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Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian (читать книги онлайн полностью .txt) 📗

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Lorsque le soir les soeurs, se tenant par le bras, montaient a travers l'eau profonde, la petite derniere restait toute seule et les suivait des yeux; elle aurait voulu pleurer, mais les sirenes n'ont pas de larmes et n'en souffrent que davantage.

– Helas! que n'ai-je quinze ans! soupirait-elle. Je sais que moi j'aimerais le monde de la-haut et les hommes qui y construisent leurs demeures.

– Eh bien, tu vas echapper a notre autorite, lui dit sa grand-mere, la vieille reine douairiere. Viens, que je te pare comme tes soeurs. Elle mit sur ses cheveux une couronne de lys blancs dont chaque petale etait une demi-perle et elle lui fit attacher huit huitres a sa queue pour marquer sa haute naissance.

– Cela fait mal, dit la petite.

– Il faut souffrir pour etre belle, dit la vieille.

Oh! que la petite aurait aime secouer d'elle toutes ces parures et deposer cette lourde couronne! Les fleurs rouges de son jardin lui seyaient mille fois mieux, mais elle n'osait pas a present en changer.

– Au revoir, dit-elle, en s'elevant aussi legere et brillante qu'une bulle a travers les eaux.

Le soleil venait de se coucher lorsqu'elle sortit sa tete a la surface, mais les nuages portaient encore son reflet de rose et d'or et, dans l'atmosphere tendre, scintillait l'etoile du soir, si douce et si belle! L'air etait pur et frais, et la mer sans un pli.

Un grand navire a trois mats se trouvait la, une seule voile tendue, car il n'y avait pas le moindre souffle de vent, et tous a la ronde sur les cordages et les vergues, les matelots etaient assis. On faisait de la musique, on chantait, et lorsque le soir s'assombrit, on alluma des centaines de lumieres de couleurs diverses. On eut dit que flottaient dans l'air les drapeaux de toutes les nations.

La petite sirene nagea jusqu'a la fenetre du salon du navire et, chaque fois qu'une vague la soulevait, elle apercevait a travers les vitres transparentes une reunion de personnes en grande toilette. Le plus beau de tous etait un jeune prince aux yeux noirs ne paraissant guere plus de seize ans. C'etait son anniversaire, c'est pourquoi il y avait grande fete.

Les marins dansaient sur le pont et lorsque Le jeune prince y apparut, des centaines de fusees monterent vers le ciel et eclaterent en eclairant comme en plein jour. La petite sirene en fut tout effrayee et replongea dans l'eau, mais elle releva bien vite de nouveau la tete et il lui parut alors que toutes les etoiles du ciel tombaient sur elle. Jamais elle n'avait vu pareille magie embrasee. De grands soleils flamboyants tournoyaient, des poissons de feu s'elancaient dans l'air bleu et la mer paisible reflechissait toutes ces lumieres. Sur le navire, il faisait si clair qu'on pouvait voir le moindre cordage et naturellement les personnes. Que le jeune prince etait beau, il serrait les mains a la ronde, tandis que la musique s'elevait dans la belle nuit!

Il se faisait tard mais la petite sirene ne pouvait detacher ses regards du bateau ni du beau prince. Les lumieres colorees s'eteignirent, plus de fusees dans l'air, plus de canons, seulement, dans le plus profond de l'eau un sourd grondement. Elle flottait sur l'eau et les vagues la balancaient, en sorte qu'elle voyait l'interieur du salon. Le navire prenait de la vitesse, l'une apres l'autre on larguait les voiles, la mer devenait houleuse, de gros nuages parurent, des eclairs sillonnerent au loin le ciel. Il allait faire un temps epouvantable! Alors, vite les matelots replierent les voiles. Le grand navire roulait dans une course folle sur la mer demontee, les vagues, en hautes montagnes noires, deferlaient sur le grand mat comme pour l'abattre, le bateau plongeait comme un cygne entre les lames et s'elevait ensuite sur elles.

Les marins, eux, si la petite sirene s'amusait de cette course, semblaient ne pas la gouter, le navire craquait de toutes parts, les epais cordages ployaient sous les coups. La mer attaquait. Bientot le mat se brisa par le milieu comme un simple roseau, le bateau prit de la bande, l'eau envahit la cale.

