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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗

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La ville etait l'aboutissement d'une large vallee regorgeant d'orangers, de citronniers, et Catherine songea qu'elle n'avait jamais imagine paysage semblable. La mer, telle qu'elle l'avait contemplee jadis, en Flandre, aux cotes du duc Philippe, avec une sorte de crainte superstitieuse, etait grise et verte, violente, cretee de hautes vagues blanchissantes ou alors plate, avec des couleurs d'herbe mourante contre des dunes que le vent echevelait. Oubliant un instant sa peine, elle avait cherche la main d'Arnaud.

— Regarde ! C'est surement le plus bel endroit de la terre. Est-ce que nous ne serions pas merveilleusement heureux si nous pouvions vivre ici, tous les deux ?

Mais il avait secoue la tete avec, au coin des levres, ce pli dur que Catherine connaissait bien, et le regard dont il avait enveloppe le merveilleux paysage contenait un peu de ressentiment.

— Non ! Nous ne serions pas heureux ! C'est trop different de ce a quoi nous sommes habitues. Nous ne sommes pas faits, moi surtout, pour ces pays de mollesse et de grace dont le charme cache la cruaute, le vice, les instincts feroces et la croyance a un dieu qui n'est pas le notre. Pour vivre en terre d'Islam, il faut d'abord conquerir, tuer, detruire, puis regner. Alors seulement la vie est possible pour des gens tels que nous... Crois-moi, notre rude et vieille Auvergne, si nous la revoyons un jour, nous donnera bien plus de vrai bonheur.

1. A cette epoque Almeria etait une tres grande ville, plus importante meme que Grenade.

Il sourit de sa mine desappointee, posa un baiser rapide sur ses yeux et s'en alla rejoindre Mansour. La troupe avait fait halte sur cette colline ombragee pour tenir une sorte de conseil. Catherine, un instant, laissa Gauthier, glissa hors de la litiere et s'approcha des hommes. Mansour designait la blanche forteresse campee sur la ville.

— C'est l'Alcazaba. Le prince Abdallah y reside le plus souvent, de preference a son palais du bord de mer. Il n'a que quinze ans, mais ne vit que pour les armes et la guerre. Sur ce territoire, tu n'as plus rien a craindre du Calife, dit-il a Arnaud. Que comptes-tu faire ?

— Trouver un navire qui nous ramene dans notre pays. Penses-tu que ce soit possible ?

— J'en possede deux dans ce port. Avec l'un, je vais gagner les terres d'Afrique pour y mediter ma vengeance. L'autre te conduira, avec les tiens, aux abords de Valence. Depuis que le Cid nous en a chasses, ajouta-t-il avec amertume, les navires de l'Islam ne penetrent plus dans le port, meme pour commercer, alors que nous accueillons souvent des marchands etrangers. Le capitaine vous debarquera nuitamment sur la cote. A Valence, tu trouveras sans peine un navire qui te conduira a Marseille.

Arnaud acquiesca d'un signe de tete. A Marseille, possession de la reine Yolande, comtesse de Provence, il serait, en effet, presque chez lui et, a son sourire, Catherine devina la joie qui l'envahissait a cette idee. Il allait, apres l'avoir crue si longtemps perdue a jamais, retrouver la vie d'autrefois, celle de la camaraderie des armes, des combats, car, tout au fond d'elle-meme, la jeune femme doutait qu'il sut se contenter d'une vie paisible, dans le chateau de Montsalvy que les moines reconstruisaient a cette heure meme... Mais le sourire d'Arnaud s'effaca, fit place a un pli soucieux.

— Pouvons-nous partir cette nuit meme ?

— Pourquoi tant de hate ? Abdallah t'offrira l'hospitalite fraternelle que je t'aurais donnee moi-meme si j'avais pu t'emmener avec moi au Maghreb. Tu garderas ainsi un moins mauvais souvenir de l'Islam.

— Je te suis reconnaissant. Sois certain que je garderai un bon souvenir, sinon de l'Islam entier, du moins de toi, Mansour. Te rencontrer a ete une benediction du Ciel et je lui en rends grace ! Mais il y a le blesse...

— Il est perdu. Le medecin vous l'a dit.

— Je sais. Cependant, s'il pouvait durer jusqu'a ce que nous ayons atteint la terre de France !

