Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗
Les hommes tombaient, sous leurs coups, comme des mouches.
Catherine entendit rire Arnaud dans la melee et ne put retenir un mouvement d'humeur. Il etait la dans son element reel, enfin retrouve.
« Jamais, songea-t-elle avec ressentiment, il n'est aussi heureux qu'au plein d'une bataille. Meme entre mes bras, il ne connait pas une telle plenitude... »
Une voix percante, criarde, lui parvint :
— Tu ne m'echapperas pas, Mansour ben Zegris ! Quand j'ai appris ta fuite, j'ai compris que tu essayerai de gagner Almeria par ce chemin difficile et tu es venu tout droit dans mon piege...
C'etait Faradj qui narguait son ennemi. Le petit homme etait, lui aussi, un redoutable guerrier et le duel qui l'opposait a Mansour etait feroce.
— Ton piege ? repliqua dedaigneusement le prince. Tu te fais trop d'honneur. Je savais que tu campais dans ces parages et je ne te crains pas. Mais tu fais fausse route si tu esperes de l'or ou des joyaux. Nous n'avons que nos armes...
— Tu oublies ta tete ! Le Calife me la paiera dix fois son poids d'or et je rentrerai enfin dans Grenade en triomphateur.
— Quand ta tete a toi pourrira sur le rempart, alors, oui, tu pourras contempler Grenade en triomphateur.
Le reste de l'altercation se perdit dans le fracas des armes.
Catherine s'etait pelotonnee contre Marie et les deux femmes suivaient la bataille avec angoisse.
— Si nous sommes reprises, murmura la jeune fille, tu auras la vie sauve car Muhammad t'aime... mais moi je serai livree au bourreau et empalee !
— Nous ne serons pas reprises, affirma Catherine avec une confiance que, cependant, elle etait loin d'eprouver.
Le jour baissait vite. Seules, les cretes neigeuses demeuraient encore rouges de soleil. Les pentes s'assombrissaient. La mort tracait des vides dans les deux camps. Parfois, avec un rale desespere qui dechirait le tumulte, un cheval et son cavalier culbutaient dans le torrent.
Mansour, Arnaud et Gauthier se battaient toujours et, dans les rangs des brigands, les pertes etaient severes alors que cinq hommes seulement etaient tombes du cote des fuyards. Mais le combat durait, la nuit allait venir et Catherine, les nerfs tendus a craquer, enfoncait ses ongles dans ses paumes pour ne pas crier. Aupres d'elle, Marie respirait avec peine, les yeux rives a ces guerriers dont la victoire ou la defaite pouvaient avoir, pour elle, de si terribles consequences.
Abou-al-Khayr priait toujours...
Et puis, il y eut un double cri, affreux, dechirant, qui, au mepris de tout danger, jeta Catherine hors de la litiere. Le cimeterre vigoureusement manie par Arnaud venait de fendre la tete de Faradj le Borgne qui tomba a terre comme une masse. Mais la jeune femme ne lui accorda qu'un regard rapide, fascinee qu'elle etait par une epouvantable image : Gauthier, toujours a cheval, la bouche grande ouverte sur ce cri qui ne finissait pas et une lance enfoncee en pleine poitrine.
Les yeux de Catherine et ceux du geant se croiserent. Elle lut dans le regard de son ami une immense surprise, puis d'une masse, comme un chene foudroye, le Normand glissa a terre.
— Gauthier ! cria la jeune femme ! Mon Dieu !...
Elle courut vers lui, s'agenouilla, mais deja Arnaud avait saute de cheval, se precipitait et l'ecartait.
— Laisse ! N'y touche pas...
A son appel, Abou-al-Khayr accourut, fronca les sourcils.
Vivement, il s'agenouilla, posa la main sur le c?ur du geant abattu.
Un mince filet de sang coulait du coin de la bouche.
— Il vit encore, fit le medecin. Il faudrait oter l'arme doucement...
tout doucement ! Peux-tu faire cela pendant que je le maintiendrai ?
demanda-t-il a Montsalvy.
Pour toute reponse, celui-ci arracha sans hesiter les pansements qui enveloppaient encore ses mains blessees et qui risquaient de glisser sur le bois de la lance. Puis, fermement, il empoigna l'arme tandis qu'Abou ecartait avec precaution les levres de la plaie et que Catherine, avec un coin de son voile, essuyait le sang des commissures.
