Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
Geoffroy devint tres rouge et baissa le nez vers son ecuelle, tandis que le reste de la famille retenait mal une envie de rire. Catherine recut en plein visage le regard du maitre de maison, petillant de gaiete, tandis que Macee, constatant l'air offense avec lequel le poete examinait chaque visage l'un apres l'autre, s'emparait d'un plat de carpes a l'etouffee et se hatait de le lui presenter. Chartier etait susceptible, mais il etait encore plus gourmand et les carpes sentaient bon. Il s'en servit une large portion et sembla recuperer sa bonne humeur. Attendrie, Catherine se dit qu'il lui rappelait son oncle Mathieu.
— Vous ne mangez rien, Catherine ? reprocha Macee avec un sourire. Etes-vous encore souffrante ?
— Dame Catherine s'etonne de sa chance ! intervint le poete en abandonnant momentanement sa carpe. Elle ne peut detacher son regard de l'homme inspire que Dieu a mis sur son chemin...
Il s'appretait a discourir et, peut-etre, Catherine se fut-elle laissee aller au plaisir de ce moment de detente si, a ce moment precis, des cris n'avaient eclate dans la rue, meles au cliquetis des armes et au claquement des sabots des chevaux. Tout de suite, Jacques C?ur fut debout et courut vers son reduit. Cet homme avait des nerfs d'acier et paraissait toujours sur la defensive. Catherine se lanca derriere lui tandis que Macee, compatissante, tapait dans le dos du poete qui, dans son emoi, avait avale une arete et s'etranglait.
Des fenetres en surplomb du cabinet, le regard prenait la rue d'Auron en enfilade. Elle etait pleine d'archers commandes par un officier a cheval. Plusieurs d'entre eux, au coude a coude, lances en travers, barraient la rue, sur deux rangs, tandis que d'autres enfoncaient la porte d'une maison situee a trois portes de celle des C?ur. Jacques fronca les sourcils.
— C'est chez l'eperonnier Naudin. Je me demande si...
Il n'acheva pas. Par ailleurs le drame fut bref. Au bout de quelques minutes, les archers qui etaient entres dans la maison en ressortirent, poussant devant eux, a coups de bois de lance, trois hommes, l'un age et deux plus jeunes. Celui qui venait en dernier se debattait comme un demon, jouant des pieds, de la tete et des coudes, essayant de rejeter les deux hommes qui le maintenaient. Catherine, hypnotisee, regardait.
— Qu'est-ce que cela veut dire ? balbutia-t-elle.
— Que Naudin cachait dans sa maison un cousin de sa femme qui a eu le tort de refuser au Grand Chambellan une terre dont il avait envie... et que quelqu'un les a denonces. Quelle misere ! La Tremoille pille, vole, tue et le Roi laisse faire.
Avec une violence dont il ne fut pas maitre, le pelletier saisit sur la table un fragile vase de terre bleu qu'il jeta a terre ou il eclata en mille parcelles azurees.
— Mais moi, je vous fais courir un danger semblable ! fit Catherine d'une voix blanche. Qui dit que, demain, vous ne serez pas denonce ?
— C'est possible ! riposta C?ur fermement, mais je refuse de me laisser intimider. Ce que le chambellan reproche le plus a Naudin, c'est d'avoir soutenu, aime et admire la Pucelle. C'est d'avoir ose dire hautement que c'etait grand malheur et grand peche de l'avoir si lachement abandonnee. Tous ceux qui parlent ainsi sont en danger. Meme une femme de bien comme Marguerite La Thouroulde, chez qui Jehanne logeait, n'est plus en surete. Le favori veut extirper du royaume tout ce qui, de pres ou de loin, peut rappeler la Pucelle. Il l'a toujours combattue, et il faut qu'il obtienne raison contre elle par-dela la mort ! Et cela, a un moment ou plus que jamais le royaume aurait besoin de paix. L'argent est rare, les cultures inexistantes, le commerce mort. Les grandes foires n'existent plus, les marchandises evitent la France et vont de Venise a Bruges en passant par la Baviere et les Etats allemands. Et le peu qui reste se dirige inexorablement vers les coffres de La Tremoille.
— Qu'allez-vous faire alors ?