Alors seulement la petite sirene comprit qu'il y avait danger, elle devait elle-meme se garder des poutres et des epaves tourbillonnant dans l'eau.

Un instant tout fut si noir qu'elle ne vit plus rien et, tout a coup, le temps d'un eclair, elle les apercut tous sur le pont. Chacun se sauvait comme il pouvait. C'etait le jeune prince qu'elle cherchait du regard et, lorsque le bateau s'entrouvrit, elle le vit s'enfoncer dans la mer profonde.

Elle en eut d'abord de la joie a la pensee qu'il descendait chez elle, mais ensuite elle se souvint que les hommes ne peuvent vivre dans l'eau et qu'il ne pourrait atteindre que mort le chateau de son pere.

Non! il ne fallait pas qu'il mourut! Elle nagea au milieu des epaves qui pouvaient l'ecraser, plongea profondement puis remonta tres haut au milieu des vagues, et enfin elle approcha le prince. Il n'avait presque plus la force de nager, ses bras et ses jambes deja s'immobilisaient, ses beaux yeux se fermaient, il serait mort sans la petite sirene.

Quand vint le matin, la tempete s'etait apaisee, pas le moindre debris du bateau n'etait en vue; le soleil se leva, rouge et etincelant et semblant ranimer les joues du prince, mais ses yeux restaient clos. La petite sirene deposa un baiser sur son beau front eleve et repoussa ses cheveux ruisselants.

Elle voyait maintenant devant elle la terre ferme aux hautes montagnes bleues couvertes de neige, aux belles forets vertes descendant jusqu'a la cote. Une eglise ou un cloitre s'elevait la-elle ne savait au juste, mais un batiment.

Des citrons et des oranges poussaient dans le jardin et devant le portail se dressaient des palmiers. La mer creusait la une petite crique a l'eau parfaitement calme, mais tres profonde, baignant un rivage rocheux couvert d'un sable blanc tres fin. Elle nagea jusque-la avec le beau prince, le deposa sur le sable en ayant soin de relever sa tete sous les chauds rayons du soleil.

Les cloches se mirent a sonner dans le grand edifice blanc et des jeunes filles traverserent le jardin. Alors la petite sirene s'eloigna a la nage et se cacha derriere quelque haut recif emergeant de l'eau, elle couvrit d'ecume ses cheveux et sa gorge pour passer inapercue et se mit a observer qui allait venir vers le pauvre prince.

Une jeune fille ne tarda pas a s'approcher, elle eut d'abord grand-peur, mais un instant seulement, puis elle courut chercher du monde. La petite sirene vit le prince revenir a lui, il sourit a tous a la ronde, mais pas a elle, il ne savait pas qu'elle l'avait sauve. Elle en eut grand-peine et lorsque le prince eut ete porte dans le grand batiment, elle plongea desesperee et retourna chez elle au palais de son pere.

Elle avait toujours ete silencieuse et pensive, elle le devint bien davantage. Ses soeurs lui demanderent ce qu'elle avait vu la-haut, mais elle ne raconta rien.

Bien souvent le soir et le matin elle montait jusqu'a la place ou elle avait laisse le prince. Elle vit murir les fruits du jardin et elle les vit cueillir, elle vit la neige fondre sur les hautes montagnes, mais le prince, elle ne le vit pas, et elle retournait chez elle toujours plus desesperee.

A la fin elle n'y tint plus et se confia a l'une de ses soeurs. Aussitot les autres furent au courant, mais elles seulement et deux ou trois autres sirenes qui ne le repeterent qu'a leurs amies les plus intimes. L'une d'elles savait qui etait le prince, elle avait vu aussi la fete a bord, elle savait d'ou il etait, ou se trouvait son royaume.

– Viens, petite soeur, dirent les autres princesses.

Et, s'enlacant, elles monterent en une longue chaine vers la cote ou s'elevait le chateau du prince.

Par les vitres claires des hautes fenetres on voyait les salons magnifiques ou pendaient de riches rideaux de soie et de precieuses portieres. Les murs s'ornaient, pour le plaisir des yeux, de grandes peintures. Dans la plus grande salle chantait un jet d'eau jaillissant tres haut vers la verriere du plafond.

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