Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
— Moi ? Je partagerai le quartier de cheval que rapportera Gauthier.
Le Normand, comme Montsalvy, refusa de toucher au contenu de la corbeille, mais Escorneb?uf et le seul Gascon qui lui restait, un petit bonhomme dont le visage simiesque etait secoue de tics continuels et que l'on nommait Fortunat, devorerent en hommes qui n'ont pas mange a leur faim depuis longtemps. On fit ; donc bombance dans la grotte des fosses de Ventadour. Puis Arnaud organisa les tours de garde et prit le premier. Il alla s'installer aupres du feu, ses longues jambes repliees, les bras noues autour des genoux. Niche sur le sein opulent de Sara qui somnolait assise contre la paroi rocheuse, le bebe dormait de toutes ses forces. Catherine, la derniere bouchee avalee, avait enfin sombre dans un sommeil sans reves. Les hommes dormaient aussi, lourdement, couches a meme la terre nue, comme des betes harassees. Dans la campagne, tout etait silence. L'alerte etait passee. Le voyage, maintenant, ne serait plus long. Quand pointerait le jour, Arnaud reprendrait Catherine sur son cheval pour lui epargner le froid et les secousses les plus rudes. Bientot, les toits et les creneaux de Montsalvy apparaitraient au bout du grand plateau ou les vents avaient leur royaume. La vieille demeure seigneuriale, riche d'un passe glorieux et de chauds souvenirs, refermerait ses murs autour de cette nouvelle famille que le maitre lui rapportait comme une offrande...
Oubliant pour un temps sa haine et ses desirs de vengeance, Arnaud de Montsalvy sourit tendrement au feu qui defendait du froid ces deux etres, maintenant toute sa vie, puis son regard alla chercher le ciel noir dans la dechirure des rochers.
« Loue sois-tu, mon Seigneur, pour frere feu par qui tu illumines la nuit ! Il est beau et joyeux, indomptable et fortLoue sois-tu, mon Seigneur, pour l'epouse et pour le fils que tu m'as donnes... »
I . Le Cantique du Soleil,de saint Francois d'Assise.
Six jours apres avoir quitte Ventadour, la petite troupe reduite a six cavaliers parcourait sous d'incessantes rafales de vent le haut plateau de la Chataigneraie, au sud d'Aurillac. Cette fois, le plein c?ur de l'Auvergne etait atteint et les yeux de Catherine s'ouvraient sur ces vieilles montagnes noires et rudes, si austeres en hiver, mais ou l'inalterable et sombre verdure des sapins mettait une douceur. Elle avait vu des torrents devalant les cotes, des lacs bleu nuit, inquietants par leur silence et leur eau sombre, et des forets qui semblaient ne devoir jamais finir.
Grace a l'air vif, grace aussi aux provisions fournies par l'Espagnol et dont on avait pu emporter une certaine quantite, grace enfin a sa robuste constitution, elle avait repris ses forces avec une etonnante rapidite. Deux jours apres avoir mis son fils au monde, elle reprenait place sur Morgane, malgre les objurgations inquietes d'Arnaud.
— Je me sens forte ! lui disait-elle en riant. Et puis, nous avons assez traine comme cela a cause de moi. J'ai hate d'arriver.
On avait fait halte une journee a l'abbaye benedictine de Saint-Geraud qui commandait Aurillac et dont le seigneur-abbe etait un parent d'Arnaud. La, le jeune Montsalvy avait recu le bapteme des mains de l'abbe d'Estaing. D'un commun accord, ses parents lui avaient donne le nom de Michel, en souvenir du frere d'Arnaud, jadis massacre par la populace parisienne et que Catherine avait follement tente de sauver.
— Il lui ressemblera, affirmait Arnaud en examinant son fils, comme il prenait plaisir a le faire bien souvent.
D'ailleurs, il est blond, comme lui... et comme toi, ajoutait-il avec un regard a sa femme.
Avoir donne le jour a ce qu'Arnaud jurait devoir etre une copie conforme de Michel de Montsalvy, qu'elle avait adore au premier regard, emplissait la jeune femme d'une joie profonde et grave. L'enfant lui devenait plus cher encore.
