Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги полные версии бесплатно без регистрации TXT) 📗
Mais ce fut une epreuve aussi car elle pouvait voir les coups d'?il menacants qu'echangeaient Bernard d'Armagnac et Pierre de Breze, places non loin l'un de l'autre. Et le plaisir de Catherine fut gache par la crainte que la presence meme du Roi n'arretat pas les deux hommes si leur colere se rallumait. Elle avait l'impression desagreable d'etre assise sur un tonneau rempli de poudre. Aussi fut-elle satisfaite quand le souper prit fin et que l'on revint dans la Grande Salle pour danser.
Son deuil l'en dispensant facilement, elle pria la reine Marie et la reine Yolande, sa mere, de bien vouloir lui permettre de se retirer, permission qui lui fut aussitot gracieusement accordee tandis que deux porteurs de torches etaient charges de l'accompagner a son nouveau logis. Elle quitta la salle, la tete haute, suivie par bien des regards admiratifs.
La chambre qu'on lui avait attribuee se trouvait dans la tour du Tresor et Sara l'y attendait deja, amenee tout a l'heure en meme temps que les bagages. La mine soucieuse de Catherine l'inquieta.
— Tu as ete reine, ce soir, pourquoi cet air inquiet ?
Elle le lui dit, expliquant son desir bien naturel de bavarder un moment avec celui qui revenait de Montsalvy et le fait que le comte d'Armagnac l'en avait empechee.
— Je voudrais tout de meme bien savoir comment va mon fils, s'ecria-t-elle enfin. Je ne pensais pas que cela put risquer de provoquer un duel.
Il y a des moments ou tu ne reflechis pas beaucoup, remarqua Sara.
Ou alors tu crois le comte de Pardiac plus bete qu'il n'est reellement.
Comment n'aurait-il pas ete surpris de voir un aussi grand seigneur qu'un Breze galoper jour et nuit pendant je ne sais combien de temps pour rapporter un vieux parchemin jauni alors que n'importe lequel des chevaucheurs royaux, avec un ordre dument signe du Chancelier, eut suffi ? C'etait une declaration d'amour, cette equipee, comme en sont une autre ces rubans noirs et blancs que le jeune Breze promene partout avec autant d'orgueil que s'il portait Notre Seigneur en personne.
— Et alors ? s'insurgea Catherine mecontente. Que Pierre de Breze se declare mon chevalier et affiche meme son amour, je ne vois pas en quoi cela regarde messire Bernard d'Armagnac ? Le fait d'etre le cousin du Roi ne lui donne pas le droit de s'integrer dans les affaires d'autrui, j'imagine !
Les yeux de Sara se retrecirent tandis qu'elle fixait Catherine.
— Ce n'est pas le cousin du Roi qui s'est mele de tes affaires. C'est l'ami d'enfance de ton epoux, Catherine. Catherine !... deja une fois je t'ai mise en garde contre le penchant qui t'entraine vers le jeune Breze.
Deja il t'incline a l'ingratitude. Tu ne reprochais pas a Cadet Bernard de se meler de ce qui ne le regardait pas lorsqu'il eteignait le bucher de Montsalvy, quand il te donnait Carlat comme demeure. Rappelle-toi l'affection reelle, profonde qui le lie a messire Arnaud. Cet homme-la n'admettra jamais de te voir a un autre. Il a l'instinct du chien qui, en l'absence du maitre, protege son bien. Tu appartiens a son ami et nul ne doit l'oublier.
— Si c'etait mon desir, personne n'aurait rien a dire, fit Catherine sechement.
Elle se sentait mal a l'aise, aussi, bien dans son personnage que dans ces voiles noirs qui emprisonnaient son visage. La nuit de juin etait chaude et elle voulut detacher l'une des mousselines, mais ses doigts nerveux etaient maladroits ; elle se piqua, dechira un morceau du leger tissu.
— Aide-moi donc ! fit-elle avec irritation. Tu vois bien que je n'y arrive pas.
