Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗
— Et Jehan ? avait demande Catherine passionnee malgre elle.
Les yeux clairs de la petite avaient eu un eclair meurtrier.
— Si je le retrouve un jour, je le tuerai ! affirma-t-elle d'une voix si paisible que Catherine ne mit pas en doute un seul instant cette affirmation.
Apres quoi, encouragee par la confiance que Marie venait de lui temoigner, elle avait, a son tour, raconte son histoire a sa nouvelle amie.
Cela avait pris un long moment, mais Marie l'avait ecoutee de bout en bout sans l'interrompre. C'est seulement lorsque la jeune femme eut termine son recit que Marie soupira :
— Quelle fabuleuse histoire ! Ainsi le mysterieux Franc est votre epoux ? Et moi qui te... qui vous croyais une pauvre fille comme moi
! Je sais maintenant ou je vous ai vue : c'etait a Dijon ou mon pere m'avait menee a la foire. J'etais bien jeune encore, mais j'ai garde la vision eblouie d'une dame merveilleusement belle et aussi brillante que le soleil.
— Tu dois trouver que j'ai change ! remarqua Catherine avec un peu d'amertume. Et il n'y a aucune raison pour que tu me dises vous.
Il n'y a plus de distance entre nous maintenant...
— Change ? fit la petite avec gravite. Certes, vous avez change, mais, a cette epoque, vos parures empechaient presque d'apprecier votre beaute. Maintenant, elle est plus evidente ! Vous etes differente, voila tout.
— Je t'en supplie, pria Catherine gentiment, ne me traite pas en grande dame ! Simplement en amie, j'en ai bien besoin.
Marie, alors, avait joyeusement consenti a laisser de cote le vous protocolaire et, la glace etant definitivement brisee, les deux jeunes femmes s'etaient retrouvees complices, liees l'une a l'autre aussi etroitement que par un lien du sang. Marie, venue moitie par des?uvrement, moitie par curiosite, se retrouva devouee a Catherine corps et ame, son alliee pour le meilleur et pour le pire.
— Promets-moi, si tu fuis, de m'emmener avec toi et je ferai tout pour t'aider ! Tu dois tellement souffrir a cause de Zobeida.
— Si je quitte ce palais et cette ville, tu me suivras, je le jure.
Alors, la jeune fille avait fourni a sa nouvelle amie quelques renseignements pleins d'interet.
— Tu es en danger, lui dit-elle. Si le Calife ne revient pas, tu ne vivras pas une heure de plus.
— Pourquoi ne reviendrait-il pas ?
— Parce qu'Aben-Ahmed Banu Saradj, le Grand Vizir, le hait presque autant qu'il desire Zobeida dont il etait l'amant avant l'arrivee du chevalier franc. Il desire aussi s'emparer du trone pour y faire monter la princesse avec lui... et cette soi-disant expedition de Yusuf, l'ancien Calife, pere de Muhammad, contre son fds, ne me dit rien qui vaille. Les deux hommes ne s'aiment pas, mais Yusuf est las du pouvoir. Il faut la naivete de son fils pour croire qu'il souhaite lui reprendre un trone abandonne de son plein gre. La naivete et les insinuations de Banu Saradj !... Je crains fort que le Maitre ne soit alle au-devant d'une embuscade bien montee.
— Alors ? fit Catherine en palissant, je suis perdue ?
— Pas encore ! Muhammad est naif mais valeureux. C'est un guerrier, il peut s'en tirer. C'est pourquoi Zobeida se contente de te faire surveiller. Si son frere revient, elle n'aura fait que veiller, un peu trop soigneusement peut-etre, sur la favorite de son frere bien-aime.
Et si la nouvelle de la mort du Calife arrive ici, tu ne vivras pas une heure de plus !
— Pourquoi ? Que lui ai-je fait ?
— Toi, rien. Mais Zorah l'Egyptienne s'est chargee de toi. Elle est bien vue de la princesse envers laquelle elle a toujours montre une ec?urante servilite. Et, comme Zorah veut ta mort a tout prix, elle a fait preuve d'imagination... je pourrais presque dire de genie puisqu'elle a, sans le savoir, decouvert la verite !...
— Que veux-tu dire ?
— Qu'une seule personne ose s'opposer au Calife : Zobeida. Il fallait te faire d'elle une ennemie impitoyable. Pour cela, un seul moyen : sa jalousie envers tout ce qui touche le capitaine franc. Zorah, jouant sur le fait que tu viens du meme pays, a insinue a la princesse que tu etais eprise de son prisonnier et que tu cherchais a l'approcher !
