Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗
— Viens, dit-il seulement.
Il l'enleva de terre, l'installa devant lui et referma ses bras sur elle.
La jeune femme cacha son visage contre sa poitrine et se mit a pleurer sans retenue. Arnaud dit seulement :
— C'est la fin ?
Incapable de repondre, elle hocha la tete. Alors, lui :
— Pleure, ma mie, pleure autant que tu voudras ! On ne pleurera jamais assez un homme tel que lui !
Dans le grouillement frenetique du port, parmi les innombrables marchands de poisson, de coquillages, d'oranges, de legumes, de fruits, d'epices qui, assis a meme le sol aupres de grands couffins debordants, appelaient le chaland a grands cris, la troupe de Mansour forcait un passage a la litiere ou Gauthier, maintenant, agonisait, vers les navires a quai. Il y avait la, parmi une foule de barques de peche de toutes dimensions, quelques lourds navires marchands voisinant avec deux galeres barbaresques, deux dromons profiles comme des guepards, fauves au repos tapis parmi les nefs massives. Mansour les designa de la main a Arnaud.
— Voila mes navires...
Montsalvy sourit sans repondre. Il venait de comprendre qu'outre ses possessions du mysterieux Maghreb, Ben Zegris tirait le plus clair de sa fortune de la piraterie. C'etaient la navires de chasse et de proie et une inquietude lui venait d'embarquer Catherine et Marie sur ces aquatiques felins. Qui pouvait etre sur qu'une fois en mer le capitaine ne mettrait pas le cap sur Alexandrie, ou sur Candie, ou sur Tripoli, sur un grand marche d'esclaves ou ferait prime sans doute la plus belle dame d'Occident ? La mort imminente de Gauthier changeait bien des choses. Il allait, lui, Arnaud, se retrouver seul, avec Josse, pour defendre deux femmes contre un equipage entier, puisque Abou regagnerait Grenade quand ils leveraient l'ancre... Aucune voix musulmane ne s'eleverait plus, une fois franchies les tours d'avant-port d'Almeria, pour defendre les roumis contre la cupidite des Barbaresques. Certes, Arnaud ne doutait pas de la bonne foi de Mansour, mais un pirate, cela devait savoir mentir, tromper, convaincre... le reis qui commandait ce bateau de proie n'aurait qu'a dire qu'il avait accompli sa mission et nul ne se soucierait plus de ce qu'il avait pu advenir des Montsalvy...
Envahi par ces sombres pressentiments, Arnaud, instinctivement, serra Catherine contre lui, mais elle ne reagit pas a son etreinte. Elle regardait, de tous ses yeux, un navire qui, a cet instant, franchissait la passe et, le regardant, se demandait si elle voyait bien clair ou si elle ne revait pas.
Ce bateau-la ne ressemblait pas a ceux qui emplissaient le port.
Point de voiles triangulaires, effilees comme des fers de lance, mais une enorme voile carree, rayee de bleu et de rouge que les marins amenaient car l'entree dans le port etait l'affaire des rameurs. C'etait une grosse galee a la coque pansue, au chateau arriere eleve et cisele comme un coffret, mais ce qui fascinait Catherine, ce n'etait pas tant la forme du vaisseau que les oriflammes qui dansaient dans le vent au-dessus de la gabie. L'une, d'or rayee d'argent, portait trois coquilles Saint-Jacques de sable et trois c?urs de gueule Ces armes parlantes, elle les connaissait bien.
Jacques C?ur ! s'ecria-t-elle. Ce navire lui appartient surement.
Arnaud, lui aussi, maintenant, regardait approcher le beau navire, mais c'etait l'autre flamme qu'il contemplait avec des yeux emerveilles, celle qui dominait et se deployait le plus largement.
Les lys d'Anjou, le lambel de Sicile, les pals d'Aragon et les croix de Jerusalem ! souffla-t-il. La reine Yolande... Ce navire porte certainement un ambassadeur.
Une joie immense se levait dans les c?urs rapproches des deux epoux. Ce navire a lui tout seul apportait le pays tout entier, et aussi l'amitie, la loyaute, la grandeur... Les couleurs vibraient dans la chaleur de l'ete. Sur ce navire, ils seraient deja chez eux...