Une bouffee de tendresse envahit le c?ur de Catherine. Cette delicatesse d'Arnaud envers le modeste Gauthier l'emouvait au plus profond. Le Normand allait mourir, certes, mais Montsalvy refusait de laisser son corps en terre infidele. Elle leva sur son epoux un regard brillant de reconnaissance. Mansour, apres un instant de silence, repliquait, lentement :

— Il ne vivra pas jusque-la ! Pourtant, je comprends ta pensee, mon frere ! Il en sera fait comme tu le desires. Cette nuit meme mon navire mettra a la voile... Allons, maintenant.

Il remontait a cheval. Catherine regagna la litiere ou Gauthier, pour un moment, avait repris conscience. Sa respiration se faisait d'heure en heure plus difficile et plus sifflante. Son corps immense paraissait s'amenuiser a mesure que coulait le temps et son visage se plombait, deja touche par l'ombre de la mort. Mais il tourna vers Catherine un regard conscient et elle lui sourit.

— Regarde, fit-elle doucement en ecartant le rideau pour qu'il put voir au-dehors. Voila la mer que tu as toujours aimee, dont tu m'as tant parle. Aupres d'elle, tu vas guerir...

Il hocha la tete negativement. L'ebauche d'un sourire parut sur ses levres blanches.

— Non... et c'est bien mieux ! Je vais... mourir !

— Ne dis pas cela ! protesta Catherine tendrement. Nous te soignerons, nous...

— Non ! Il est inutile de mentir ! Je sais et je... je suis heureux ! Il faut... me promettre quelque chose.

— Tout ce que tu voudras.

Il lui fit signe d'approcher. Catherine se pencha jusqu'a ce que son oreille touchat presque la bouche du moribond. Alors il souffla :

— Promettez... qu'il ne saura jamais ce qui s'est passe... a Coca !

Cela lui ferait mal... et c'etait seulement... une charite! Cela n'en vaut pas la peine...

Catherine se redressa, etreignit avec une sorte de passion la main brulante abandonnee sur le matelas.

— Non, fit-elle avec vehemence, ce n'etait pas une charite ! C'etait par amour ! Je te le jure, Gauthier, sur tout ce que j'ai au monde de plus precieux : cette nuit-la, je t'ai aime, je me suis donnee a toi de tout mon c?ur et j'aurais continue si tu l'avais voulu. Vois-tu, ajouta-t-elle en baissant la voix davantage encore, tu m'avais donne tant de joie qu'un instant j'ai eu la tentation d'en rester la, d'abandonner Grenade...

Elle s'arreta. Une expression d'infini bonheur detendait les traits ravages de Gauthier, leur conferant une beaute, une douceur qu'ils n'avaient jamais possedees. Il eut un sourire d'enfant comble et, pour la premiere fois depuis la fameuse nuit, Catherine, bouleversee, retrouva dans le regard gris la passion qu'elle y avait lue alors.

— Tu l'aurais regrette, mon amour... chuchota-t-il, mais... merci de me l'avoir dit ! Je vais partir heureux... si heureux !

Puis, comme la jeune femme ouvrait la bouche pour ajouter peut-

etre une autre protestation, il murmura, plus bas, d'une voix qui faiblissait :

— Ne dis plus rien... Laisse-moi ! Je voudrais parler... au medecin... et je n'ai plus beaucoup de temps ! Adieu... Catherine ! Je n'ai... aime que toi au monde !

La gorge de la jeune femme s'etrangla sous une brusque douleur, mais elle n'osa pas refuser ce qu'il lui demandait. Un instant, elle contempla ce visage aux yeux maintenant clos et qui peut-etre ne s'ouvriraient plus. Une fois encore, elle se pencha et, tres doucement, avec une tendresse infinie, posa ses levres sur la bouche dessechee, puis, se tournant vers Marie, qui, immobile au plus eloigne de la litiere, avait assiste silencieuse a leur entretien.

— Appelle Abou ! Il marche aupres de nous... Moi, je descends.

Le cortege, en effet, marchait au pas car une grande animation encombrait la route vers la ville blanche. Ce devait etre jour de marche, ce qui doublait l'activite portuaire toujours grande. Marie fit signe qu'elle avait compris et appela le medecin tandis que Catherine, pour cacher les larmes qui venaient, se laissait glisser a terre. Arnaud chevauchait a quelques pas en avant, aupres de Mansour. Elle l'appela avec, dans la voix, tant de douleur qu'il s'arreta net, regarda le joli visage noye de larmes et, se penchant sur sa selle, lui tendit une main.

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