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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗

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« Quant au flacon, il contient un poison rapide. Le sage prevoit toujours qu'il peut echouer... et les bourreaux mongols de la princesse savent trop bien comment jouer des symphonies de souffrance sur les pauvres harpes humaines... »

Il n'y avait, bien entendu, aucune signature. Catherine se hata de bruler la lettre sur les charbons du grand brule-parfum de bronze pose au centre de la piece. Elle etait ecrite en francais, mais ce palais recelait trop de surprises pour ne pas la detruire... Catherine regarda le papier de coton se tordre, noircir et se changer en une fine cendre.

Elle se sentait infiniment mieux, l'esprit plus libre, plus leger.

Maintenant qu'elle etait armee, les chances lui semblaient plus egales puisqu'elle avait le pouvoir de frapper cette arrogante Zobeida et l'arracher definitivement des bras d'Arnaud, quitte a la suivre aussitot dans la mort.

Serrant contre son c?ur l'acier froid de l'arme, Catherine se laissa glisser de nouveau sur ses coussins. Il lui fallait reflechir posement a ce qui allait suivre !...

Accroupie sur un enorme coussin de cuir brode, Marie, la jeune odalisque francaise, sucait un sorbet a la rose avec des graces de jeune chat. Elle observait silencieusement Catherine qui, etendue a plat ventre, le menton dans ses paumes, reflechissait sombrement a son sort. A cette heure de la sieste, le palais tout entier etait plonge dans le silence et le repos. Seules bougeaient un peu les esclaves chargees d'agiter les immenses eventails de plumes au-dessus des belles endormies. Dans l'air brulant du dehors, les plantes elles-memes semblaient petrifiees.

La visite de Zobeida, vieille maintenant de trois jours, avait aneanti tous les projets de Catherine. Non contente de lui interdire l'approche de ses appartements, la princesse avait pris des dispositions speciales concernant sa voisine.

En effet, quand la jeune femme avait voulu quitter son appartement pour se rendre au jardin avec ses suivantes, elle avait vu soudain deux lances se croiser devant elle tandis qu'une voix gutturale lui intimait l'ordre de rentrer dans sa chambre. Et, comme elle s'insurgeait contre cette claustration forcee, l'eunuque charge specialement de sa surveillance lui avait appris qu'en l'absence du Calife la tres precieuse favorite devait etre surveillee jours et nuits de crainte qu'il ne lui arrivat malheur.

— Malheur ? Dans ce jardin ?

— Le soleil brule, l'eau noie, les insectes piquent et la vipere porte la mort ! avait replique le Noir sans s'emouvoir. Les ordres sont formels. Tu dois demeurer chez toi.

— Jusqu'a quand ?

— Jusqu'a ce que le Maitre revienne.

Catherine n'avait pas insiste. Aussi bien, l'etrange sollicitude de Zobeida avait de quoi l'inquieter car elle ne s'illusionnait guere sur les sentiments que lui portait la princesse : sans meme la connaitre, Zobeida, d'instinct

sans doute, la haissait aussi farouchement qu'elle- meme le faisait.

Alors pourquoi cette garde attentive, ces consignes severes ? Zobeida ne pouvait deviner les liens qui l'attachaient a Arnaud. Elle n'etait, pour Faitiere princesse, qu'une esclave de plus, une femme comme les autres, meme si le caprice du prince l'elevait un instant au-dessus de ses pareilles. Craignait-elle tant que son captif, en apercevant seulement la nouvelle venue, ne s'y interessat par trop ? Etait-ce le seul fait que Catherine appartint au meme peuple qu'Arnaud qui motivait ses agissements ? La simple crainte des bourreaux aurait du suffire, normalement, a retenir la favorite loin du logis de la princesse... Depuis trois jours, l'esprit de Catherine s'etait acharne a trouver des reponses a toutes ces questions mais en vain. Morayma, interrogee, etait devenue curieusement discrete. Elle faisait le dos rond, semblait chercher a se faire aussi petite que possible et ne levait plus sur Catherine qu'un regard ou l'espoir se melait a une crainte insurmontable. Ses visites etaient d'une remarquable brievete. Elle venait s'enquerir de ce que pouvait desirer la jeune femme et disparaissait avec une hate visible. En verite, Catherine n'y comprenait plus rien, mais, vivant dans la crainte d'apprendre le depart de Zobeida, et d'Arnaud par consequent, pour les terres lointaines du Maghreb, elle en arrivait peu a peu a l'epuisement de sa resistance nerveuse. Les nuits surtout, au cours desquelles son imagination affolee servait sa jalousie, etaient insupportables et Catherine etait a deux doigts de se jeter, tete premiere, dans le premier coup de folie qui lui passerait par la tete, quand, dans la matinee du quatrieme jour, elle avait vu arriver Marie-Aicha, etroitement voilee suivant la tradition, mais souriante.

