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Les Essais – Livre III - Montaigne Michel de (электронную книгу бесплатно без регистрации txt) 📗

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L'art de medecine, n'est pas si resolue, que nous soyons sans authorite, quoy que nous facions. Elle change selon les climats, et selon les Lunes: selon Fernel et selon l'Escale. Si vostre medecin ne trouve bon, que vous dormez, que vous usez de vin, ou de telle viande: Ne vous chaille: je vous en trouveray un autre qui ne sera pas de son advis. La diversite des arguments et opinions medicinales, embrasse toute sorte de formes. Je vis un miserable malade, crever et se pasmer d'alteration, pour se guarir: et estre moque depuis par un autre medecin: condamnant ce conseil comme nuisible. Avoit-il pas bien employe sa peine? Il est mort freschement de la pierre, un homme de ce mestier, qui s'estoit servy d'extreme abstinence a combattre son mal: ses compagnons disent, qu'au rebours, ce jeusne l'avoit asseche, et luy avoit cuit le sable dans les rongnons.

J'ay apperceu qu'aux blesseures, et aux maladies, le parler m'esmeut et me nuit, autant que desordre que je face. La voix me couste, et me lasse: car je l'ay haute et efforcee: Si que, quand je suis venu a entretenir l'oreille des grands, d'affaires de poix, je les ay mis souvent en soing de moderer ma voix. Ce compte merite de me divertir. Quelqu'un, en certaine eschole Grecque, parloit haut comme moy: le maistre des ceremonies luy manda qu'il parlast plus bas: Qu'il m'envoye, fit-il, le ton auquel il veut que je parle. L'autre luy repliqua, qu'il prinst son ton des oreilles de celuy a qui il parloit. C'estoit bien dit, pourveu qu'il s'entende: Parlez selon ce que vous avez affaire a vostre auditeur. Car si c'est a dire, suffise vous qu'il vous oye: ou, reglez vous par luy: je ne trouve pas que ce fust raison. Le ton et mouvement de la voix, a quelque expression, et signification de mon sens: c'est a moy a le conduire, pour me representer. Il y a voix pour instruire, voix pour flater, ou pour tancer. Je veux que ma voix non seulement arrive a luy, mais a l'avanture qu'elle le frappe, et qu'elle le perse. Quand je mastine mon laquay, d'un ton aigre et poignant: il seroit bon qu'il vinst a me dire: Mon maistre parlez plus doux, je vous oy bien. Est qu?dam vox ad auditum accommodata, non magnitudine, sed proprietate . La parole est moitie a celuy qui parle, moitie a celuy qui l'escoute. Cestuy-cy se doibt preparer a la recevoir, selon le branle qu'elle prend. Comme entre ceux qui jouent a la paume, celuy qui soustient, se desmarche et s'appreste, selon qu'il voit remuer celuy qui luy jette le coup, et selon la forme du coup.

L'experience m'a encores appris cecy, que nous nous perdons d'impatience. Les maux ont leur vie, et leurs bornes, leurs maladies et leur sante: La constitution des maladies, est formee au patron de la constitution des animaux. Elles ont leur fortune limitee des leur naissance: et leurs jours. Qui essaye de les abbreger imperieusement, par force, au travers de leur course, il les allonge et multiplie: et les harselle, au lieu de les appaiser. Je suis de l'advis de Crantor, qu'il ne faut ny obstineement s'opposer aux maux, et a l'estourdi: ny leur succomber de mollesse: mais qu'il leur faut ceder naturellement, selon leur condition et la nostre. On doit donner passage aux maladies: et je trouve qu'elles arrestent moins chez moy, qui les laisse faire. Et en ay perdu de celles qu'on estime plus opiniastres et tenaces, de leur propre decadence: sans ayde et sans art, et contre ses reigles. Laissons faire un peu a nature: elle entend mieux ses affaires que nous. Mais un tel en mourut. Si ferez vous: sinon de ce mal la, d'un autre. Et combien n'ont pas laisse d'en mourir, ayants trois medecins a leur cul? L'exemple est un mirouer vague, universel et a tout sens. Si c'est une medecine voluptueuse, acceptez la; c'est tousjours autant de bien present. Je ne m'arresteray ny au nom ny a la couleur, si elle est delicieuse et appetissante: Le plaisir est des principales especes du profit.

