Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
— Oui ! Du moins je respirerai le meme air que toi, je verrai, de loin et jusqu'au dernier souffle, les montagnes de mon pays, les arbres et le ciel que tu verras. Je serai mort pour toi, Catherine, mais peut- etre n'auras-tu plus envie de t'en aller...
— Tu as pu croire que, maintenant...
— Non. Je sais que tu resteras. Promets-moi d'etre pour Michel a la fois la mere et le pere, de vivre pour lui comme tu aurais vecu pour moi, dis, le promets- tu ?
Aveuglee par les larmes, elle cacha sa figure dans ses mains pour ne plus voir, dans l'ogive de la fenetre, cette mince silhouette noire qui semblait, deja, ne plus appartenir a la terre. Des sanglots dechiraient sa poitrine, mais elle les retenait de toutes ses forces.
— Je t'aime... balbutia-t-elle. Je t'aime, Arnaud.
— Je t'aime, Catherine. Quand je ne serai plus qu'un monstre, qu'un dechet humain trop affreux pour affronter le regard des autres, je t'aimerai encore et le souvenir de notre amour, de sa lumiere, m'aidera. Je voulais m'en aller chercher la mort quelque part, en pays infidele, les armes a la main, mais, si c'est la volonte de Dieu, mieux vaut mourir ici, sur cette terre qui est mienne et a laquelle, un jour, je retournerai...
Sa voix semblait venir de loin, elle s'affaiblissait. Catherine laissa tomber ses mains, ouvrit les yeux et poussa un cri angoisse :
— Arnaud !
Mais il n'etait plus la. Silencieusement, il avait quitte la piece.
Ce soir-la, il fallut que Sara s'enfermat avec Catherine dans sa chambre, que Gauthier se couchat en travers de la porte. La jeune femme, oubliant la resignation qu'Arnaud l'avait suppliee de garder, voulait courir a la suite de son epoux. Il etait alle chercher refuge chez le bon cure de Carlat, car la nouvelle s'etait repandue dans le village et dans le chateau comme une trainee de poudre, y semant la terreur. Le mal terrible avait frappe et chacun tremblait maintenant, des plus rudes soldats aux plus humbles bergers, cherchant a se rappeler quels contacts il avait pu avoir avec le reprouve. Une rumeur etait montee dans le soir, jusqu'aux murs du chateau. Les gens criaient, reclamant que le lepreux fut conduit sur l'heure a la maladrerie. Il avait fallu que le vieux cure se fachat, jurat qu'il s'en irait avec Arnaud si l'on tentait quoi que ce soit contre lui. La peur etait si grande que les paysans terrifies eussent ete capables de mettre le feu a toute maison qui l'eut recueilli. Seul, le presbytere, lieu sacre, pouvait echapper.
Pour la premiere fois, le vieux Jean de Cabanes s'etait presente chez Catherine. Il s'etait incline avec respect devant la jeune femme en deuil et lui avait annonce que, le lendemain, l'homme contamine serait conduit, selon la loi, a la maladrerie de Calves apres l'ultime messe que, dans l'eglise du village, on dirait pour lui. Il voulait savoir si Mme de Montsalvy souhaitait assister a la cruelle ceremonie.
— Vous n'en doutez pas, je pense ? avait repondu Catherine durement.
Pour le revoir encore, pour etre avec lui, fut-ce un instant encore, elle serait allee jusqu'en enfer.
Et maintenant, la nuit etait venue. Les gens de Carlat s'etaient barricades chez eux apres avoir marque d'une croix jaune la porte du presbytere. Les gardes etaient entasses dans le corps de garde, osant a peine surveiller les creneaux par peur, peut-etre, de voir se lever dans les tenebres la forme lugubre de la mort rouge. Les quelques sentinelles que les menaces de Kennedy avaient obligees de prendre leur garde grelottaient de peur aux creneaux. Debout a sa fenetre, les bras croises sur sa poitrine, Catherine regardait les ombres noires, cherchant a deviner, dans la seconde enceinte, la maison qui etait le dernier refuge d'Arnaud. Ses yeux etaient secs, son front brulait. Elle gardait maintenant un silence farouche.