— Rien pour le moment. Le favori est un sanglier qu'il faut chasser aux armes de guerre. Je laisse le soin d'en venir a bout au connetable de Richemont et a la reine Yolande lorsqu'elle reviendra. Mais, une fois La Tremoille abattu, il faudra reconstruire, relancer le commerce, faire de l'argent. Et c'est pour cela qu'au printemps je partirai.
— Partir ? Mais pour quelle destination ?
Les ports de l'Orient, repondit le pelletier, l'?il sur le grand portulan qu'il avait plaque au mur. Passe les tempetes d'equinoxe, la galee de Narbonne partira pour son periple habituel autour de la Mediterranee. Je partirai avec elle et j'emporterai des marchandises que je garde en reserve : des emaux, des toiles fines, des vins, du corail de Marseille, pour rapporter des soies, des epices, des fourrures, tout ce qui devient introuvable, et aussi pour nouer de nouvelles relations commerciales dont le Roi beneficiera. Ensuite, quand tout sera lance, je rouvrirai les vieilles mines d'argent, de fer, de plomb et de cuivre jadis creusees par les Romains et abandonnees depuis. Le royaume renaitra, plus riche... infiniment plus riche !
Stupefaite, Catherine regardait le marchand. Il l'avait oubliee et, les yeux au loin, vivait son reve grandiose. Elle decouvrait qu'il y avait du prophete dans cet homme. Un instant, elle se trouva reportee plusieurs annees en arriere, aupres de Garin de Brazey, son epoux. Lui aussi, comme le pelletier berrichon, croyait a la puissance du commerce avec l'Orient.
L'argentier borgne eut compris, apprecie, aime peut- etre ce bourgeois audacieux qui lui ressemblait par bien des cotes.
Un silence tomba sur la petite piece calme. Dans la rue, le bruit avait cesse. Seuls, quelques rares passants se hataient de traverser la dangereuse rue, jetant des regards apeures vers la porte eventree de la maison Naudin. Quelques gouttes d'eau commencerent a frapper les vitres.
— Vous voyez bien, dit Catherine tout doucement, que vous n'avez pas le droit de courir un risque, meme minime, meme meprise, en me gardant ici. Votre destinee a trop d'importance, maitre Jacques. Si l'on commence a denoncer, vous n'etes plus en surete. Ne pouvez-vous me faire conduire dans quelque maison des champs, quelque ferme ou j'attendrai que revienne Xaintrailles ?
Mais la colere avait fait sortir le pelletier de son habituelle reserve. Se penchant vers la jeune femme qui s'etait assise sur un tabouret, les mains au creux des genoux, il prit le doux visage entre ses deux mains.
Dans ce pauvre pays, dit-il passionnement, il demeure bien peu de choses belles et precieuses, Catherine. Vous etes de ces choses rares et j'envie, de toutes mes forces, l'homme que vous aimez. Je n'ai droit qu'a votre amitie, laissez-moi la meriter et s'il y a danger, tant mieux, puisqu'il donnera plus de prix a mon devouement. Vous resterez ici.
Il se pencha davantage et, incapable de s'en empecher, posa ses levres sur celles de la jeune femme. Mais ce fut un baiser leger, doux et tendre qui venait de l'ame plus que de la chair. Pourtant Catherine frissonna au contact de la bouche de Jacques et, inconsciemment peut-etre, y trouva plaisir. Sur ses epaules, les mains du pelletier s'etaient mises a trembler et s'etaient faites lourdes, trahissant son trouble profond. Il se detacha cependant d'elle mais sans la lacher.
— Je vous defends de bouger d'ici, Catherine. Il faut avoir confiance en moi.
— Mais, j'ai confiance, mon ami ! Toutes mes craintes viennent du danger que je fais peser sur vous.
— Oubliez-le ! Je saurai en defendre les miens tout en vous protegeant.
Les doigts de Jacques s'imprimaient dans la chair de Catherine avec une force dont il n'avait pas conscience tant etait ardente sa volonte de lui faire partager sa foi en lui-meme. Il avait completement oublie ce qui venait de se passer dans la rue et sursauta quand une voix tranquille dit, au fond de la piece :
— Il vous faut descendre au magasin, Jacques. La dame de La Tremoille vous demande et vous savez qu'elle n'est pas patiente.