Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian (читать книги онлайн полностью .txt) 📗
Quatrieme histoire Prince et princesse
Encore une fois, Gerda dut se reposer, elle s'assit. Alors sur la neige une corneille sautilla aupres d'elle, une grande corneille qui la regardait depuis un bon moment en secouant la tete. Elle fit Kra! Kra! bonjour, bonjour. Elle ne savait dire mieux, mais avait d'excellentes intentions. Elle demanda a la petite fille ou elle allait ainsi, toute seule, a travers le monde.
Le mot seule, Gerda le comprit fort bien, elle sentait mieux que quiconque tout ce qu'il pouvait contenir, elle raconta toute sa vie a la corneille et lui demanda si elle n'avait pas vu Kay.
La corneille hochait la tete et semblait reflechir.
– Mais, peut-etre bien, ca se peut…
– Vraiment! tu le crois? cria la petite fille.
Elle aurait presque tue la corneille tant elle l'embrassait.
– Doucement, doucement, fit la corneille. Je crois que ce pourrait bien etre Kay, mais il t'a sans doute oubliee pour la princesse.
– Est-ce qu'il habite chez une princesse? demanda Gerda.
– Oui, ecoute, mais je m'exprime si mal dans ta langue. Si tu comprenais le parler des corneilles, ce me serait plus facile.
– Non, ca je ne l'ai pas appris, dit Gerda, mais grand-mere le savait, elle savait tout. Si seulement je l'avais appris!
– Ca ne fait rien, je raconterai comme je pourrai, tres mal surement.
Et elle se mit a raconter.
Dans ce royaume ou nous sommes, habite une princesse d'une intelligence extraordinaire.
L'autre jour qu'elle etait assise sur le trone-ce n'est pas si amusant d'apres ce qu'on dit-elle se mit a fredonner «Pourquoi ne pas me marier?»
– Tiens, ca me donne une idee! s'ecria-t-elle. Et elle eut envie de se marier, mais elle voulait un mari capable de repondre avec esprit quand on lui parlait de toutes choses.
– Chaque mot que je dis est la pure verite, interrompit la corneille. J'ai une fiancee qui est apprivoisee et se promene librement dans le chateau, c'est elle qui m'a tout raconte.
Sa fiancee etait naturellement aussi une corneille, car une corneille male cherche toujours une fiancee de son espece.
Tout de suite les journaux parurent avec une bordure de coeurs et l'initiale de la princesse. On y lisait que tout jeune homme de bonne apparence pouvait monter au chateau et parler a la princesse, et celui qui parlerait de facon que l'on comprenne tout de suite qu'il etait bien a sa place dans un chateau, que celui enfin qui parlerait le mieux, la princesse le prendrait pour epoux.
– Oui! oui! tu peux m'en croire, c'est aussi vrai que me voila, dit la corneille, les gens accouraient, quelle foule, quelle presse, mais sans succes le premier, ni le second jour. Ils parlaient tous tres facilement dans la rue, mais quand ils avaient depasse les grilles du palais, vu les gardes en uniforme brode d'argent, les laquais en livree d'or sur les escaliers et les grands salons illumines, ils etaient tout deconcertes, ils se tenaient devant le trone ou la princesse etait assise et ne savaient que dire sinon repeter le dernier mot qu'elle avait prononce, et ca elle ne se souciait nullement de l'entendre repeter. On aurait dit que tous ces pretendants etaient tombes en lethargie-jusqu'a ce qu'ils se retrouvent dehors, dans la rue, alors ils retrouvaient la parole. Il y avait queue depuis les portes de la ville jusqu'au chateau, affirma la corneille. Quand ils arrivaient au chateau, on ne leur offrait meme pas un verre d'eau.
Les plus avises avaient bien apporte des tartines mais ils ne partageaient pas avec leurs voisins, ils pensaient:
«S'il a l'air affame, la princesse ne le prendra pas.»
– Mais Kay, mon petit Kay, quand m'en parleras-tu? Etait-il parmi tous ces gens-la?-Patience! patience! nous y sommes. Le troisieme jour arriva un petit personnage sans cheval ni voiture, il monta d'un pas decide jusqu'au chateau, ses yeux brillaient comme les tiens, il avait de beaux cheveux longs, mais ses vetements etaient bien pauvres.
