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Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗

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Combien de temps Catherine flotta-t-elle dans le gouffre de l'inconscience, dans les eaux noires de l'angoisse et de la peur avec la folie guettant cette femme poussee aux dernieres limites de la desesperance ? Meme Sara, rivee au chevet de celle qui lui etait plus chere que sa propre vie, n'aurait pu le dire. La gitane se rappelait le soir terrible, le soir d'emeute ou Paris etait fou et ou Barnabe le Coquillart etait venu la chercher pour qu'elle vint donner ses soins a une enfant inconsciente.

Elle revoyait le corps inerte, encore maigre, la petite tete pale sous la nappe fastueuse des cheveux fous, la tragique inconscience du regard... Elle avait lutte, pied a pied, nuit et jour, pour arracher l'enfant a la mort et a la folie. C'etait le soir ou Catherine avait tente de sauver Michel de Montsalvy et ou le pere de l'enfant avait paye de sa vie la folle generosite de sa fille. Est-ce que tout allait recommencer et fallait-il que Catherine fut menee aux portes de la mort le jour ou les Montsalvy entraient dans son existence comme le jour ou les Montsalvy s'arrachaient d'elle ? Et, maintenant, la jeune femme blessee au plus sensible, au plus profond resisterait- elle a l'effondrement de sa vie ?

Cependant, Catherine, du fond des brumes de sa fievre, remontait parfois a la surface de la conscience. Elle reconnaissait Sara et aussi une haute forme noire, dressee contre la colonne de son lit, une forme noire qui ne disait jamais rien et qui pleurait en la regardant. Et c'etait cela qui l'etonnait le plus. Pourquoi donc la dame de Montsalvy pleurait-elle pres de son lit ? Etait- elle vraiment morte et allait-on la porter en terre ? L'idee lui en venait, apaisante et douce comme une gorgee d'eau fraiche. Et puis les demons reprenaient le dessus et Catherine sombrait de nouveau.

En realite, cinq jours seulement coulerent, entre la scene cruelle du chemin de ronde et le moment ou Catherine reprit definitivement ses sens. Ses yeux s'ouvrirent sur une gloire de soleil et de ciel bleu qui a travers la fenetre ouverte emplissait la chambre. Une main s'appuya sur son front et les choses se retrouverent comme elles etaient chaque fois qu'elle revenait a la vie : Isabelle de Montsalvy etait debout au pied du lit, dans ses vetements noirs.

— La fievre est tombee, dit au chevet la voix de Sara ou vibrait une joie.

— Dieu en soit loue ! repondit la silhouette noire, qui se pencha sur le lit a son tour.

Il se passa alors une chose invraisemblable, incomprehensible : Isabelle prit la main inerte de Catherine, abandonnee sur le drap, et la pressa contre ses levres. Puis elle se detourna et s'eloigna comme si elle craignait que sa vue ne blessat la malade. Un moment, Catherine aspira avec delices l'air tiede de sa chambre, laissa ses yeux s'emplir des eclats dores du soleil, ses oreilles du gazouillis de Michel qui, dans son berceau, saluait a sa maniere la beaute du jour et agitait ses menottes comme de minuscules oiseaux roses... Comme tout etait beau et doux !...

Et puis, soudain, la notion des choses lui revint. Une vague amere de douleur emplit la jeune femme qui fit un effort desespere pour se redresser. Sara, aussitot, s'interposa :

— Reste tranquille, tu es trop faible...

— Arnaud!... balbutia-t-elle... Arnaud !... Ou est- il ? Oh... je me souviens, je me souviens de tout maintenant ! Il ne m'aime plus... il ne m'a jamais aimee... C'est l'autre qu'il aime... c'est l'autre !

Sa voix montait vers un diapason aigu et Isabelle de Montsalvy inquiete, craignant une rechute, se rapprocha. Elle prit la main diaphane qui maintenant battait l'air comme l'aile d'une colombe affolee.

— Mon enfant, calmez-vous... Il ne faut pas penser, il ne faut pas parler. Il faut songer a vous, a votre fils.

Mais Catherine s'agrippait a sa main, en tirait assez de force pour se redresser a demi. Dans la masse rutilante de ses cheveux denoues, son visage etroit se marquait de rouge fluide aux pommettes tandis que le regard prenait un eclat visionnaire.

