Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
— Je ne suis vraiment pas fait pour vivre, entre quatre murs, disait-il a Catherine avec une grimace comique tout en arpentant sa chambre en long puis en large pour rehabituer ses muscles a fonctionner.
— Bientot, tu retrouveras les grands chemins, tu le sais bien, repondit-elle avec une nuance de regret. Nous partirons des que maitre C?ur jugera que nous pouvons le faire sans risques.
— Sans risques ! Voila une etrange formule pour un chef de guerre. Le risque, belle dame, a toujours fait partie de ma vie, et...
— ... Et il te manque, je sais ! acheva Catherine avec rancune.
Elle avait eu toutes les peines du monde, et Jacques C?ur avec elle, a empecher le bouillant garcon de se precipiter au palais royal, des que ses forces avaient commence a revenir. Il ne parlait que d'aller se jeter aux pieds du Roi pour se justifier, de lancer un defi a La Tremoille, d'aller le souffleter en plein Conseil royal, d'en appeler au jugement de Dieu et tous autres projets aussi insenses, mais que son sens de l'honneur exigeant lui soufflait, et qui faisaient passer Catherine par des transes inimaginables.
Pour cette raison, elle avait assez peu insiste, en lui racontant son sejour force a Champtoce, sur les outrages subis aux mains de Gilles de Rais. D'abord, le serment qu'elle avait fait au vieux Jean de Craon de ne rien reveler a quiconque du secret degradant de Gilles l'obligeait a taire le principal et, de plus, dans leur situation presente, il etait inutile, voire dangereux, d'exciter la colere d'Arnaud. Deja, il avait jure d'aller demander raison au sire de Rais de son attitude envers Catherine, mais elle avait reussi a lui faire comprendre que l'affaire Gilles de Rais etait etroitement liee a l'affaire La Tremoille, que l'une dependait de l'autre et qu'il serait temps de se consacrer aux allies du gros chambellan une fois que celui-ci serait abattu. En ce qui le concernait, c'etait, une fois de plus, Xaintrailles qui avait ramene enfin son ami a la raison.
— Ton honneur peut attendre, mon fils, et La Tremoille lui non plus ne perdra rien pour attendre. Quand donc comprendras-tu qu'on ne chasse pas le renard de la meme facon que le sanglier ou le loup ? Tu ignores ce qu'est le palais en ce moment. Tu n'atteindrais meme pas notre Grand Chambellan sans etre arrete, charge de chaines et envoye dans un lointain cul-de- basse-fosse. La Tremoille te connait depuis longtemps et sait que, libre, tu n'auras rien de plus presse que de lui sauter dessus. Sois assure qu'il a pris des precautions en consequence. Quant a voir le Roi, cela releve de l'alienation mentale.
— Je suis un Montsalvy et mes titres de noblesse me donnent droit de parler au Roi quand je le desire sans demander audience.
Cela aussi, ton ami La Tremoille le sait. Mais il est encore plus puissant que tu ne l'imagines : sais-tu qu'au mois d'aout il a tendu un piege au connetable de Richemont et fait arreter ses trois emissaires : Antoine de Vivonne, Andre de Beaumont et Louis d'Amboise ? Les deux premiers ont ete decapites et le troisieme mis a rancon. Je te rappelle que, si tu es un Montsalvy, Vivonne etait un Mortemart ; donc au moins aussi grand seigneur que toi. Et j'ajoute que Richemont lui-meme eut subi le meme sort si La Tremoille avait pu mettre la main dessus. Quand donc comprendras-tu que La Tremoille detient la totalite du pouvoir et qu'il n'a pas l'intention de le lacher de sitot ? Il y trouve fortune, jouissance d'orgueil et peut enfin assouvir son appetit de puissance. Que nous soyons anglais ou francais lui importe peu, pourvu qu'il regne !
Non, crois-moi, tiens-toi tranquille pour le moment. Retrouve tes forces, attends le retour de la reine Yolande... et laisse La Tremoille accumuler sottise sur sottise. Il te cherche et serait trop heureux de remettre la main sur toi.
Arnaud en avait grince des dents.
— Et Richemont s'est laisse faire ? Et le Roi ne dit rien ?
— Le Roi est en tutelle et Richemont s'est retire pour attendre une bonne occasion d'abattre son ennemi. Fais comme lui... et commence par retrouver toutes tes forces.
