Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗
Le c?ur de Catherine battit plus fort mais plus regulierement. Marie l'avait devinee et, tout naturellement, proposait ce qu'elle hesitait a lui demander. Elle prit la main de la petite dans la sienne.
— Est-ce que tu te rends compte, Marie, que tu vas risquer ta vie dans cette affaire ? Si l'on vient pendant que je serai absente...
— Je dirai que tu m'as attaquee, ficelee. Ce n'est pas difficile de ligoter quelqu'un ici. Le tissu fin et solide ne manque pas. Si l'on vient, je serai a couvert... ou a peu pres. Si l'on ne vient pas, tu me delieras en revenant, si tu reviens, et tout sera dit !...
— Comment expliqueras-tu mon absence si Morayma apparait ?
— Je dirai que tu etouffais ici et que tu voulais absolument respirer.
— Au point de te ficeler pour prendre tes vetements ?
— Pourquoi pas ? Si tu savais les idees invraisemblables que l'ennui souffle aux femmes, dans ce harem, tu saurais que Morayma ne s'etonne plus de rien ! Malgre tout, prends garde ! Ce que tu vas faire est extremement dangereux. Vouloir parler au chevalier franc, c'est chercher la mort. Si Zobeida te surprend, rien, pas meme la pensee de la colere de son frere, ne pourra te sauver de sa fureur.
Dans ces instants-la elle devient sourde, aveugle a tout ce qui n'est pas sa haine.
— Tant pis ! Qui ne risque rien n'a rien. Ce qui me tourmente, c'est comment je franchirai les postes de garde. Le jardin prive de Zobeida est sur l'autre face de son logis, n'est-ce pas ? Et j'ai entendu dire que mon epoux y habitait un pavillon isole.
— En effet. On l'appelle le palais du Prince parce qu'il a ete construit pour un frere du sultan Muhammad V. Ses murs s'elevent au bord d'un bassin d'eau bleue. Le seigneur franc n'en sort que pour la chasse... et sous bonne garde. Zobeida craint trop que la nostalgie du pays natal ne l'emporte sur ses charmes et elle a fait du Grand Vizir son gardien favori.
— Je croyais qu'il etait epris d'elle ?
— Cruaute bien dans le genre de Zobeida. Banu Saradj execre son rival et espere bien, sans doute, lorsqu'il sera sultan, s'en debarrasser, mais pour le moment rien ne lui importe plus que plaire a sa princesse. Elle ne pouvait choisir meilleur gardien et le sait bien. Mais revenons a notre plan. Ce n'est pas tellement difficile d'atteindre le jardin de Zobeida. Il y a, pres de ma chambre, une petite porte toujours fermee a clef, mais facile a ouvrir avec une lame de fer et un peu d'habilete. Elle donne sur les jardins. Un mur isole celui de Zobeida, mais il est assez bas et quelqu'un de souple peut le franchir aisement en s'aidant des branches des cypres qui le bordent. Tu dois etre capable de faire cela, apres toutes tes aventures.
— Je le suis. Mais si le mur est si aise a franchir, pourquoi donc mon epoux ne fuit-il pas ?
— Parce que le palais du Prince est garde, etroitement, par les plus fideles eunuques de Zobeida. Ils sont nombreux, aveuglement fideles, et leurs alfanges 1 tranchent net.
Ce n'etait evidemment pas rassurant. Catherine, negligeant cependant le detail inquietant, se fit expliquer soigneusement le chemin a suivre pour gagner d'abord la chambre de Marie sans eveiller la curiosite, puis, de la, la fameuse petite porte que la jeune odalisque lui decrivit avec un soin minutieux.
— On dirait que tu la connais bien ! remarqua Catherine.
— Il pousse, dans les jardins du Calife, d'enormes prunes particulierement savoureuses et reservees a sa seule table... et je suis affreusement gourmande !
Catherine ne put s'empecher de rire. Les deux amies continuerent a bavarder en attendant que le jour baisse.
Le plan qu'elles avaient elabore ne pouvait s'executer sous la grande lumiere du soleil, mais les heures, a partir de cet 1 Cimeterre mauresque.
Instant, parurent longues a Catherine, d'autant plus pressee de se lancer vers son epoux que l'approche de chaque nuit la mettait au supplice.
Elle savait trop comment Zobeida employait le temps nocturne.