J'ay laisse envieillir et mourir en moy, de mort naturelle, des rheumes, defluxions goutteuses; relaxation; battement de coeur; micraines; et autres accidens, que j'ay perdu, quand je m'estois a demy forme a les nourrir. On les conjure mieux par courtoisie, que par braverie. Il faut souffrir doucement les loix de nostre condition: Nous sommes pour vieillir, pour affoiblir, pour estre malades, en despit de toute medecine. C'est la premiere lecon, que les Mexicains font a leurs enfans; quand au partir du ventre des meres, ils les vont saluant, ainsin: Enfant, tu es venu au monde pour endurer: endure, souffre, et tais toy.

C'est injustice de se douloir qu'il soit advenu a quelqu'un, ce qui peut advenir a chacun. Indignare si quid in te inique proprie constitutum est . Voyez un vieillart, qui demande a Dieu qu'il luy maintienne sa sante entiere et vigoureuse; c'est a dire qu'il le remette en jeunesse:

Stulte quid h?c frustra votis puerilibus optas?

N'est-ce pas folie? sa condition ne le porte pas. La goutte, la gravelle, l'indigestion, sont symptomes des longues annees; comme des longs voyages, la chaleur, les pluyes, et les vents. Platon ne croit pas, qu'?sculape se mist en peine, de prouvoir par regimes, a faire durer la vie, en un corps gaste et imbecille: inutile a son pays, inutile a sa vacation: et a produire des enfants sains et robustes: et ne trouve pas, ce soing convenable a la justice et prudence divine, qui doit conduire toutes choses a l'utilite. Mon bon homme, c'est faict: on ne vous scauroit redresser: on vous plastrera pour le plus, et estanconnera un peu, et allongera-lon de quelque heure vostre misere.

Non secus instantem cupiens fulcire ruinam,

Diversis contra nititur obicibus,

Donec certa dies omni compage soluta,

Ipsum cum rebus subruat auxilium .

Il faut apprendre a souffrir, ce qu'on ne peut eviter. Nostre vie est composee, comme l'harmonie du monde, de choses contraires, aussi de divers tons, doux et aspres, aigus et plats, mols et graves: Le Musicien qui n'en aymeroit que les uns, que voudroit il dire? Il faut qu'il s'en scache servir en commun, et les mesler. Et nous aussi, les biens et les maux, qui sont consubstantiels a nostre vie. Nostre estre ne peut sans ce meslange; et y est l'une bande non moins necessaire que l'autre. D'essayer a regimber contre la necessite naturelle, c'est representer la folie de Ctesiphon, qui entreprenoit de faire a coups de pied avec sa mule.

Je consulte peu, des alterations, que je sens; Car ces gens icy sont avantageux, quand ils vous tiennent a leur misericorde. Ils vous gourmandent les oreilles, de leurs prognostiques; et me surprenant autrefois affoibly du mal, m'ont injurieusement traicte de leurs dogmes, et troigne magistrale: me menassent tantost de grandes douleurs, tantost de mort prochaine: Je n'en estois abbatu, ny desloge de ma place, mais j'en estois heurte et pousse: Si mon jugement n'en est ny change, ny trouble: au moins il en estoit empesche. C'est tousjours agitation et combat.

Or je traicte mon imagination le plus doucement que je puis; et la deschargerois si je pouvois, de toute peine et contestation. Il la faut secourir, et flatter, et pipper qui peut. Mon esprit est propre a cet office. Il n'a point faute d'apparences par tout. S'il persuadoit, comme il presche, il me secourroit heureusement.

Vous en plaist-il un exemple? Il dict, que c'est pour mon mieux, que j'ay la gravele. Que les bastimens de mon aage, ont naturellement a souffrir quelque gouttiere. Il est temps qu'ils commencent a se lascher et desmentir: C'est une commune necessite: Et n'eust on pas faict pour moy, un nouveau miracle. Je paye par la, le loyer deu a la vieillesse; et ne scaurois en avoir meilleur comte. Que la compagnie me doit consoler; estant tombe en l'accident le plus ordinaire des hommes de mon temps. J'en vois par tout d'affligez de mesme nature de mal. Et m'en est la societe honorable, d'autant qu'il se prend plus volontiers aux grands: son essence a de la noblesse et de la dignite. Que des hommes qui en sont frappez, il en est peu de quittes a meilleure raison: et si, il leur couste la peine d'un facheux regime, et la prise ennuieuse, et quotidienne, des drogues medecinales: La ou, je le doy purement a ma bonne fortune. Car quelques bouillons communs de l'eringium, et herbe du Turc, que deux ou trois fois j'ay avale, en faveur des dames, qui plus gracieusement que mon mal n'est aigre, m'en offroyent la moitie du leur: m'ont semble esgalement faciles a prendre, et inutiles en operation. Ils ont a payer mille voeux a ?sculape, et autant d'escus a leur medecin, de la profluvion de sable aisee et abondante, que je recoy souvent par le benefice de nature. La decence mesme de ma contenance en compagnie, n'en est pas troublee: et porte mon eau dix heures, et aussi long temps qu'un sain.