— Maintenant... fit le petit medecin. Doucement, tout doucement ! Nous pouvons le tuer en otant cette lance.
Arnaud tira. Pouce par pouce, l'arme meurtriere glissa, remontant des profondeurs de la poitrine... Catherine retenait son souffle, craignant que chaque respiration de Gauthier ne fut la derniere. Les larmes brouillaient ses yeux, mais elle les retenait courageusement.
Enfin, la lance vint tout entiere et Arnaud, d'un geste de colere, la jeta loin de lui tandis que le medecin se hatait, au moyen de tampons que Marie avait hativement fabriques avec ce qui lui etait tombe sous la main en fait de tissus, d'etancher le nouvel ecoulement de sang cause par le retrait de l'arme.
Autour d'eux, le silence s'etait fait. Prives de leur chef, les brigands s'etaient enfuis sans que Mansour se donnat la peine de les poursuivre. Cote rebelles, les survivants du combat revenaient vers le groupe, formaient autour un cercle silencieux. Mansour essuya tranquillement son cimeterre avant de le raccrocher a sa ceinture puis se pencha sur le blesse. Son regard sombre croisa j celui d'Arnaud.
— Tu es un vaillant guerrier, seigneur infidele, mais ton serviteur aussi est un brave ! Par Allah, s'il vit, je le prends comme lieutenant.
Penses-tu le sauver, medecin?
Abou, qui avec son habilete habituelle avait mis a nu la poitrine blessee, aide par Catherine, hocha la tete d'un air de doute et la jeune femme constata, avec un affreux serrement de c?ur, que son front ne se deridait pas.
— Sauvez-le ! supplia-t-elle ardemment. Il ne peut pas mourir !
Pas lui...
— La blessure semble profonde ! murmura Abou. Je ] vais faire de mon mieux. Mais il faut l'enlever d'ici. On n'y voit plus.
— Transportons-le dans la litiere, fit Arnaud. Le diable m'emporte si j'y remets les pieds !
— Tu es presque nu, sans souliers, coupa Catherine... et tu n'es pas sauve !
— Qu'importe ! Je prendrai l'equipement de l'un des morts. Je refuse de rester sous cette defroque de femme qui me rend grotesque.
Ne peut-on avoir un peu de lumiere ?
Haletant encore du combat, deux des guerriers allumaient des torches tandis que d'autres, avec d'infinies precautions, soulevaient Gauthier et, sous la direction attentive d'Abou, le transportaient dans la litiere ou, grace a son infaillible prevoyance, le petit medecin avait entasse sous les matelas des vivres et des remedes.
Les sommets neigeux dessinaient, dans la nuit, de gigantesques formes fantomales. Le vent se levait, hurlait dans la gorge comme un loup malade, et le froid venait.
— Il faut trouver un abri pour la nuit, fit la voix de Mansour.
Suivre cette route en corniche dans l'obscurite serait un suicide et nous n'avons plus rien a craindre des bandits de Faradj. Debarrassez le chemin, vous autres !...
Les « plouf » nombreux qui suivirent apprirent a Catherine que les morts s'en allaient par le chemin du torrent, ennemis et allies fraternellement unis pour le dernier voyage. Arnaud, qui avait disparu un instant, revint, habille de pied en cap, portant burnous blanc et casque enturbanne.
Le souffle glacial des sommets effilochait les torches. Avec beaucoup de precaution, on se remit en marche au long du dangereux chemin sous la conduite des porteurs de flammes. Mansour, tenant son cheval par la bride, allait en avant, cherchant un refuge quelconque.
La litiere venait ensuite, a toute petite allure pour ne pas secouer le blesse auquel Abou, aide de Catherine et de Marie, donnait les premiers soins.
Bientot, la bouche noire d'une grotte s'ouvrit bien- heureusement sur le chemin, assez large pour qu'on put y engager en partie la litiere, une fois les chevaux deteles. Les hommes et les betes s'y entasserent. On fit un feu autour duquel Catherine vint rejoindre Arnaud quand Abou n'eut plus besoin d'elle. Apres avoir bande la blessure, le medecin avait fait prendre a Gauthier un calmant pour essayer de le faire dormir, mais la fievre montait et Abou ne cachait pas son pessimisme.