Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
L'etonnement de Catherine qui n'avait jamais rien vu de semblable fit sourire Jacques C?ur. Il caressa de la main la nef rouge et dore qui naviguait sur les quelques vagues bleues du portulan.
— Je songe a voyager, dit-il. Les fourrures et meme les tissus de mon associe Pierre Godart ne me suffisent plus. Mais parlons de vous. Tenez, asseyez- vous la, sur ces coussins, et dites-moi par quel miracle vous etes ici, d'ou venez-vous...
et pourquoi vous etes si pale ! Depuis tant de mois je vous croyais morte, dame Catherine !
Ses mains, doucement, rejetaient en arriere le capuchon grossier, degageant la tete de la jeune femme qui apparut dans la pleine lumiere des bougies avec ses nattes serrees et ses yeux las.
— N'avez-vous donc point lu les edits du Roi... ou entendu corner aux carrefours que je suis une criminelle recherchee et que...
— Si, coupa Jacques, je sais tout cela, mais je n'arrivais pas a comprendre ce qui avait pu se passer. On vous accuse d'avoir entraine a votre suite le capitaine de Montsalvy et de l'avoir fait passer a l'ennemi. Mais, par ailleurs, des bruits couraient sous le manteau que vous etiez morte, a Rouen... en meme temps que Jehanne la Pucelle dont Dieu ait l'ame de lumiere.
Le rire nerveux de Catherine donna la pleine mesure de ce qu'elle avait endure. Elle n'en pouvait plus d'avoir peur, de trembler au moindre hoqueton, au moindre casque entrevu. Le chemin defonce, le trot incessant du cheval l'avaient brisee et il n'etait plus une fibre de son corps qui ne lui fit mal.
— Vous ne dites donc pas comme les autres, maitre Jacques ? Vous ne dites donc pas que c'etait une sorciere et qu'on a bien fait de la bruler ?
— Il faut avoir l'esprit bien trouble ou l'ame bien basse pour oser dire pareille chose ! Il faut... et le pelletier baissa la voix jusqu'au murmure, il faut etre messire de La Tremoille ou bien messire Regnault de Chartres, l'archeveque de Reims, et le malheur veut qu'ils soient, l'un et l'autre, les maitres de l'esprit comme de la conscience du Roi. C'est La Tremoille qui regne pour la plus grande infortune de la France, non Charles VII. Mais que voulez-vous exactement de moi, dame Catherine ?
Elle leva vers lui un regard humide dont l'expression de douleur alla eveiller au fond du c?ur de Jacques des fibres qui, depuis longtemps, n'avaient pas vibre. La souffrance avait affine encore le visage de Catherine, l'avait modele d'ombres touchantes et lui avait donne une expression d'animal aux abois devant laquelle n'importe quel homme de c?ur ne pouvait que souhaiter offrir sa protection.
— Voulez-vous nous cacher, moi et mes deux serviteurs ? Je suis traquee, recherchee, depouillee en grande partie... et j'attends un enfant. Pouvez-vous m'aider aussi a trouver l'un des capitaines du Roi, La Hire ou Xaintrailles... a moins qu'ils ne soient, eux aussi, retenus en prison.
— Pourquoi donc y seraient-ils, sinon de l'Anglais ?
— Arnaud de Montsalvy y est bien, lui !
— Arnaud de Montsalvy est passe aux Anglais, retorqua C?ur sechement.
— C'est un mensonge infame ! s'ecria Catherine en frappant le sol du pied. Arnaud a tout tente pour sauver Jehanne, comme je l'ai fait moi-meme. Nous sommes entres dans Rouen, oui, et nous y avons vecu... mais nous en sommes sortis cousus dans un sac et par le moyen de la Seine. Si c'est la ce que vous appelez passer aux Anglais !
Dans son indignation et sa peine, elle s'etait mise a trembler de tout son corps. Le marchand saisit les deux mains glacees dans les siennes qui etaient chaudes et comprehensives.
— Calmez-vous, mon amie, je vous en conjure, calmez-vous ! Il y a mille choses qu'il vous faut m'expliquer. D'abord, je vais vous faire donner une boisson chaude. Vous etes transie. Macee, ma femme, est a vepres. Quand elle reviendra, elle vous installera car, bien entendu, nous vous gardons. Vous avez bien fait de venir ici et je suis heureux que vous ayez songe a nous. Attendez-moi un moment.