La crainte de ce mal, dit-il, t'effrayoit autresfois, quand il t'estoit incogneu: Les cris et le desespoir, de ceux qui l'aigrissent par leur impatience, t'en engendroient l'horreur. C'est un mal, qui te bat les membres, par lesquels tu as le plus failly: Tu es homme de conscience:

Qu? venit indigne p?na, dolenda venit.

Regarde ce chastiement; il est bien doux au prix d'autres, et d'une faveur paternelle. Regarde sa tardifvete: il n'incommode et occupe, que la saison de ta vie, qui ainsi comme ainsin est mes-huy perdue et sterile; ayant faict place a la licence et plaisirs de ta jeunesse, comme par composition. La crainte et pitie, que le peuple a de ce mal, te sert de matiere de gloire. Qualite, de laquelle si tu as le jugement purge, et en as guery ton discours, tes amis pourtant en recognoissent encore quelque teinture en ta complexion. Il y a plaisir a ouyr dire de soy: Voyla bien de la force: voila bien de la patience. On te voit suer d'ahan, pallir, rougir, trembler, vomir jusques au sang, souffrir des contractions et convulsions estranges, degoutter par fois de grosses larmes des yeux, rendre les urines espesses, noires, et effroyables, ou les avoir arrestees par quelque pierre espineuse et herissee qui te poinct, et escorche cruellement le col de la verge, entretenant cependant les assistans, d'une contenance commune; bouffonant a pauses avec tes gens: tenant ta partie en un discours tendu: excusant de parolle ta douleur, et rabbatant de ta souffrance.

Te souvient-il, de ces gens du temps passe, qui recherchoyent les maux avec si grand faim, pour tenir leur vertu en haleine, et en exercice? mets le cas que nature te porte, et te pousse a cette glorieuse escole, en laquelle tu ne fusses jamais entre de ton gre. Si tu me dis, que c'est un mal dangereux et mortel: Quels autres ne le sont? Car c'est une pipperie medecinale, d'en excepter aucuns; qu'ils disent n'aller point de droict fil a la mort: Qu'importe, s'ils y vont par accident; et s'ils glissent, et gauchissent aisement, vers la voye qui nous y meine? Mais tu ne meurs pas de ce que tu es malade: tu meurs de ce que tu es vivant. La mort te tue bien, sans le secours de la maladie. Et a d'aucuns, les maladies ont esloigne la mort: qui ont plus vescu, de ce qu'il leur sembloit s'en aller mourants. Joint qu'il est, comme des playes, aussi des maladies medecinales et salutaires. La colique est souvent non moins vivace que vous. Il se voit des hommes, ausquels elle a continue depuis leur enfance jusques a leur extreme vieillesse; et s'ils ne luy eussent failly de compagnie, elle estoit pour les assister plus outre. Vous la tuez plus souvent qu'elle ne vous tue. Et quand elle te presenteroit l'image de la mort voisine, seroit-ce pas un bon office, a un homme de tel aage, de le ramener aux cogitations de sa fin? Et qui pis est, tu n'as plus pour quoy guerir: Ainsi comme ainsin, au premier jour la commune necessite t'appelle. Considere combien artificielement et doucement, elle te desgouste de la vie, et desprend du monde: non te forcant, d'une subjection tyrannique, comme tant d'autres maux, que tu vois aux vieillards, qui les tiennent continuellement entravez, et sans relasche de foiblesses et douleurs: mais par advertissemens, et instructions reprises a intervalles; entremeslant des longues pauses de repos, comme pour te donner moyen de mediter et repeter sa lecon a ton aise. Pour te donner moyen de juger sainement, et prendre party en homme de coeur, elle te presente l'estat de ta condition entiere, et en bien et en mal; et en mesme jour, une vie tres-alegre tantost, tantost insupportable. Si tu n'accoles la mort, au moins tu luy touches en paume, une fois le mois. Par ou tu as de plus a esperer, qu'elle t'attrappera un jour sans menace. Et qu'estant si souvent conduit jusques au port: te fiant d'estre encore aux termes accoustumez, on t'aura et ta fiance, passe l'eau un matin, inopinement. On n'a point a se plaindre des maladies, qui partagent loyallement le temps avec la sante.

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