Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги полные версии бесплатно без регистрации TXT) 📗
Du revers de sa manche, La Tremoille essuya la sueur qui coulait sur son visage. Ses yeux luisaient comme braises.
— Les chevaliers du Temple..., balbutia-t-il, la bouche seche.
Continue !
Elle ecarta ses mains enchainees dans un geste d'impuissance.
— On dit encore qu'avant de mourir ils ont eu le temps de cacher la plus grande partie de leurs richesses et que leurs cachettes sont marquees de signes incomprehensibles. L'homme qui interesse la noble dame saurait dechiffrer ces signes.
Un desappointement se peignit sur la figure luisante du gros homme. Visiblement il etait decu et ne tarda pas a le marquer.
Haussant les epaules, il bougonna :
— Encore faudrait-il savoir ou ils se trouvent, ces signes.
Un sourire angelique s'etendit sur le visage de Catherine. Son regard pose sur le gros homme n'etait que douceur candide.
— Je ne devrais peut-etre pas le dire, seigneur, mais vous avez ete si bon avec moi... et la dame si cruelle. Elle m'avait promis la grace de Fero et elle l'a laisse mourir sous le fouet... Je crois qu'elle sait ou se trouvent ces signes... Je l'ai entendue l'autre nuit. Elle croyait que je dormais. Elle parlait d'un chateau ou les chefs des moines-soldats avaient ete emprisonnes, avant de mourir sur le bucher... mais je ne me souviens pas du nom.
Ce fut si artistement dit que La Tremoille perdit toute mefiance, si meme il en avait jamais eu. De nouveau, il empoigna Catherine.
— Souviens-toi, je te l'ordonne... il faut que tu te souviennes ! Est-ce a Paris... dans la grande tour du Temple ? Est-ce la ?... Dis ?
Elle secoua doucement la tete.
— Non... ce n'est pas Paris. Un nom comme... oh, c'est difficile...
un nom comme Ninon...
— Chinon ? C'est ca ? C'est bien Chinon, n'est-ce pas ?
— Je crois que c'est ca, dit Catherine, mais je ne suis pas sure. Est-ce qu'il y a une tres grosse tour ?
— Enorme ! Le donjon du Coudray. Le Grand Maitre du Temple, Jacques de Molay, y a ete enferme avec d'autres dignitaires durant le proces.
— Alors, fit Catherine tranquillement, c'est dans la tour que sont les inscriptions.
Le gros homme s'etait leve, au comble de la surexcitation, allait et venait dans le cachot. Elle le regardait avec une joie sauvage. C'etait Arnaud qui, jadis, lui avait raconte cette histoire. Un soir, apres la ruine de Montsalvy, il avait soupire sur leur misere et lui avait raconte comment un ancien Montsalvy, chevalier du Temple, avait ete charge par le Grand Maitre, avec deux autres Freres, de sauvegarder le fabuleux tresor. Il etait mort, peu apres, la bouche muree sur le secret dont seul le Grand Maitre avait la clef.
— On raconte que, dans sa prison, avait dit Arnaud, dans la grosse tour de Chinon, le Grand Maitre a trace des signes-clefs...
malheureusement indechiffrables. Je les ai vus quand j'etais la-bas, mais, alors, je n'y ai pas tellement prete attention. J'etais riche, insouciant... Maintenant, j'aimerais retrouver le fabuleux tresor, pour reconstruire Montsalvy.
Cette conversation, elle s'en etait souvenue a Angers, quand il s'etait agi de trouver un appat pour attirer La Tremoille a Chinon.
Maintenant l'appat etait lance, le poisson avait mordu... Un profond soulagement s'empara de Catherine. Meme si elle ne sortait pas vivante de ce cachot, elle etait a peu pres certaine que La Tremoille irait a Chinon, que le piege se refermerait sur lui... Et qu'elle serait vengee.
Le c?ur allege, elle le regardait tourner dans sa prison comme un ours en cage et croyait voir cheminer dans ses veines la fievre de l'or, comme un poison. Elle l'entendit murmurer :
— Cet homme... il faut le trouver. Il faut que je sache ! Son nom !..
Ensuite, je saurai bien le faire parler...
— Seigneur, interrompit-elle doucement, me permettez-vous de vous donner un conseil ?
Il la regarda comme s'il etait etonne de la voir encore la. Tout a sa passion, il l'avait oubliee.