— J'ai pense que tu t'ennuyais, lui dit la jeune femme en rejetant son voile, et Morayma n'a pas fait trop de difficultes pour me permettre de venir ici.

— Les eunuques t'ont laissee passer ?

— Pourquoi pas ? Ils ont ordre de t'empecher de sortir, mais tu peux recevoir des visites.

La presence de Marie avait fait du bien a Catherine. C'etait une presence amicale et, de plus, la jeune fille venait du meme pays qu'elle

: la Bourgogne. Avec stupeur, Catherine, en l'ecoutant raconter son histoire, avait decouvert avec la sienne propre plus d'une analogie. En effet, cette jolie fille de vigneron beaunois avait eu la malchance d'attirer l'attention d'un sergent du duc Philippe. Cet homme, jouissant de la faveur de son maitre, avait demande que Marie Vermeil lui fut donnee pour epouse et l'ordre etait venu, dans la petite maison de Beaune, de preparer la noce. Marie aurait peut-etre pris la chose avec philosophie car le sergent, Colas Laigneau, etait plutot beau garcon, si elle ne s'etait eprise, depuis longtemps deja, d'un sien cousin Jehan Goriot auquel elle avait jure foi et amour.

Jehan etait un assez mauvais sujet, toujours a court d'argent, mais jamais a court de filles et revant d'aventures fabuleuses. Il avait la langue bien pendue, l'imagination fertile et, aupres de lui, Marie revait tout eveillee. Tel qu'il etait, malgre ses nombreuses infidelites, elle l'adorait, et quand l'ordre du duc etait venu lui enjoindre d'epouser Colas, Marie s'etait affolee, avait supplie Jehan de l'enlever et de fuir avec elle vers ces pays du Sud, pleins de soleil et de fleurs, dont il lui rebattait les oreilles depuis qu'un menestrel de passage lui en avait parle.

A sa maniere, Jehan aimait Marie. Elle etait belle et sage. Il la desirait ardemment et l'idee de l'enlever, surtout en la soufflant a un autre, lui souriait. Mais il fallait de l'argent. C'est alors qu'ils avaient commis leur mauvaise action : Marie avait emprunte la moitie des economies de son pere, sans l'en avertir bien entendu, tandis que Jehan devalisait la maison du bailli parti pour une journee sur ses terres de Meursault. La meme nuit, une nuit bien sombre, les deux amants avaient fui vers la Saone pour ne plus revenir. Mais Marie, qui avait cru partir vers le bonheur, n'avait pas tarde a dechanter.

Certes, Jehan lui avait appris l'amour et elle y avait pris gout, mais, en se donnant a lui, Marie avait perdu, peu a peu, toute valeur aux yeux de son amant. Et puis, elle l'aimait trop, elle finissait par l'ennuyer. Enfin, les yeux noirs des belles filles du Midi avaient attire le garcon qui n'avait plus eu qu'une idee : se debarrasser de Marie qui ne cessait de parler mariage. Et il avait trouve pour cela le plus bassement abject des moyens ; speculant sur la beaute fraiche de sa fiancee, il l'avait vendue a un trafiquant grec de Marseille qui, enlevant la jeune fille nuitamment, l'avait embarquee sur sa nef marchande et l'avait revendue, au marche des esclaves d'Alexandrie, au pourvoyeur sarrasin du Calife de Grenade.

— Voila comment je suis arrivee ici, conclut Marie avec simplicite. Bien souvent, j'ai regrette mes noces bourguignonnes... et la maison de mes parents. Ce Colas n'etait peut-etre pas un mauvais homme, j'aurais pu etre heureuse!

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