Assise dans un fauteuil, a quelques pas d'elle, Isabelle de Montsalvy gardait le meme silence. Les doigts pales de la vieille dame egrenaient un chapelet. Catherine, elle, ne pouvait plus prier. Dieu etait trop haut, trop loin pour que les miserables prieres humaines pussent l'atteindre. Il avait accorde a Catherine le souhait ne au plus fort de sa fievre : revoir le bien-aime, le toucher encore une fois. Mais de quel prix lui faisait-il payer cette faveur ?
Elle avait tout compris, maintenant, de l'inexplicable. Sara lui avait dit comment, une nuit, Arnaud etait venu l'eveiller pour lui montrer, sur son bras nu, une large tache blanchatre et grumeleuse qu'elle avait regardee avec terreur. C'etait bien, comme il le craignait, une premiere trace de la maladie, le sceau maudit de la lepre. Elle dit encore comment le jeune homme lui avait fait jurer de garder le silence. Il voulait tenter de detacher Catherine de lui pour qu'elle put, plus tard, sans trop de regrets, s'en aller vers une autre vie. Mais il avait compte sans l'amour desespere de la jeune femme, sans sa propre passion. Son plan genereux avait echoue et maintenant Catherine savait... comme Isabelle avait su, elle, une autre nuit, dans la chapelle !
Quand elle tournait la tete vers la vieille dame, Catherine s'etonnait presque de trouver sur son visage ravage une douleur egale a la sienne. Une autre femme pouvait-elle donc souffrir autant qu'elle ?... Au fond de la nuit, une louve hurla.
C'etait le temps des amours et la bete appelait son male. Catherine frissonna. Pour elle, c'en etait fini du temps des amours... Il ne lui resterait plus que le devoir, austere, rigide, la seule occupation d'un c?ur qui ne serait plus que cendres demain, quand...
Elle vieillirait, comme cette femme qui pleurait sans larmes aupres d'elle, seule, toute sa vie attachee a l'enfant qui, un jour, s'en irait, jusqu'a ce que vint pour elle aussi le temps du repos.
Soudain, une immense pitie l'envahit pour cette vieille femme qui, marche apres marche, avait gravi un affreux calvaire et n'en avait pas encore atteint la croix. Il y avait eu l'epoux mourant quand elle etait encore jeune, puis la mort atroce de Michel, le plus tendre et le plus doux de ses fils, son prefere. Et, maintenant, cette chose abominable ! Les rides creusees dans ce visage las y inscrivaient chacune de ses souffrances. Un c?ur de femme pouvait-il, sans se briser tout a fait, sans perdre le courage de battre encore, endurer tant de douleurs ?
Doucement, elle descendit vers Isabelle, posa une main timide sur son epaule. Les yeux decolores, rougis de larmes se leverent sur elle, pitoyables. Catherine avala sa salive, forca sa voix, enrouee soudain, a sortir, mais ce ne fut qu'un murmure :
— Il vous reste Michel, fit-elle tout bas... et moi, si vous le voulez. Je ne sais pas dire ces choses et je n'ignore pas que vous ne m'avez jamais aimee. Pourtant... moi, je suis prete a vous donner tout le respect, toute la tendresse que je ne pourrai plus lui donner, a lui...
Elle avait presume de ses forces. Son chagrin eclata. S'agenouillant devant la vieille dame, elle enfouit sa tete dans ses genoux... crispant ses doigts sur la robe noire. Mais, deja, Isabelle de Montsalvy l'avait enveloppee de ses bras, serree contre elle.
Bouleversee, Catherine sentit des larmes, chaudes et pressees, couler sur son front.
— Ma fille ! balbutia la vieille dame. Tu seras ma fille !
Elles demeurerent un long moment embrassees, rapprochees par leur commun malheur comme aucune joie, aucune vie de gloire et d'orgueil n'aurait su le faire. Ils etaient loin, cette nuit, les dedains d'Isabelle pour l'humble boutique de Gaucher Legoix ! La douleur de la mere, celle de la femme s'unissaient pour n'en plus former qu'une seule, dechirante, mais les larmes mises en commun emportaient toutes les barrieres et trempaient deja le ciment d'une tendresse profonde.
La louve, dans les lointains du bois, hurla encore. Les bras d'Isabelle se serrerent plus etroitement autour des epaules de Catherine qui s'etait mise a trembler.