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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗

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Abou-al-Khayr se contenta de s'incliner en silence. Mansour, tournant les talons, rejoignit le sombre escadron qui, rigide, attendait, masse pres de la porte, brides aux bras, mur noir troue d'yeux luisants.

Le chef leur dit quelques mots et, silencieusement, l'un derriere l'autre, ils gagnerent les communs du palais. Le medecin, alors, se tourna vers Catherine et vers Amina :

— Venez, dit-il, nous n'avons pas beaucoup de temps.

Mais, en franchissant le seuil du palais, une idee traversa Catherine. D'un geste vif, elle detacha la fabuleuse ceinture d'Harounal-Raschid et la tendit a la sultane.

— Tiens ! dit-elle, cette ceinture t'appartient. Pour rien au monde, je ne voudrais l'emporter.

Un instant, les doigts minces d'Amina caresserent les enormes gemmes. Il y avait une tristesse dans sa voix quand elle murmura :

— Le jour ou je l'ai portee pour la premiere fois, je croyais bien qu'elle etait la chaine meme du bonheur... Mais j'ai compris, par la suite, que c'etait bien une chaine, rien qu'une chaine... et fort lourde.

Ce soir, j'ai espere que mes entraves se briseraient... Helas, elles sont toujours la et tu m'en rapportes la preuve ! N'importe ! Sois-en tout de meme remerciee...

Les deux femmes allaient passer dans les appartements prives d'Amina, sur les pas du medecin, quand deux esclaves noires, grandes et vigoureuses sous des robes rayees de brun, apparurent, moitie portant, moitie trainant une femme beaucoup plus petite, toute vetue de noir et qui se debattait comme une furie.

— On l'a trouvee a la porte ! fit l'une des deux esclaves. Elle criait qu'elle voulait voir Abou le Medecin, qu'on lui a dit, a sa maison, qu'il se trouvait ici...

— Lachez-la, ordonna Abou qui, ajouta, tourne vers la nouvelle venue : Que veux-tu ?

Mais celle-ci ne lui repondit pas. Elle venait de reconnaitre Catherine et, avec un cri de joie, elle arrachait son voile noir, se precipitait vers elle.

— Enfin, je te retrouve ! Tu avais pourtant promis de ne pas partir sans moi.

— Marie ! s'ecria la jeune femme avec un melange de joie et de honte tout a la fois car, au milieu de ses angoisses, elle avait oublie Marie et la promesse qu'elle lui avait faite : - Comment as-tu fait pour fuir et pour me retrouver ? ajouta-t-elle en l'embrassant.

Facile ! J'etais au milieu des autres pour... pour l'execution. Je ne t'ai pas quittee des yeux un seul instant et je t'ai vue fuir avec le medecin.

Il y avait un tel tumulte sur la place que j'ai pu me glisser dans la foule qui s'eparpillait de tous cotes. Les gardes et les eunuques avaient bien autre chose a faire qu'a nous surveiller. Je suis allee chez Abou-al-Khayr ou j'esperais te retrouver, mais on m'a dit qu'il soignait la sultane Amina et devait etre a l'Alcazar Genil. Alors, me voila ! Tu...

tu n'es pas fachee que je sois venue ? ajouta la petite avec une soudaine inquietude. Tu sais, j'ai tellement envie de retourner en France ! J'aime bien mieux moucher des gosses, cuire le pot et laver les ecuelles que bailler d'ennui dans la soie et le velours au milieu d'une prison doree et d'une bande de femelles en folie !

Pour toute reponse, Catherine embrassa de nouveau la jeune fille et se mit a rire.

— Tu as bien fait et c'est moi qui te demande pardon d'avoir manque a ma promesse. Ce n'etait pas tout a fait de ma faute...

— Je le sais bien ! L'important, c'est d'etre ensemble !...

— Quand vous en aurez termine avec les politesses, coupa la voix railleuse d'Abou-al-Khayr, vous voudrez peut-etre vous souvenir que le temps presse et que Mansour n'attendra pas.

Une demi-heure plus tard, la troupe silencieuse qui sortait de l'Alcazar Genil n'avait plus rien de commun avec celle qui etait entree, peu avant, sous la conduite furieuse de Mansour ben Zegris. Les sombres cavaliers aux visages voiles s'etaient mues en gardes reguliers du Calife, les selhams noirs remplaces par des burnous blancs. Mansour lui-meme avait abandonne vetements brodes d'or et fabuleux rubis entre les mains d'Amina et portait la tenue d'un simple officier.