Pour un bebe age d'une semaine a peine, le petit Michel faisait preuve d'une belle vitalite. Le voyage, malgre le froid et les chutes de neige, ne semblait pas l'incommoder. Continuellement niche dans le vaste giron d'une Sara rayonnante pour qui l'hiver n'existait plus qu'en fonction de ses effets possibles sur le poupon, chaudement enveloppe, un voile leger sur sa minuscule figure, il dormait a poings fermes les trois quarts du temps, ne s'eveillant que pour reclamer son repas d'une voix percante. Les voyageurs, alors, faisaient halte dans quelque coin abrite et l'enfant passait des bras de Sara a ceux de Catherine. Ces moments-la etaient pour la jeune mere des instants merveilleux. Elle avait le sentiment profond qu'il etait bien a elle, fait de sa chair et de son sang. Les doigts minuscules s'agrippaient au sein gonfle qu'on lui offrait et la petite bouche ronde tetait avec une ardeur qui inquietait Arnaud.
— Jeune drole ! grommelait-il, une fois au chateau on te trouvera une vigoureuse nourrice ! Si on te laisse faire, tu devoreras ta mere.
— Rien ne vaut pour un bebe le lait maternel ! objectait Sara doctorale.
— Ouais ! Chez nous, les garcons ont toujours eu des nourrices. Nous sommes de grands devoreurs dans la famille et nos meres peuvent rarement suffire. Moi, j'avais deux nourrices ! concluait-il triomphalement.
Ces petites escarmouches amusaient Catherine qui connaissait bien la raison profonde qu'avait son epoux de proner les nourrices. Arnaud avait bien de la peine a respecter le temps rituel des couches qui oblige un mari a observer l'abstinence charnelle jusqu'aux relevailles. La nuit venue il laissait, bien a contrec?ur, Catherine dormir aupres de Sara et du bebe. Quant a lui, malgre la fatigue de la chevauchee, il s'en allait arpenter les environs, ne rentrant qu'au bout d'une heure ou deux. Catherine, d'ailleurs, connaissait bien l'expression affamee qu'il avait, en la regardant et, lorsqu'elle faisait boire Michel, il demeurait plante devant elle, le regard rive a sa gorge decouverte, cachant ses mains derriere son dos pour qu'elle ne les vit pas trembler.
Le matin meme de ce jour qui ne devait pas s'achever sans que l'on fut enfin au but, Arnaud avait a moitie assomme Escorneb?uf qu'il avait surpris, embusque derriere une porte, tandis que Catherine allaitait Michel. Le colosse n'avait pas entendu venir j Montsalvy. Le visage apoplectique, il se tenait ; accroupi, l'?il au trou de la serrure au-dela de laquelle la jeune femme, se croyant seule avec Sara, dans sa cellule de l'abbaye, ouvrait largement son corsage en souriant a la bohemienne qui bercait le bebe. Le sang devait cogner si fort aux oreilles d'Escorneb?uf qu'il n'avait pas prete attention aux pas rapides d'Arnaud sous les arcades du cloitre. L'instant suivant, le gros ; sergent roulait dans la poussiere en hurlant. D'un magistral coup de poing, Montsalvy lui avait ecrase le nez. Puis il l'avait releve d'un coup de pied au bas du j dos en grondant.
— File d'ici !... Et souviens-toi que, la prochaine ! fois, je te tuerai !
L'autre avait file, l'echine basse, comme un dogue fouette, machonnant des injures entre ses dents. Arnaud n'y avait pas prete attention, mais Catherine s'etait inquietee.
— L'homme est mauvais ! Il faut se mefier de lui...
— Il ne bronchera pas ! Je connais cette engeance. D'ailleurs, une fois a Montsalvy, rien ne sera plus facile que de le mettre au cachot pour le calmer.
Au moment du depart, pourtant, il avait ete impossible de retrouver Escorneb?uf. Malgre sa taille gigantesque, il semblait s'etre soudain volatilise. Personne, dans le couvent, ne l'avait vu. Mais, une fois de plus, Arnaud refusa de s'en soucier.
— Bon debarras ! Apres tout, nous n'avions plus besoin de lui ! dit-il.
Mais il avait tout de meme recommande a l'abbe d'Estaing de faire jeter le Gascon aux fers si jamais le prevot de la ville remettait la main dessus. Il ne lui restait plus, des hommes donnes par Xaintrailles, que le seul et fluet Fortunat, mais, pas plus que les autres, Fortunat ne semblait regretter son chef. Depuis l'incident de la foret de Chabrieres, il s'etait pris pour Gauthier d'une ardente admiration qu'il partageait equitablement avec Catherine en laquelle Fortunat voyait une creature surnaturelle. C'etait une nature simple, sauvage, cruelle par habitude plus que par vocation et, desormais, Fortunat suivait le Normand comme son ombre.