienne, gracieuse dame. En arrivant, l'autre soir, mes gens ont tue un ours. La femelle, folle de colere, etait lachee sur le pays et, deja, un homme a ete tue. Votre serviteur... un homme extraordinaire entre nous, m'a demande de le laisser mener seul la chasse. A l'entendre il sait comme personne tuer les ours. Et j'avoue que je le crois volontiers.
Catherine soupira. La passion de Gauthier Malencontre pour la chasse, elle la connaissait bien. L'ancien forestier ne pouvait pas reperer, sous bois, la trace d'un animal quel qu'il fut sans se comporter comme un vieux cheval de bataille qui entend la trompette. Elle eprouva un peu d'humeur en songeant que, delivre des soucis de sa sante a elle, il n'avait rien trouve de mieux que s'en aller courir les grands chemins.
— Eh bien, mais vous avez eu raison, Messire. Mon ecuyer est un homme des bois, il n'aime que le grand air, les grands espaces et c'est un remarquable chasseur. Souhaitons qu'il rencontre l'ourse...
Elle tendit la main pour marquer que l'audience etait finie. Kennedy ne s'y trompa pas, prit cette main et y posa ses levres.
— N'avez-vous plus rien a me demander ? Hormis vous laisser errer sur les routes sans surveillance, il j n'est rien que je sois pret a faire pour vous et...
Il n'acheva pas. Poussee violemment de l'exterieur, la porte de la chambre venait de taper rudement contre le mur.
Gauthier, sale a faire peur et rouge d'avoir trop couru, apparut au seuil, portant sur son epaule un etrange paquet.
Catherine vit, pendant devant la poitrine du geant, de longs cheveux noirs, un visage verdatre aux yeux clos.
Au seuil, le geant s'arreta un instant, regarda tour a tour Kennedy encore courbe et Catherine, si droite et si pale dans son fauteuil. Puis, remontant son fardeau sur son dos, il marcha droit a la jeune femme. Avant qu'elle ait pu seulement dire un mot, il avait fait glisser a terre, jusqu'a ses pieds, le cadavre de Marie de Comborn.
— J'ai trouve ca pres du lit de la riviere, dit-il rudement, dans un fourre ou on aurait pu chercher longtemps. L'aurait fallu le plein ete et l'odeur de charogne pour qu'on ait l'idee d'y aller voir.
Petrifiee, Catherine regardait les serpents de cheveux noirs qui se tordaient sur le dallage jusqu'a ses pantoufles de velours. Les yeux de Marie, fixes par la mort, etaient emplis a la fois d'horreur et de fureur. Elle etait morte comme elle avait vecu, en pleine colere, haissant le ciel et la terre sans doute. Sur son corsage, a l'endroit du c?ur, une grande tache brune avait seche. Kennedy, eberlue, regardait tantot le cadavre, tantot Gauthier qui se tenait aupres, jambes ecartees, bras croises, mais son sang-froid britannique reprit le dessus.
— Euh ! fit-il pointant un doigt vers le corps. Il me semble que ce n'est pas l'ourse ?
— C'etait une sorciere ! cracha le Normand. Que les Nornes infernales aient son esprit damne !
Mais Catherine se penchait sur son ennemie morte, examinait le visage ou la decomposition mettait des taches violettes, relevait les levres bleues sur les gencives. La mort pretait a Marie de Comborn un affreux visage devant lequel Catherine frissonna. Instinctivement, elle se signa et demeura la, a genoux, sans pouvoir ni se relever, ni faire un geste.
Pourtant, elle regarda Gauthier.
— Qui l'a tuee ? En as-tu une idee ?
Pour toute reponse, il tira de sa tunique de cuir une dague a lame longue, encore tachee de sang seche, qu'il jeta sur les genoux de la jeune femme.
— Elle avait ca dans la poitrine, dame Catherine. Celui qui a frappe savait qu'il faisait justice !
Sur le velours noir de sa robe, Catherine vit luire, a peine terni par trois nuits dans l'humidite des bois, l'epervier d'argent des Montsalvy. Ses yeux s'agrandirent. La derniere fois qu'elle avait vu cette arme, c'etait entre les doigts d'Arnaud, sur le chemin de ronde... il jouait avec en lui disant qu'il aimait sa cousine et voulait partir avec elle. Pourtant, Marie etait la, morte, et c'etait la dague des Montsalvy qui l'avait tuee !
— Arnaud !... souffla-t-elle. Je reve !... Cela ne peut pas etre lui !
— Si ! affirma Sara qui s'etait approchee. C'est lui qui l'a tuee, n'en doute pas.
— Mais pourquoi ? Il m'a dit lui-meme qu'il l'aimait...
Sara hocha la tete, prit des mains de Catherine la dague sanglante et la tourna un instant entre ses doigts bruns.
— Non, dit-elle doucement, il ne l'a jamais aimee ! Il a voulu que tu le croies ! Mais sans doute lui faisait-elle trop horreur pour qu'il put longtemps supporter sa vue ! Il n'a pas eu le courage d'attendre plus longtemps ! Il a frappe.
D'un bond, Catherine, ressuscitee, se redressa. Elle empoigna Sara aux epaules et, mue par une force secrete, se mit a la secouer avec violence.
— Que m'as-tu cache ? Que savais-tu ? Que taisais-tu pendant que je mourais de desespoir ? Pourquoi cette comedie atroce qui m'a rendue folle ? Mais parle, parle ! Je saurai bien t'arracher les paroles de la gorge, meme si je dois...
Malgre sa colere, elle s'arreta, realisant ce qu'elle avait failli dire et honteuse en proportion. Oui, elle avait failli menacer Sara, sa vieille Sara, sa plus fidele amie, de la torture ! Quelle folie allumait donc dans son sang le seul nom d'Arnaud pour la conduire ainsi aux limites de la sauvagerie ! Sara avait baisse la tete, comme une coupable.
Fais ce que tu veux, murmura-t-elle. Je n'ai pas le droit de parler... J'ai jure sur la Madone et sur le salut de mon ame.