Catherine poussa un cri de terreur, vite etouffe sous sa main tremblante.
— Elle a dit que... mon Dieu ! Mais je suis perdue ! Comment se fait-il que je n'aie pas encore ete livree ?...
— Aux bourreaux mongols ? C'est bien ce qu'esperait Zorah, connaissant le temperament de Zobeida. Mais la princesse n'est pas folle : te tuer, toi dont le Calife s'est si passionnement epris des le premier regard, tandis qu'il etait absent, c'etait avouer sa participation au complot de Banu Saradj, c'etait proclamer qu'elle esperait bien ne plus le revoir vivant. S'il revient, il te retrouvera donc intacte, mais sois certaine que tu ne jouiras pas longtemps de ses caresses. Tu n'auras pas a craindre les bourreaux, mais il t'arrivera quelque accident assez bien organise pour que Zobeida ne soit pas soupconnee. Elle connait son frere et sait que, sous l'apparente douceur d'un poete, il cache un gout de la sauvagerie digne de sa s?ur. Ses coleres sont rares mais dangereuses. Et le desir qu'il a de toi est violent... Si j'en crois tout ceci !
De la main, Marie designait un rouleau de papier enveloppe d'une housse de velours constellee de saphirs et contenant des poemes que Muhammad envoyait a sa bien-aimee. Les jours precedents, Catherine avait recu, de la sorte, une aigrette blanche retenue par une boucle de grosses perles roses, une cage d'or pleine de perruches bleues et une extraordinaire ?uvre d'art : un paon d'or massif deployant l'eventail d'une queue toute de pierreries.
— C'est d'ailleurs assez rassurant, conclut Marie. Cela prouve au moins que le Commandeur des Croyants est toujours en vie... qu'Allah veuille l'y conserver !
Les esclaves apportant le repas des deux femmes avaient interrompu leurs confidences. Mais, tandis que Marie faisait joyeusement honneur aux nombreux plats qu'on lui servait, Catherine tombait dans une reverie profonde dont Marie se garda bien de la tirer. Sa situation etait pire encore qu'elle ne l'avait imaginee. A tout instant pouvait arriver la nouvelle de la mort de Muhammad... et alors !... Dieu seul savait combien de minutes il lui resterait a vivre. Elle n'aurait meme pas la possibilite d'avertir Arnaud et elle mourrait pres de lui sans meme qu'il s'en doutat. Quant a ses amis ; comment les appeler a son aide ?
Josse, enrole dans les troupes du Calife, etait a l'Alcazaba, mais le moyen de lui envoyer un messager ? Pouvait-elle faire appeler Fatima aupres d'elle, lui confier une lettre pour Abou-al-Khayr ? La lettre parviendrait-elle ? Et, toujours, revenait la meme question torturante : aurait-elle le temps ?
Marie, qui avait fini son sorbet, commencait a picorer de grosses dattes luisantes de sucre, bien decidee a ne pas interrompre la meditation de Catherine, quand, brusquement, celle-ci se retourna sur le dos et planta son regard dans les yeux de la jeune fille.
— Puisqu'il en est ainsi, declara-t-elle calmement, je n'ai plus un instant a perdre. Il faut agir aujourd'hui meme.
— Que vas-tu faire ?
Catherine ne repondit pas tout de suite.
Au moment de prononcer les paroles decisives, elle s'accorda le temps d'une ultime hesitation parce que tout de meme c'etait sa vie qu'elle allait jouer et parce que cette fille lui etait encore a peu pres inconnue. Mais la petite Marie posait sur elle des yeux si clairs, si francs que la legere prevention demeuree en Catherine s'envola. Si elle ne pouvait faire confiance a cette petite, en verite elle ne pourrait plus accorder creance a personne. Aussi bien, le temps pressait. Elle se decida.
— Il faut que je sorte d'ici, que je voie mon epoux...
— C'est l'evidence.. Mais comment ? A moins que...
— A moins que ?
— A moins que nous ne changions de vetements et que tu ne sortes a ma place. Ce costume a du bon : pour savoir ce qu'il y a au juste dans leurs paquets de voiles il faut etre malin, d'autant plus que nous avons la meme nuance de peau et qu'en baissant les paupieres la couleur des yeux ne se voit pas.