Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
Le front baisse, tetu, ne se relevait pas et un desagreable filet glace se glissa dans l'esprit de Catherine. Elle avait la sensation de se heurter a un mur et de n'y trouver aucune asperite a laquelle s'accrocher.
— J'ai dit que j'avais peur de vous, fit Gauthier sourdement, je dois ajouter que j'ai au moins aussi peur de moi. Une fois deja... souvenez-vous... j'ai failli oublier ce que vous etiez et ce que j'etais. C'est ce souvenir-la qui m'empoisonne la vie... parce qu'il est trop doux, et parce que j'ai peur, un jour ou l'autre, de succomber.
Catherine se releva et posa ses deux mains sur les epaules du geant, l'obligeant a la regarder.
— Et je te dis, moi, que tu ne recommenceras pas. Je te dis que tu sauras repondre a la confiance... absolue... que je mets en toi. Je te le demande... et meme, je t'en supplie, si c'est cela que tu veux : reste aupres de moi ! Tu ne sais pas comme j'ai besoin de toi. Tu ne sais pas comme j'ai peur de l'avenir !
Sa voix s'enroua sur les derniers mots tandis que des larmes montaient a ses yeux. C'etait plus que n'en pouvait supporter Gauthier. Comme au jour ou elle l'avait sauve de la potence et ou il lui avait jure fidelite, il mit un genou a terre.
— Pardonnez-moi, dame Catherine. Chacun de nous, en ce monde, a ses moments de faiblesse. Je resterai.
— Je te remercie. Maintenant, viens avec moi.
— Ou donc ?
Aupres de cet homme que tu etais pret a detester sans le connaitre. Il est digne, lui aussi, de ton service et...
Mais, au seuil de la porte, Gauthier resista a la main de Catherine qui l'entrainait.
— Entendons-nous bien, dame Catherine. C'est a vous que j'appartiens et a personne d'autre. C'est vous que je servirai... et personne d'autre. Sans doute, un jour, bientot peut-etre, serez-vous sa femme, mais je ne servirai encore que vous seule... jusqu'au jour ou vous me direz de m'en aller. J'etais un homme libre jusqu'a votre venue. J'entends le rester pour quiconque n'est pas vous. Mais... il est encore temps de me laisser partir.
Quel entetement ! Une vague de colere gonfla la poitrine de Catherine et elle faillit se facher. Elle devinait confusement que le devouement fanatique de Gauthier ne plairait guere a Arnaud, qu'elle aurait certainement quelques ennuis entre ces deux hommes qui l'aimaient chacun a sa facon. Mais elle ne se sentit pas le courage de rejeter le Normand qui, par tant de cotes, lui ressemblait. Car elle ne s'illusionnait guere sur la valeur reelle du vernis aristocratique etendu sur elle par la volonte de son defunt mari, Garin de Brazey, et par l'amour exigeant de Philippe de Bourgogne.
Gauthier etait plus proche d'elle, avec toute sa sauvagerie, avec ses instincts d'animal de la foret que les grands seigneurs qui avaient eleve jusqu'a eux la fille de Gaucher Legoix, l'orfevre du Pont-au-Change, la gamine qui courait jadis pieds nus sur les greves de la Seine.
Elle accepta sa demi-defaite d'un soupir.
— C'est bon, dit-elle. Il en sera comme tu voudras !
Pourtant, la premiere entrevue des deux hommes fut meilleure qu'elle ne l'avait craint. Arnaud considera pensivement le geant dresse au pied de son lit. Habitue aux statures vigoureuses des hommes d'armes, le capitaine des gardes du Roi avait cependant rarement vu pareil specimen humain et ne le cacha pas.
— Tu es taille pour porter la broigne de fer et le casque a nasal, lui dit-il. Les hommes qui, jadis, s'en allerent delivrer le Saint-Sepulcre a la suite de Bohemond et de Tancrede, devaient te ressembler comme des freres.
— Je suis normand ! riposta Gauthier non sans orgueil, comme si ce seul mot resumait tout.
Mais la fierte de la reponse ne deplut pas a Montsalvy. Vaillant et orgueilleux, il aimait qu'un homme eut cette hauteur, meme ne d'humble condition.
— Je sais ! dit-il simplement.
Puis, pousse par une obscure impulsion qu'il eut ete bien incapable d'expliquer - peut-etre le desir inavoue de s'attacher cet homme exceptionnel - il ajouta :
— Veux-tu me donner la main ?