Il disparut et Catherine demeura seule de nouveau. Elle appuya sa tete lasse au dossier de son siege. Quelque chose se detendait en elle, s'apaisait. Enfin elle avait touche au port. C'en etait fini pour un temps des chemins grands ou petits, du froid, de la peur, de la pluie et du vent, des nuits sans fin au bout desquelles il fallait voyager sans trop savoir si un abri surgirait du jour levant. Sa gorge se contracta en songeant a Arnaud, au fond de sa geole, mais elle savait son courage indomptable, son orgueil. Et puis, elle mettait maintenant une confiance illimitee dans cet homme qui, si simplement, l'avait accueillie, lui offrait un refuge.
Maitre Jacques C?ur revint au bout d'un moment portant precautionneusement un bol fumant qu'il tendit a la jeune femme. Catherine referma avec bonheur ses doigts frileux autour de la faience chaude. Une odeur a la fois poivree et reconfortante montait du recipient.
— Du vin avec de la cannelle, dit le pelletier. Buvez bien chaud. Ensuite vous me raconterez... Rassurez-vous pour vos serviteurs, ils sont a la cuisine ou ma vieille Mahaut s'occupe d'eux.
Catherine trempa ses levres dans le breuvage brulant et, tout de suite, se sentit mieux. Une jambe posee sur le coin de la table, Jacques C?ur la regardait avec attention, le menton dans la main. Quand elle eut fini, elle reposa l'ecuelle. Un peu de rose etait monte a ses joues et elle esquissa un sourire.
— Je vais tout vous dire maintenant. C'est un peu long, mais je me sens bien mieux.
Elle noua ses mains autour de ses genoux et commenca son recit. Elle parlait d'une voix calme dont le ton un peu bas etait etrangement emouvant. C?ur l'ecoutait, immobile. Sa silhouette un peu penchee se decoupait vigoureusement sur le rayonnement doux des chandelles, sans plus bouger qu'une statue de bois, mais le regard attentif ne quittait pas le visage de la narratrice.
Catherine achevait son histoire quand un bruit de voix retentit en bas, aussitot suivi d'une sorte de roulement de tonnerre. Quelqu'un montait l'escalier quatre a quatre. Le pelletier se leva et se tourna vers la porte, souriant a Catherine qui, deja, mettait la main a son capuchon.
— N'ayez pas peur ! Je crois que cette visite, que j'ai demandee tout a l'heure, est pour vous.
Dans l'encadrement sombre de la porte, une haute forme masculine apparaissait : larges epaules sous un manteau de cheval noir negligemment rejete en arriere pour montrer un court pourpoint de daim et des chausses collantes de meme couleur et, dessus, un visage a la fois dur et joyeux, de vifs yeux bruns et le flamboiement d'une courte tignasse indisciplinee d'un roux agressif. Avec un cri de joie, Catherine bondit sur ses pieds et courut vers l'arrivant. C'etait Xaintrailles ! Xaintrailles aux cheveux rouges ! L'ancien et fidele compagnon de Jehanne, le meilleur ami d'Arnaud !
En la reconnaissant, il avait pousse un veritable rugissement. Puis, l'enlevant de terre sans trop de douceur, il l'avait embrassee a plusieurs reprises avant de la reposer a terre, mais sans la lacher. La tenant devant lui au bout de ses longs bras, il avait crie :
— Par les tripes du Pape ! D'ou sortez-vous, Catherine ? Vous avez autant d'apparence qu'un chat mouille, mais, bon Dieu ! ca fait du bien de vous revoir. Qu'avez-vous fait de Montsalvy ?
— Arnaud ?... Est-ce que vous ne savez pas ?
Les mains du capitaine se crisperent sur les epaules
de la jeune femme et son visage se convulsa sous la poussee d'une enorme colere.
— Savoir quoi ? Ce que ces edits imbeciles colportent par le royaume ? Que Montsalvy est passe a l'Anglais ? Lui ?
L'honneur et la loyaute faits homme ? Un heros d'Azincourt ? Un des hommes de Jehanne ? Mon ami ?...
C'etait, visiblement, ce titre-la qui, selon Xaintrailles, conferait le plus de renom a Montsalvy. Mais Catherine n'avait pas envie de sourire. Elle detourna la tete.
— D'autres le croient. Messire de Rais...