Sara sourit et, calmement, se mit a enlever les epingles l'une apres l'autre. Elle avait fait asseoir Catherine sur un tabouret et, durant un moment, n'ouvrit pas la bouche. Si la colere s'emparait de cette nature hypertendue, il valait mieux la laisser un moment dans le silence pour se calmer. Quand elle l'eut debarrassee du fragile edifice, elle delaca la robe, la lui ota. Puis, lorsque Catherine n'eut plus sur le corps qu'une mince chemise de batiste, elle commenca a brosser les courts cheveux qui bouclaient deja sur le crane de la jeune femme, lui conferant un visage etrange et charmant de patre grec. Alors sentant que Catherine se detendait peu a peu, elle demanda, doucement :
— Puis-je te poser une question ?
— Mais... oui.
— Comment, crois-tu, aurait reagi messire de Xaintrailles en face du sire de Breze ?... ou bien le capitaine La Hire ?
Catherine ne repondit pas et Sara se tint pour satisfaite de ce silence qui, selon elle, etait la meilleure des reponses. Bien sur, l'irascible La Hire eut provoque sur place, roi ou pas roi, l'impudent osant afficher pour la femme de son ami un amour qu'il eut certainement juge indecent. Quant a Xaintrailles, Catherine imaginait sans peine l'eclair de colere de ses yeux bruns, le menacant sourire qui retroussait ses levres comme les babines d'un loup. Et elle avait trop d'honnetete pour ne pas comprendre que le droit eut ete de leur cote, mais elle n'admettait pas qu'on la traitat en irresponsable, en petite fille incapable de se conduire et qu'il fallait surveiller. Le besoin d'affirmer son independance s'empara d'elle, imperieux, la poussant au defi.
Lorsqu'elle fut coiffee, elle se fit donner une robe d'interieur de leger cendal blanc, frais et bruissant, que retenait sous la poitrine une haute ceinture d'argent, toucha ses levres d'un peu de rouge puis se tourna vers Sara et lui lanca un regard plein de defi.
— Va me chercher messire de Breze ! ordonna-t-elle.
La stupeur rendit Sara muette un instant. Puis elle devint tres rouge, repeta :
— Tu veux que...
... Que tu ailles me le chercher, mais oui, fit Catherine avec un sourire. Je veux lui parler sur l'heure. Et arrange-toi pour que Cadet Bernard ne le suive pas comme un limier. Rassure-toi, tu pourras assister a notre entretien.
Sara hesita un instant. Elle avait bonne envie de refuser, mais elle savait Catherine capable d'y aller elle- meme.
— Oh ! repliqua-t-elle enfin, apres tout, ce sont tes affaires. Cela te regarde.
Elle opera une sortie pleine de dignite qui arracha un nouveau sourire a la jeune femme. Sa vieille Sara connaissait a merveille l'art des attitudes et cultivait la tragedie avec un rare bonheur... C'etait sa maniere, a elle, de protester.
Quelques instants plus tard, la zingara revenait avec un Pierre de Breze pale de joie, qui, le seuil a peine franchi, se jeta aux pieds de Catherine dont il saisit les mains pour les couvrir de baisers.
— Ma douce dame ! Le desir de vous approcher me devorait.
Vous l'avez senti et vous m'avez fait appeler. Comme je suis heureux
!...
Il brulait de passion, pret de nouveau a toutes les folies, et Catherine, un instant, gouta le plaisir de voir, si etroitement enchaine a ses pieds, ce jeune lion dont la force s'alliait a la beaute. Quelle femme n'eut ete flattee d'inspirer pareil amour a un homme tel que lui
?... Elle n'en remarqua pas moins que Sara, malgre les paroles desabusees qui avaient marque sa sortie, s'etait installee au fond de la chambre, debout dans l'ombre des rideaux du lit, les mains nouees sur son ventre, invisible mais presente dans une attitude pleine de determination qui n'annoncait rien de bon. Il valait mieux ne pas exciter sa colere.
— Relevez-vous, messire, dit-elle gentiment, et asseyez-vous pres de moi sur ce banc. Je voulais vous voir sans temoins... d'abord pour vous remercier d'etre alle jusqu'a Montsalvy alors que vous eussiez pu laisser partir un chevaucheur de la Grande Ecurie. C'est une delicate pensee et je vous en sais gre.
Pierre de Breze secoua sa tete blonde et sourit.
Vous n'auriez pas voulu que je laisse un etranger s'occuper de ce qui vous touche de si pres ? Je voulais qu'outre ce parchemin vous receviez, de ma bouche, des nouvelles des votres dont vous devez languir.
Un sourire de bonheur entrouvrit les levres de Catherine.