Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
Comme Jacques s'y attendait, sa femme accueillit Catherine avec une grande gentillesse et beaucoup de sollicitude.
Jadis, au temps de leurs premieres relations, la beaute et l'eclat de la dame de Brazey l'avaient impressionnee et vaguement troublee parce qu'elle savait combien son epoux etait sensible a la grace feminine et parce que, parfois, elle avait surpris le regard de Jacques pose avec insistance sur le visage de Catherine. Mais en la retrouvant pale et amaigrie, a bout de forces et enceinte de surcroit, elle etouffa toutes ses preventions et laissa seulement parler son c?ur. Catherine aimait Arnaud comme elle-meme aimait son epoux, il n'en fallait pas plus pour que Macee se comportat immediatement comme une s?ur.
Elle installa dans une chambre du second etage, dont la fenetre ouvrait juste sous le pignon du haut toit pointu de la maison, la jeune femme et Sara. Cette chambre donnait sur le jardin et faisait face a une autre de memes dimensions, occupee par les enfants de la maison. C'etait une piece plus longue que large et dans laquelle un grand lit, assez vaste pour trois ou quatre personnes et drape de serge bleue, tenait une bonne partie de l'espace habitable. Cette chambre plut a Catherine parce qu'elle etait assez semblable a celle qu'elle occupait a Dijon avec sa s?ur Loyse dans la maison de son oncle Mathieu. Elle y trouva, en tout cas, un repos dont elle avait le plus urgent besoin et, pendant deux jours, ne quitta pas son lit, dormant avec application et n'ouvrant les yeux que pour absorber la nourriture qu'on lui montait. Elle etait si lasse qu'elle avait l'impression de ne jamais devoir venir a bout de son sommeil. Elle ne bronchait meme pas quand Sara venait la rejoindre et se glissait a son cote. Jamais encore, meme quand elle avait du gagner Orleans a pied, Catherine n'avait connu pareille fatigue. Le poids de l'enfant se faisait sentir.
Au matin du troisieme jour, elle fut eveillee enfin par des voix enfantines qui chantaient si pres d'elle que les paroles s'inscrivaient sans peine sur son esprit encore engourdi.
Ainsi mon c?ur se lamentait De la grand'douleur qu'il portait En ce plaisant lieu solitaire Ou un doux ventelet ventait...
En passant par le frele organe des petits, les paroles de cette chanson d'amour, que Catherine connaissait bien, prenaient une fraicheur et une naivete nouvelles. Sans ouvrir les yeux, elle fredonna la suite : Si doux qu'on ne le sentait. La fut le gracieux repaire...
— Depuis combien de temps n'as-tu pas chante ? demanda pres d'elle la voix de Sara.
Catherine, relevant ses paupieres, vit la bohemienne assise au pied du lit, attendant son reveil comme elle l'avait fait des centaines de fois. Elle souriait et Catherine constata qu'elle avait perdu cet air de bete mal nourrie qu'elle lui avait vu depuis sa sortie de Champtoce. La nourriture, chez maitre Jacques, devait etre bonne car les joues mates de Sara s'etaient un peu remplies.
Je ne sais pas, repondit la jeune femme en se dressant sur son seant. Il y a longtemps, je crois. Nous chantions cette chanson, Marguerite de Culant et moi, pendant ces interminables seances de broderie aupres de la reine Marie. C'est messire Alain Charrier, le poete du Roi, qui l'a ecrite, je crois. Aide-moi a ma toilette, veux-tu, je me sens extraordinairement bien.
En effet, sa cure de repos semblait avoir fait a Catherine un bien enorme. Elle rejeta ses couvertures et sauta a bas du lit avec autant d'agilite que si elle avait eu encore seize ans. Tout en procedant a ses ablutions, elle demanda :
— A-t-on des nouvelles de messire de Xaintrailles ?
— Aucune ! Tout ce que maitre C?ur a pu apprendre, c'est qu'il a quitte la ville avant-hier avec plusieurs hommes de sa compagnie en clamant bien haut qu'il s'en allait chasser. On ne sait rien de plus.
— Fasse le ciel qu'il arrive a temps... et qu'il ne soit rien advenu de vraiment mauvais a mon seigneur...
Elle fixa un instant, dans le miroir d'etain poli accroche au mur de la chambre, son image avec des yeux gros de larmes, puis se retourna vers Sara.