Je crois, dit Arnaud a Mansour, que tu ne seras pas oblige de mobiliser pour nous l'un de tes navires. Celui-ci appartient a un ami et amene sans doute un ambassadeur de mon pays...
Un marchand, remarqua Ben Zegris avec une nuance de dedain qu'il corrigea d'ailleurs aussitot : « Mais bien arme !» - Au bordage, en effet, six bombardes montraient des gueules beantes.
La « Magdalene », c'etait le nom du navire, ne cherchait pas a toucher terre. Parvenue au centre du port, elle jetait l'ancre et mettait une barque a l'eau tandis que, sur le quai, accouraient une nuee de fonctionnaires en turbans et de curieux. La troupe de Mansour et la litiere furent soudain noyees par cette maree humaine qui se poussait, s'ecrasait afin de mieux voir les arrivants inattendus.
La barque, cependant, faisait force de rames et amenait rapidement a terre trois personnages dont l'un portait turban et 1. Sable : noir, gueule : rouge.
les deux autres chaperons brodes. Mais Catherine avait deja reconnu le plus grand des porteurs de chaperons. Avant qu'Arnaud ait pu l'en empecher, elle avait glisse de ses bras jusqu'a terre et, poussant, jouant des coudes et des pieds avec une ardeur tellement irresistible qu'il fallait bien lui faire place, elle parvint au bord de l'eau comme la barque accostait. Et quand Jacques C?ur sauta sur le quai, elle lui tomba presque dans les bras riant et pleurant tout a la fois...
Il ne l'avait pas reconnue tout de suite et, d'abord, voulut repousser cette musulmane poussiereuse qui s'accrochait a lui, mais ce ne fut qu'un instant. Brusquement, il vit son visage et aussitot palit.
— Catherine ! s'exclama-t-il avec stupeur. Ce n'est pas possible !
Ce n'est pas vous ?
— Mais si, mon ami, c'est moi... et si heureuse de vous revoir !
Mon Dieu ! Mais c'est le Ciel lui-meme qui vous envoie ! C'est trop beau, trop merveilleux, trop...
Elle ne savait plus bien ce qu'elle disait, possedee par une joie assez violente pour faire chavirer une tete plus solide. Mais Arnaud avait pousse son cheval et gagne, lui aussi, le premier rang. Il sauta a terre, tombant presque, lui aussi, dans les bras de maitre Jacques eberlue, en recevant l'etreinte de ce cavalier maure qu'il reconnut pourtant aussitot
! — Et Messire Arnaud ! s'ecria celui-ci. Quelle chance incroyable
!... Vous retrouver alors que je touche a peine terre ! Mais savez-vous que je n'ai plus rien a faire ici ?
— Comment cela ?
— Que croyez-vous que je vienne faire ? Je viens vous chercher.
N'avez-vous point remarque les armes royales sur mon navire ? Je suis ambassadeur de la duchesse-reine et je viens reclamer au Calife de Grenade le seigneur de Montsalvy et son epouse... Tout en lui rendant l'un de ses meilleurs capitaines qui avait eu le malheur de se faire prendre sur les cotes de Provence. Un echange en quelque sorte...
— Vous risquiez votre vie, s'ecria Catherine.
— A peine, sourit Jacques C?ur. Mon navire est puissant et les gens de ce pays respectent les ambassadeurs en meme temps qu'ils s'interessent aux echanges commerciaux.-Je m'entends assez bien avec les enfants d'Allah depuis que je bourlingue autour de la Mediterranee
!
La joie des trois amis a se retrouver semblait ne pouvoir se tarir. Ils riaient, parlaient tous a la fois, ayant oublie jusqu'a ceux qui les entouraient. Les questions s'entrecroisaient si vite que personne ne pouvait y repondre, mais chacun d'eux voulait tout savoir, tout de suite. Ce fut Catherine qui se reprit la premiere parce que son regard, passant par-dessus Jacques et Arnaud qui s'embrassaient encore en se bourrant le dos de coups de poing, accrocha la litiere entre les rideaux de laquelle apparaissait la tete inquiete d'Abou-al-Khayr. Aussitot, elle se reprocha comme un crime d'avoir oublie, meme un instant, son ami mourant. Elle se pendit au bras de Jacques C?ur, l'arrachant presque a son epoux.
— Jacques, supplia-t-elle. Il faut nous emmener d'ici... tout de suite