— Il est parti, n'est-ce pas ? Dites-le-moi, je vous en supplie. Il est parti ? Oh... et puis. (Elle lacha prise tout a coup, se laissa aller de nouveau sur les oreillers de lin.) Ne me repondez pas, ajouta-t-elle avec une poignante expression de douleur, je sais qu'il est parti ! Je le sens au vide qu'il y a la... Il est parti... avec elle !

— Oui, murmura Sara d'une voix lourde, il est parti hier.

Catherine ne repondit pas. Elle s'efforcait de toutes ses faibles forces de retenir les sanglots qui montaient et qui, peut-

etre, acheveraient de l'epuiser. Elle ferma les yeux.

— Il y a trop de lumiere, Sara, murmura-t-elle. Cela me fait mal. Pourquoi donc le soleil brille-t-il ? Il est mon ennemi, lui aussi...

Derriere l'ecran de ses paupieres baissees, elle retrouvait pourtant ce soleil. Elle le voyait eclairer la course de deux cavaliers qui, cote a cote, suivaient un chemin vert, tout brillant de lumiere, tout bruissant de chants d'oiseaux si nombreux que le pas des chevaux ne parvenait pas a les faire taire. Ce pas des chevaux, d'ailleurs, elle l'entendait... Il claquait sur le chemin, joyeusement, faisait voler les pierres dans la hate de la fuite... Les deux cavaliers s'en allaient loin, fuyaient comme des malfaiteurs pour cacher un bonheur vole et maudit. Et le pas des chevaux, les pierres du chemin, tout cela venait cogner dans la tete encore douloureuse de la jeune femme... Sara la vit croiser ses mains, devenues transparentes en ces quelques jours, serrer l'endroit du c?ur comme si elle voulait l'arracher de sa poitrine. Mais Sara ne pouvait pas savoir qu'un c?ur brise cela faisait si mal ! Le souffle de Catherine emplissait la chambre, fort et bruyant comme celui d'un coureur qui a fourni une longue etape a vive allure. Et Sara, desolee, l'entendit murmurer :

— Je voudrais tant le revoir... rien qu'une fois ! Entendre encore sa voix, sentir... encore une fois ses levres sur ma joue et puis mourir ! Rien qu'une fois...

Elle etait si faible, si miserable dans son humble priere, cette pauvre enfant aux prises avec une douleur trop forte pour elle que Sara se laissa tomber pres d'elle, l'enveloppa de ses bras et pressa sa joue contre la sienne.

— Mon tout petit... Ne te torture plus ! Essaie de guerir, pour ton petit... pour moi aussi ! Qu'est-ce qu'elle deviendrait sans toi, ta vieille Sara ? Il y a encore tant de choses au monde, tant de joies possibles pour toi. La vie n'est pas finie.

— Ma vie, c'etait lui...

Jamais le respect de la parole donnee n'avait tant pese a Sara. Elle mourait d'envie de dire ce qu'elle avait vu, durant ces cinq jours et ces cinq nuits : cet homme ecrase de douleur qui etait demeure sans bouger, des heures durant, dans l'embrasure d'une fenetre, hors de vue de la malade, les yeux secs, les mains nouees, sans dormir, sans manger... tant que le danger n'etait pas ecarte. Et puis, quand enfin le mire venu d'Aurillac avait declare la jeune femme sauvee, Arnaud s'etait leve et, sans se retourner, avait quitte la chambre. Une heure apres, dans la gloire sanglante d'un crepuscule charge de vents a venir, il quittait le chateau, menant en bride un autre cheval sur lequel Marie de Comborn, etroitement voilee, avait pris place. Confiant Catherine a sa belle-mere, Sara etait allee sur la tour Noire pour les voir partir. Pas une seule fois, en descendant le raidillon, Arnaud ne s'etait retourne vers celle qu'il emmenait et qui, tete baissee, ressemblait bien plus a une captive qu'a une femme heureuse... Mais tout cela, Sara ne pouvait pas le dire parce qu'il ne fallait pas que tant de souffrances fussent inutiles.

Longtemps, les deux femmes demeurerent serrees l'une contre l'autre, melant leurs larmes. Catherine trouvait un apaisement a pleurer ainsi. L'amertume se dissolvait un peu dans les larmes et la blessure s'endormait. La tendresse maternelle de Sara, elle aussi, avait d'etranges vertus lenitives. La tete appuyee contre son vaste giron, Catherine se sentait momentanement a l'abri, comme une petite barque de peche dematee par la tempete et qui, par miracle, trouve un havre.

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