Catherine, soulagee, avait voue a Xaintrailles une profonde reconnaissance pour cette homelie. Sans lui, Dieu seul savait a quelle folie le sang ardent de Montsalvy l'eut pousse. Mais il avait enfin compris et n'avait plus parle de courir au palais...
La silhouette massive de l'eglise qui se dressa devant elle interrompit le cours des pensees de Catherine. Le manteau de pierres grises de la vieille chapelle se doublait cette nuit d'une epaisse fourrure blanche qui mettait un bonnet leger a la tour carree coiffee d'ardoises. Les branches noires des arbres et la margelle verdie du vieux puits se tassaient a l'abri des vigoureux murs romans comme pour se rechauffer. Macee C?ur avait conte a Catherine la legende de cette eglise, vieille deja de deux cents ans : comment la mule du riche marchand juif Zacharie Guillard s'etait agenouillee, un jour d'hiver tout pareil a celui- la, devant le Saint-Sacrement que portait saint Antoine de Padoue. Et ni les coups ni la colere du vieux Juif n'avaient pu faire relever la mule tant que le saint moine n'eut pas passe son chemin. Sur le lieu du miracle, on avait edifie l'eglise avec l'or que Zacharie, repentant et converti, avait genereusement donne.
De son enfance a l'ombre des tours de Notre-Dame, Catherine avait garde le gout des legendes et des histoires extraordinaires. Son pere, Gaucher Legoix, lui en contait si souvent tandis qu'il ciselait les belles couvertures d'or ou d'argent destinees aux evangeliaires, pour le seul plaisir de voir une lumiere doree s'allumer dans les yeux emerveilles de la petite.
Ce soir, en franchissant le seuil humide de Saint- Pierre-le-Guillard, c'etait a son pere que Catherine pensait, avec une poignante melancolie. Le doux Gaucher a qui le sang faisait horreur etait mort pendu parce que Catherine avait cache dans la cave le frere aine de cet Arnaud qui, dans un instant, serait son epoux. Jamais l'orfevre du Pont-au-Change n'avait imagine pour sa petite fille le destin, brillant et tumultueux, qui etait le sien. Et Catherine pensait que, sans doute, les choses etaient bien ainsi, car elle n'etait pas tres sure que Gaucher Legoix s'en fut rejoui.
L'eglise etait sombre, hormis une faible lumiere venue d'une chapelle absidiale. Jacques C?ur et Macee, qui avaient ouvert la marche, se dirigerent sans hesiter vers cette lueur. Catherine eut un frisson. Sous les voutes romanes, le froid tombait d'aplomb sur les epaules comme un drap mouille. Il lui rappela une autre chapelle, un autre jour d'hiver, neuf ans plus tot. Ce jour-la, elle portait des bijoux de reine, des atours fastueux, mais son c?ur etait glace de crainte et de desespoir. Ce jour-la aussi, il avait neige sur les molles ondulations de la plaine de Saone qui s'etendait a perte de vue.
Ce jour-la, par ordre ducal, elle epousait, l'ame aux abois et l'esprit plein d'une autre image, Garin de Brazey, le Grand Argentier de Bourgogne. Combien aujourd'hui etait different !...
Il n'y avait ni robe de fee, ni toilettes precieuses, ni noble assistance, ni chapelle illuminee. Elle portait une simple robe de laine verte lacee de velours noir ou sa taille epaissie se mouvait a l'aise, un ample manteau de drap noir a capuchon, double de menu vair, present de Macee pour ces noces de froidure. Mais, autour d'elle, il n'y avait que des c?urs amis et surtout, surtout, elle epousait l'homme qu'entre tous elle avait choisi, aime, adore contre vents et marees, attache a elle au prix d'efforts surhumains et d'un complet renoncement d'elle-meme. C'etait son bras qui la soutenait tandis que son pas hesitait sur les dalles inegales de l'eglise, c'etait son profil precis et fier qui se detachait de l'ombre d'un chaperon noir avec, ce soir, une profonde expression de gravite meditative, c'etait sa main qui, nouee a la sienne, allait la garder serree une vie entiere... C'etait son enfant, enfin, qui tressaillait en elle comme les premiers sursauts d'un avenir a son aurore.