Catherine ouvrit de grands yeux. Qu'Arnaud, fier de sa race jusqu'a la hauteur, tendit la main a ce paysan comme a un egal, il y avait la de quoi trouver matiere a reflexion. Comment allait reagir le Normand ?
Une profonde rougeur s'etendit sur le visage rude et, un court instant, il hesita devant cette main ouverte, si belle encore dans sa maigreur, qui se tendait vers lui. Il etait pris au piege entre son amour pour Catherine et l'attrait qu'exercait sur tout homme digne de ce nom le capitaine de Montsalvy. Les hommes d'Arnaud l'adoraient, bien qu'il fut brutal et souvent impitoyable, et ce charme, le Normand, malgre lui, le subissait.
Il etendit finalement sa large main, toucha avec precaution celle d'Arnaud comme un objet fragile, mais les doigts nerveux se refermerent autour de sa lourde paume, l'obligeant a un contact serieux, viril. Vaincu, alors, Gauthier rendit la pression amicale, mais plia le genou, sans cependant courber la tete.
— Merci, dit Arnaud simplement. Je sais tout ce que je te dois pour... ma femme et pour mon fils.
Le regard gris et le regard noir se croiserent, calmement et sans l'eclat de colere que Catherine avait tant craint. Elle joignit instinctivement les mains en un geste de gratitude. Et puis, son ame chantait de joie. Sa femme !... Arnaud l'avait appelee sa femme ! Tout en etant certaine de son amour, elle n'avait encore, jamais ose s'attribuer ce titre. Peut-etre l'avait-il dit sans y penser ?... Mais cette mince inquietude fut de courte duree. A Jacques C?ur, qui entrait dans sa chambre, Arnaud lancait joyeusement :
— Maitre C?ur, des qu'il me sera possible de tenir suffisamment sur mes jambes pour aller jusqu'a la maison de Dieu, il vous faudra nous trouver un pretre. Il est grand temps de nous marier et j'espere que vous nous ferez l'honneur d'etre notre temoin.
Le maitre pelletier sourit, mais s'inclina sans repondre. Dans la nuit du 27 au 28 decembre 1431, une petite troupe quitta, bien apres le couvre-feu, la maison de la rue d'Auron pour gagner l'eglise proche de Saint- Pierre-le-Guillard. La nuit etait aussi noire que la neige etait blanche, mais le froid qui avait cruellement sevi depuis trois semaines, gelant les canaux de la ville et raidissant les branches depouillees des arbres, semblait avoir fait treve. Depuis la Noel, Bourges s'etait ouatee de blancheur, enveloppee de silence, comme si elle comptait les pulsations memes de son c?ur et retenait sa respiration. Le temps beni que ramene chaque annee la naissance de l'Enfant-Roi avait fait cesser les exactions de La Tremoille et les visites domiciliaires de ses gens d'armes. Mais tout cela avait mordu trop cruellement au ventre de la cite pour que, momentanement delivree de son angoisse, elle trouvat autre chose que le silence et la paix pour celebrer la plus belle des fetes.
C'etait la premiere fois que Catherine franchissait le seuil de Jacques C?ur, depuis bientot deux mois qu'elle etait arrivee, et cela lui parut delicieux d'enfoncer ses pieds chausses de bottillons fourres dans l'epaisse couche blanche. Elle serra plus fort contre elle le bras d'Arnaud sur lequel elle s'appuyait.
— C'est la ville qui a l'air d'une mariee et non moi, lui murmura-t-elle en souriant.
En reponse, il enferma dans son poing ferme les doigts menus qui, pour etre plus prets a se donner, n'avaient point mis de gants.
— Elle s'est paree pour nous, repondit-il tendrement, et jamais je ne l'ai vue si belle. Comme jamais je ne t'ai autant aimee, ma mie...
Tous deux goutaient pleinement le bonheur d'etre ensemble, serres l'un contre l'autre dans une rue, comme n'importe quel couple amoureux, et, pour Arnaud, cette joie se doublait de celle d'avoir enfin recouvre la sante.
Depuis le matin ou la fievre qui le devorait avait cede, la convalescence avait marche a pas de geant. La robuste constitution du jeune homme, qui, tant de fois deja, lui avait sauve la vie, avait accompli un nouveau miracle. Il etait encore maigre, mais du moins tenait ferme sur ses jambes et vivait normalement bien que le manque d'exercice et la vie renfermee fussent pour lui une epreuve.