Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги полные версии бесплатно без регистрации TXT) 📗
Arrives dans l'embrasure d'une fenetre, Bernard s'arreta, fit face a Catherine et, soudain grave, demanda :
— Ou est-il ? Qu'est-il devenu ?
Elle palit, le regarda avec une sorte d'effarement.
— Arnaud ? Mais... ne le savez-vous pas ? Il n'est plus.
— Je n'en crois rien, repliqua-t-il avec un geste violent qui repoussait l'image funeste un instant evoquee.
Il s'est passe a Carlat quelque chose que je ne comprends pas. Hugh Kennedy, que j'ai vu, est muet comme une carpe ; chacun ici jure qu'Arnaud est mort. Mais moi. je suis sur du contraire. Dites-moi la verite, Catherine, vous me la devez.
Elle hocha la tete tristement, repoussant d'un doigt machinal le voile noir qui venait froler sa joue.
— C'est une affreuse verite, Bernard, pire que la mort. Je vous la dois, en effet, et pourtant je voudrais que vous ne me la demandiez pas. Elle est si cruelle ! Sachez pourtant que, pour le monde entier, mon epoux est mort.
— Pour le monde entier mais pas pour moi, Catherine. Je suis comme vous. Voici seulement quelques jours qu'a nouveau je suis admis dans cette cour. Jusque-la je guerroyais au nord de la Seine, avec La Hire et Xaintrailles. Eux aussi refusent la mort inexplicable, inexpliquee de Montsalvy.
— Comment se fait-il qu'ils ne soient point ici ? demanda Catherine pour tenter de faire diversion. J'aimerais les revoir.
Mais le comte de Pardiac ne voulait pas etre detourne de son sujet.
Il repondit brievement :
— Ils combattent Robert Willoughby sur l'Oise. Si je n'avais ete avec eux, je fusse retourne a Carlat. J'en suis seigneur, souvenez-vous-en, et j'aurais bien su arracher la verite a ceux du chateau, au besoin par la torture.
— La torture ! La torture ! Vous ne connaissez donc tous que cet abominable moyen ? riposta Catherine avec un frisson.
— Les moyens sont ce qu'ils sont, repondit-il tranquillement ; l'important, c'est le resultat. Parlez, Catherine, vous savez bien que tot ou tard je saurai. Et je vous gage ma foi de gentilhomme que votre secret sera bien garde. Vous savez que ce n'est pas une vaine curiosite qui m inspire.
Elle le devisagea un moment. Comment douter de sa sincerite apres tout ce qu'il avait fait pour eux ? Elle eut un geste rempli de lassitude.
— Je vais vous le dire. Aussi bien, qu'importe...
Il lui fallut fort peu de mots pour apprendre a Cadet Bernard l'affreuse verite d'Arnaud. Mais quand elle se tut, le prince gascon etait bleme. Il essuya d'un revers de sa manche de brocart dore la sueur qui coulait de son front. Et, brusquement, il rougit de colere, darda sur la jeune femme un regard furieux.
— Et vous l'avez laisse dans cette ladrerie campagnarde, au milieu des rustres, s'y detruire lentement ! Lui, le plus fier de nous tous ?
— Que pouvais-je faire ? s'ecria Catherine tout de suite revoltee.
J'etais seule contre la garnison ; contre le village... Il fallait qu'il en fut ainsi. Il l'a voulu lui- meme. Oubliez-vous que nous n'avions plus rien, plus d'autre asile que ce Carlat que nous vous devions ?
Bernard d'Armagnac detourna la tete, haussa les epaules, puis jeta sur Catherine un regard incertain.
— C'est vrai. Pardonnez-moi... mais, Catherine, il ne peut pas rester la. N'est-il pas possible de l'installer dans quelque chateau ecarte, de l'y faire servir par quelques serviteurs devoues ?
— Qui oserait se devouer quand il s'agit de la lepre ? murmura Catherine, et pourtant, je crois, oui, je crois que ce serait possible.
Mais ou ? Il ne veut pas s'eloigner de Montsalvy.
— Je trouverai, je vous dirai... Dieu Tout-Puissant ! Je ne puis supporter l'idee de le savoir la ou il est.
Les larmes monterent aux yeux de Catherine qui, sa joie envolee, balbutia :
— Et moi ? Croyez-vous que je puisse l'endurer ? Pourtant, voila des mois qu'elle me torture, cette idee. Si je n'avais un fils, je serais partie avec lui, je ne l'aurais jamais laisse seul. Que m'importait de mourir, meme de cet abominable mal, si c'etait avec lui ? Mais j'ai Michel... et Arnaud m'a repoussee. J'avais une tache a accomplir.