– C'etait Kay, jubila Gerda. Enfin je l'ai trouve.
Et elle battit des mains.
– Il avait un petit sac sur le dos, dit la corneille.
– Non, c'etait surement son traineau, dit Gerda, il etait parti avec.
– Possible, repondit la corneille, je n'y ai pas regarde de si pres, mais ma fiancee apprivoisee m'a dit que lorsqu'il entra par le grand portail, qu'il vit les gardes en uniforme brode d'argent, les laquais des escaliers vetus d'or, il ne fut pas du tout intimide, il les salua, disant:
– Comme ce doit etre ennuyeux de rester sur l'escalier, j'aime mieux entrer. Les salons etaient brillamment illumines, les Conseillers particuliers et les Excellences marchaient pieds nus et portaient des plats en or, c'etait quelque chose de tres imposant. Il avait des souliers qui craquaient tres fort, mais il ne se laissa pas impressionner.
– C'est surement Kay, dit Gerda, je sais qu'il avait des souliers neufs et je les entendais craquer dans la chambre de grand-maman.
Mais plein d'assurance, il s'avanca jusque devant la princesse qui etait assise sur une perle grande comme une roue de rouet.
Toutes les dames de la cour avec leurs servantes et les servantes de leurs servantes, et tous les chevaliers avec leurs serviteurs et les serviteurs de leurs serviteurs qui eux-memes avaient droit a un petit valet, se tenaient debout tout autour et plus ils etaient pres de la porte, plus ils avaient l'air fier. Le valet du domestique du premier serviteur qui se promene toujours en pantoufles, on ose a peine le regarder tellement il a l'air fier debout devant la porte.
– Mais est-ce que Kay a tout de meme eu la princesse?
– Si je n'etais pas corneille, je l'aurais prise. Il etait decide et charmant, il n'etait pas venu en pretendant mais seulement pour juger de l'intelligence de la princesse et il la trouva remarquable… et elle le trouva tres bien aussi.
– C'etait lui, c'etait Kay, s'ecria Gerda, il etait si intelligent, il savait calculer de tete meme avec les chiffres decimaux. Oh! conduis-moi au chateau…
– C'est vite dit, repartit la corneille, mais comment? J'en parlerai a ma fiancee apprivoisee, elle saura nous conseiller car il faut bien que je te dise qu'une petite fille comme toi ne peut pas entrer la regulierement.
– Si, j'irai, dit Gerda. Quand Kay entendra que je suis la il sortira tout de suite pour venir me chercher.
– Attends-moi la pres de l'escalier.
Elle secoua la tete et s'envola.
Il faisait nuit lorsque la corneille revint.
– Kra! Kra! fit-elle. Ma fiancee te fait dire mille choses et voici pour toi un petit pain qu'elle a pris a la cuisine. Ils ont assez de pain la-dedans et tu dois avoir faim. Il est impossible que tu entres au chateau-tu n'as pas de chaussures-les gardes en argent et les laquais en or ne le permettraient pas, mais ne pleure pas, tu vas tout de meme y aller. Ma fiancee connait un petit escalier derobe qui conduit a la chambre a coucher et elle sait ou elle peut en prendre la cle.
Alors la corneille et Gerda s'en allerent dans le jardin, dans les grandes allees ou les feuilles tombaient l'une apres l'autre, puis au chateau ou les lumieres s'eteignaient l'une apres l'autre et la corneille conduisit Gerda jusqu'a une petite porte de derriere qui etait entrebaillee.
Oh! comme le coeur de Gerda battait d'inquietude et de desir, comme si elle faisait quelque chose de mal, et pourtant elle voulait seulement savoir s'il s'agissait bien de Kay-oui, ce ne pouvait etre que lui, elle pensait si intensement a ses yeux intelligents, a ses longs cheveux, elle le voyait vraiment sourire comme lorsqu'ils etaient a la maison sous les roses. Il serait surement content de la voir, de savoir quel long chemin elle avait fait pour le trouver.
Les voila dans l'escalier ou brulait une petite lampe sur un buffet; au milieu du parquet se tenait la corneille apprivoisee qui tournait la tete de tous les cotes et considerait Gerda, laquelle fit une reverence comme grand-mere le lui avait appris.