— Dis toujours. Tu m'as rendu un grand service.
— Si j'etais vous, seigneur, je ne dirais rien pour ne pas donner l'eveil. J'irais a Chinon, avec la cour... et meme le Roi s'il le faut, et je surveillerais la noble dame. Il est impossible que vous ne decouvriez pas la-bas l'homme qui l'interesse.
Cette fois, le gros visage s'eclaira. Un sourire matois et cruel s'y repandit, effacant les rides comme de l'huile sur l'eau. Il ramassa son sac vide, prit sa lanterne, frappa du poing a la porte.
— Geolier. Eh ! geolier !
Il allait sortir, elle poussa un cri.
— Seigneur ! Ayez pitie de moi ! Vous ne m'oublierez pas, n'est-ce pas ?
Mais, deja, il ne l'entendait plus qu'a peine. Il lui jeta un regard distrait.
— Oui, oui... sois tranquille. J'y penserai. Mais veille a te taire ; sinon...
Elle avait compris. Elle avait tout a coup perdu toute valeur a ses yeux. Devant la fabuleuse perspective doree ouverte devant lui, il en avait oublie jusqu'au gout violent qu'il avait eu pour elle. Qu'elle vive ou qu'elle meure, peu lui importait. Seul comptait le tresor... Demain, cette nuit peut-etre, il ferait partir la cour pour Chinon. Catherine avait accompli sa mission, mais elle etait plus en danger que jamais car, elle en etait certaine, avant de partir, la dame de La Tremoille veillerait a la faire passer de vie a trepas. Et qui pouvait dire si Pierre de Breze et Tristan l'Hermite auraient le temps de venir a son secours
? De nouveau, elle tira la dague de sa robe tachee, pressa l'epervier de la garde contre ses levres tremblantes.
— Arnaud, murmura-t-elle, tu seras venge. J'ai fait tout ce que je devais faire... Maintenant, que Dieu aie pitie de moi!
Mais les dernieres heures de la nuit coulerent, silencieuses, sans amener d'autres visites dans le cachot.
Quand Aycelin penetra dans la prison de Catherine, vers le milieu du jour, portant une ecuelle pleine d'un liquide de couleur incertaine ou nageaient quelques trognons de chou, une cruche et un morceau de pain noir, il semblait tout a fait abattu. Son grossier visage aux traits indecis, aux cheveux ras portait le reflet d'une grande tristesse. Il posa l'ecuelle aux pieds de Catherine avec le pain et l'eau.
— Voila ton diner, fit-il avec un enorme soupir. J'aurais bien aime te donner quelque chose de mieux
parce que tu vas avoir besoin de forces. Mange quand meme.
Du pied, Catherine repoussa l'affreuse soupe dont elle n'avait nul besoin apres la volaille de La Tremoille.
— Je n'ai pas faim, dit-elle. Mais pourquoi dis-tu que je vais avoir besoin de forces ?
— Parce que c'est pour cette nuit. Apres le couvre- feu on viendra te chercher et moi je devrai... Mais tu me pardonneras, dis ?
Ce n'est pas de ma faute, tu sais. Je dois faire mon metier...
La gorge de Catherine se serra. Elle avait compris ce que le bourreau voulait dire. Cette nuit, sous les yeux de la dame de La Tremoille, elle serait torturee a mort... Une panique s'eleva en elle, comme un vent de tempete. Elle pouvait, grace a sa dague, eviter la torture, mais non la mort et, justement, elle ne voulait pas mourir.
Elle ne voulait plus ! Cette nuit, dans sa joie de voir reussir son plan, de savoir La Tremoille pret a partir pour Chinon, elle avait pense que plus rien n'avait d'importance, que la mort, desormais, lui serait facile puisqu'elle serait vengee... Mais maintenant, face a cet homme de sang qui se faisait le heraut tragique de sa : derniere heure, elle repoussait le destin de toute sa force. : Elle etait jeune, elle etait belle ; elle voulait vivre. Elle voulait sortir de ce trou, revoir le ciel bleu, le grand soleil et toutes les plantes que la volonte de Dieu seme sur la terre. Elle voulait revoir son fils, son petit Michel, les monts d'Auvergne et jusqu'a ce lieu sinistre ou son amour se mourait lentement... Arnaud ! Elle ne voulait pas mourir si loin de lui. Toucher sa main encore une fois, rien qu'une seule fois... et puis mourir, oui. Mais pas avant !