— Finissons-en tres vite avec cette toilette. Je voudrais aller a l'eglise, prier.
— En plein jour ? Tu n'y songes pas. Maitre C?ur recommande bien que tu ne sortes pas a la lumiere. Trop de gens pourraient te reconnaitre.
— C'est vrai, fit Catherine tristement. J'oubliais que, dans une certaine mesure, je suis encore prisonniere.
Dans la chambre a cote, les voix d'enfants entamaient une nouvelle chanson, mais, cette fois, une profonde voix masculine s'y joignait. Une autre s'en mela bientot, si grave qu'elle faisait penser a un gros bourdon de cathedrale. Mais un gros bourdon qui chanterait faux.
— Seigneur ! fit Catherine. Qu'est-ce que cela ?
— Gauthier, repondit Sara en riant. Il a fait la conquete des enfants de la maison et il va souvent les rejoindre quand ils sont avec leur precepteur.
— Peste ! Un precepteur ? Je n'aurais jamais suppose nos amis avec un train semblable.
— A vrai dire, fit Sara en s'emparant d'un peigne et en commencant a demeler les cheveux de Catherine, c'est un assez curieux precepteur. Un homme des plus casaniers qui ne sort jamais de sa chambre et ne va respirer au jardin qu'a la nuit close.
— Veux-tu dire par la que je ne suis pas la seule a avoir cherche refuge ici ?
— Oh que non ! On dirait que maitre C?ur s'est donne pour tache de recueillir ceux que poursuit la vindicte du sire de La Tremoille. Sa maison est la plus etrange qui soit. Ainsi, ce fameux precepteur n'est autre que maitre Alain Charrier en personne. La Tremoille n'apprecie pas son « Chant de la Delivrance » ecrit en l'honneur de Jehanne et l'a fait proscrire.
— Ainsi, pour deplaire, il faut seulement chanter les louanges de la Pucelle ?
— Ou avoir ete de ses fideles. Tant que le gros favori sera en vie, ou en puissance, il n'y aura de surete pour aucun de ceux qui la regrettent et proclament hautement qu'elle etait sainte et noble fille. Les capitaines seuls echappent, a cause de leurs troupes. Et encore ! En face, chez messire de Leodepart, tu verras frere Jean Pasquerel, l'aumonier de Jehanne, et aussi Imerguet, son page, qui se cachent en attendant des jours meilleurs. D'autres sont dans les fermes qui leur appartiennent.
Catherine etait abasourdie. Que Jacques C?ur ait fait de sa demeure et de celle de son beau-pere un foyer de resistance au favori n'avait rien, cependant, qui, parut la surprendre. L'homme avait assez de hauteur d'esprit et assez d'audace pour cela, mais, ce qui la stupefiait, c'etait l'aplomb qu'il deployait. Garder tout ce monde a Bourges meme, sous les yeux de La Tremoille, a deux pas du palais royal, c'etait faire preuve d'un courage peu ordinaire. Mais, apparemment, Jacques C?ur n'en manquait pas...
Au temps ou elle servait Marie d'Anjou, Catherine n'avait rencontre maitre Alain Charrier que deux ou trois fois. A cette epoque il suivait partout Charles VII dont il etait le secretaire et le poete. C'etait un homme aimable et bien eleve, mais auquel sa vie de cour et son poste aupres du Roi avaient valu quelques succes feminins et qui, de ce fait, se croyait irresistible. En retrouvant Catherine autour de la table familiale des C?ur, il lui jeta un regard lourd de signification.
— Je savais bien, dit-il, que le ciel ne m'abandonnerait pas tout a fait et qu'il enverrait une douce presence feminine pour m'aider a supporter l'exil ! Dans une pareille situation mon c?ur etait vide et vous attendait ! L'un aupres de l'autre, nous saurons nous creer un doux jardin secret, un plaisant lieu solitaire.
— Y aura-t-il aussi un doux ventelet, dans votre lieu solitaire, Messire ? demanda la voix naive du petit Geoffroy, cinq ans, le dernier des enfants C?ur.
Le poete lui dedia un regard severe sous ses epais sourcils grisonnants.
— Il est bon de se souvenir des beaux vers, maitre Geoffroy, gronda-t-il, mais il n'est pas bon qu'un enfant parle devant de grandes personnes.