Gauthier et Josse etaient meles aux soldats, le casque enturbanne enfonce jusqu'aux yeux, et serraient de pres une grande litiere aux rideaux de soie hermetiquement fermes qui formait le centre du cortege.

Dans cette litiere, Arnaud, toujours inconscient, etait etendu sous la surveillance attentive d'Abou-al-Khayr, de Catherine et de Marie. Les deux femmes etaient habillees en servantes de bonne maison et, tandis que Marie, armee d'un chasse-mouches en plumes, eventait le blesse, Catherine se contentait de tenir entre les siennes l'une des mains entourees de bandages. Elle brulait de fievre, cette main, et Catherine anxieuse ne quittait pas des yeux le visage aux yeux clos, momentanement devoile. Car la grande habilete d'Abou-al-Khayr avait ete de faire habiller Arnaud de somptueux vetements feminins, les plus grands qu'on ait pu trouver. Emmitoufle d'amples voiles de leger satin bleu nuit raye d'or, en pantalons bouffants et babouches brodees, le chevalier figurait assez bien la grande dame, agee et malade, qu'il etait cense representer. Cet etrange accoutrement avait detendu les nerfs de Catherine. Il apportait une note amusante qui, de cette fuite precipitee, faisait une maniere de fugue ou l'amour avait son mot a dire. Et puis, ce qui comptait avant tout, c'etait le depart, c'etait le fait de quitter cette ville etrange et dangereuse d'ou ils avaient, peu de temps auparavant, si peu de chances de sortir. Aussi fut-ce d'un ton calme qu'elle demanda a Mansour, en prenant place sur les matelas de la literie :

— Que dirons-nous si nous rencontrons les gens du Calife ?

— Que nous escortons la vieille princesse Zeinab, grand-mere de l'emir Abdallah qui regne a Almeria. Elle est censee regagner son palais apres une visite a notre sultane dont elle est, depuis longtemps, l'amie.

— Et l'on nous croira ?

— Qui oserait dire le contraire ? coupa Abou-al- Khayr. Le prince Abdallah, cousin du Calife, est si susceptible que le maitre lui-meme prend de grandes precautions dans ses rapports avec lui. Almeria est le plus important de nos ports. Quant a moi, il est normal, etant medecin, que j'escorte cette noble dame, conclut-il en s'installant a son tour sur les coussins du vehicule.

Maintenant, la troupe chevauchait dans la nuit, sans autre bruit que le pas amorti des chevaux. Dans la ville toute proche, l'agitation continuait. Toutes les lumieres etaient allumees, de larges pots a feu flambaient sur le rempart et Grenade brillait dans l'ombre comme une enorme colonie de vers luisants. L'image, que Catherine contemplait, en entrebaillant les rideaux, avec une avidite ou entrait un sentiment de triomphe, etait admirable, mais les cris et le vacarme qui debordaient les hautes murailles la rendaient sinistre. La-bas, on gemissait, on mourait, les fouets claquaient sur les echines courbees par la peur...

La voix de Mansour parvint a la jeune femme, grognant :

— Le Calife regle ses comptes ! Avancons plus vite ! Si je suis reconnu, il nous faudra combattre et nous ne sommes qu'une vingtaine

! — Vous nous oubliez, seigneur ! coupa sechement Gauthier qui chevauchait tout contre la litiere, si pres que Catherine pouvait le toucher en tendant le bras. Mon compagnon, Josse, sait se battre.

Quant a moi, j'ai la pretention d'en valoir dix.

Les yeux sombres de Mansour detaillerent le geant, Catherine devina l'ombre d'un sourire au ton de sa voix quand il repondit tranquillement :

— Alors, disons que nous sommes trente et un et qu'Allah nous garde !

Il alla reprendre la tete de la petite colonne qui s'enfonca bientot dans la campagne obscure. Les feux de Grenade reculerent peu a peu.

Le chemin, mal trace pour qui ne le connaissait pas, se fit raidillon et d'un seul coup la ville disparut derriere un puissant epaule- ment rocheux.

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