Maintenant, a dire vrai, elle l'est.
Cadet Bernard la regarda avec une curiosite avide en mordillant ses levres minces.
— Alors, qu'allez-vous faire ?
Elle n'eut pas le temps de repondre : une haute silhouette vetue de bleu se dressait aupres d'eux tandis qu'une voix seche demandait :
— Feriez-vous pleurer Madame de Montsalvy, seigneur comte ? Il y a des larmes dans son regard.
— Vous avez de bons yeux, a ce qu'il parait, retorqua Bernard avec hauteur, mecontent d'etre derange. Puis-je vous demander en quoi cela vous regarde ?
Mais, si l'intrusion de Breze avait choque Bernard d'Armagnac, le ton de Bernard parut deplaire souverainement au seigneur angevin.
— Aucun des amis de dame Catherine n'aime la voir souffrir.
— Je suis de ses amis plus que vous ne le serez jamais, messire de Breze, et, ce qui vaut mieux, je suis celui de son epoux.
— Vous etiez, rectifia Breze. Ignorez-vous que le noble Arnaud de Montsalvy est mort glorieusement ?
— Votre attitude pleine de sollicitude envers sa ... veuve laisse supposer que cela ne vous chagrine guere. Quant a moi...
Le ton s'envenimait. Catherine, effrayee par la querelle qu'elle sentait venir, s'interposa :
— Messeigneurs ! Je vous en prie ! Vous n'allez pas marquer d'une altercation mon retour en grace ? Que dirait le Roi, que diraient les reines ?
L'attitude brusquement agressive de Bernard l'etonnait. Mais elle savait depuis longtemps que la vieille rivalite entre seigneurs du Nord et du Midi subsistait. Ces deux-la devaient se detester tandis qu'elle n'etait sans doute qu'un pretexte. Les deux hommes se turent, mais le regard qu'ils echangerent prouvait qu'ils avaient de la mauvaise humeur de reste. Ils s'affrontaient en silence, comme deux coqs de combat. Catherine comprit qu'ils brulaient d'envie de vider leur querelle, qu'elle ne les retiendrait pas longtemps. Instinctivement, elle chercha du secours autour d'elle, apercut Tristan l'Hermite qui se tenait modestement dans un coin et lui adressa des yeux un appel muet. Il accourut, souriant, aimable.
— La reine Yolande vous cherchait, dame Catherine ; vous plait-il que je vous mene a elle ?
Helas, Pierre de Breze etait bien decide a garder Catherine pour lui.
Il adressa a Tristan un sourire sec.
— Je vais la mener moi-meme, dit-il vivement.
Et, en voyant Cadet Bernard ouvrir la bouche, Catherine desolee comprit que tout allait recommencer. Pourtant elle mourait d'envie d'interroger Pierre. Il revenait de Montsalvy, il devait avoir tant de choses a lui dire ! Mais comment s'isoler avec lui sous le regard mefiant de Cadet Bernard qui semblait s'etre constitue le defenseur des droits d'Arnaud ? Heureusement, a cet instant precis, les serviteurs du chateau cornerent l'eau et, au meme moment, le Grand Maitre de l'Hotel du Roi s'approcha de Catherine.
— Le desir de notre sire est que vous soupiez a sa table, Madame.
Permettez-moi de vous conduire.
Un soupir de soulagement degonfla la poitrine de Catherine. Elle adressa au comte de Vendome un sourire plein de gratitude et, acceptant la main que lui offrait le vieux gentilhomme, elle adressa un bref salut aux deux adversaires, un sourire a Tristan et s'eloigna vers la salle du banquet.
Le souper royal fut, pour Catherine, a la fois un triomphe et une epreuve. Un triomphe parce qu'assise a la droite de la reine Marie elle etait le point de mire de tous les regards. Dans ses severes voiles noirs, sa beaute eclatait au milieu des satins clairs, des chairs laiteuses des belles revelees par les profonds decolletes, des pourpoints rebrodes de fleurs ou de devises precieuses, comme le malfaisant diamant noir avait brille parmi les pierreries de Garin.
Continuellement, le regard du Roi se tournait vers elle. Il lui faisait porter des mets pris a son propre plat et l'echanson royal lui servait le meme vin qu'au souverain, ce cru d'Anjou qu'il aimait entre tous.