Elle vit s'eteindre le jour avec un reel soulagement. Quand ses esclaves apparurent avec les plateaux du souper, elle leur ordonna de tout laisser la et de disparaitre.
— Nous reviendrons pour t'aider a te mettre au lit, maitresse, fit la principale servante.
— Non. Je me coucherai seule. Mon amie restera encore un moment aupres de moi. Nous voulons que l'on nous laisse en paix.
Previens Morayma que je la dispense de sa visite du soir. Je n'ai besoin de rien, que de tranquillite. Tu peux eteindre une partie des lampes. La grande lumiere me blesse.
— Comme tu voudras, maitresse ! Je te souhaite une agreable nuit
!
Des que les esclaves eurent disparu, laissant les deux femmes dans une douce penombre, Catherine et Marie grignoterent quelques boulettes de mouton et des gateaux au miel, puis se mirent en devoir d'executer leur plan. Marie depouilla tous ses vetements, les tendit a Catherine qui lui passa les siens. Elles etaient sensiblement de la meme taille, mais Catherine etait un peu plus mince. Elle dut serrer davantage autour de ses hanches la ceinture du pantalon de mousseline bleu de nuit qu'avait porte Marie. Ensuite, a l'aide de longs voiles dechires, les deux femmes confectionnerent des liens dont Catherine emprisonna son amie apres l'avoir couchee dans son lit. — N'oublie pas de me baillonner ! precisa Marie. Sinon, ce ne serait pas convaincant !
Une echarpe de soie fit l'affaire, mais, avant que sa compagne lui fermat la bouche, Marie recommanda :
Surtout, reste voilee, meme si le voile est encombrant pour franchir un mur. Si tu ne montres pas ton visage, ton cas sera moins grave au cas ou tu serais prise. Pas beaucoup moins, bien sur, mais il faut mettre toutes les chances de ton cote. Maintenant, que Dieu te garde !
— Toi aussi, Marie. Sois tranquille, je n'oublierai pas ma promesse envers toi, sauf si je meurs !
— Cela va de soi. Mets le baillon maintenant et serre !
Apres s'etre assuree que la prisonniere n'etait tout de meme pas trop mal installee, car sa captivite pouvait durer plusieurs heures, Catherine se pencha vers elle, l'embrassa sur le front et vit les yeux de Marie briller plus fort dans l'ombre. Puis elle tira soigneusement autour d'elle les rideaux roses et s'eloigna de quelques pas pour juger de l'effet. La legere couverture de soie fine montait jusqu'au nez de Marie et, dans l'ombre de la chambre, l'illusion etait parfaite...
Catherine s'enveloppa du voile bleu de son amie. Elle ne portait dessous que le pantalon et une courte brassiere a manches courtes emprisonnant les seins et s'arretant juste au-dessous. Malgre le voile, sa liberte de mouvements etait suffisante et, apres un adieu chuchote, elle se dirigea d'un pas assure vers la porte.
D'instinct, les gardes croiserent leurs lances, mais elle murmura, imitant de son mieux la voix de la jeune fille :
— Je rentre chez moi. Laissez-moi passer. Je suis Aicha !
L'un des eunuques tourna vers elle sa large face noire au nez camus et ricana.
— Tu rentres bien tard, Aicha ! Que fait la favorite ?
— Elle dort ! fit Catherine inquiete de ce questionnaire inattendu.
Laisse-moi passer.
— Il faut que je m'assure que tu n'emportes rien, fit-il en posant sa lance contre le mur. La favorite a recu de fabuleux tresors...
Les mains noires se mirent a la palper avec une insistance et une indiscretion qui firent naitre, chez la jeune femme revoltee, des doutes sur l'absence totale de virilite chez ce Noir. Elle savait deja qu'il existait, chez ces etres repugnants, des castrations incompletes qui leur laissaient d'etranges appetits. Celui-la devait appartenir a la categorie. Mais, comme il cherchait a deboucler sa ceinture pour poursuivre plus loin ses investigations, elle s'emporta.
— Laisse-moi tranquille ! Sinon j'appelle.
— Qui donc ? Mon camarade est sourd, muet et deteste les femmes.
— La favorite ! lanca Catherine audacieusement. Elle est mon amie. Si je l'appelle, elle viendra et alors tant pis pour toi ! Elle demandera surement ta tete au Calife qui ne lui refusera pas un aussi modeste present.