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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗

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Catherine ne repondit pas, mais elle avait compris. Si, dans sa colere, le Calife lui retirait l'affreuse grace qu'il lui avait octroyee ?

S'il allait l'empecher d'epargner a son bien-aime les abominables tortures que l'arsenal hideux des bourreaux laissait prevoir ?

Lentement, elle laissa plier ses genoux, reprit sa place, mais tout son corps tremblait nerveusement. Elfe avait l'impression d'etre en train de mourir et tenta de reagir de son mieux contre l'envahissante faiblesse. Toute son ame, toute sa vie etaient concentrees dans ses yeux, rives a l'homme qui allait mourir.

Les bourreaux venaient de le hisser sur l'echafaud, le dressaient le long de la croix, maintenant ses mains ouvertes sur la poutre sans les y attacher. Aussitot, quelque chose siffla dans l'air, que la foule salua d'une acclamation et Arnaud d'un sourd gemissement.

Postes au pied de la tribune califale, deux archers avaient tire et leurs fleches, lancees avec une diabolique habilete, etaient venues se planter juste au creux des mains ouvertes, les clouant a la croix.

Arnaud avait blemi tandis qu'une sueur d'angoisse coulait le long de ses joues. Les « you !... you ! » hysteriques des femmes emplissaient l'air tiede que le soleil, au couchant, nuancait de violet. Catherine, avec un cri, avait bondi. L'un des bourreaux, tirant d'un brasero une longue tige de fer rougie au feu, s'approchait maintenant du condamne, encourage par les cris enthousiastes de la populace.

Soulevee de fureur, Catherine s'arracha des mains de Morayma qui tenta vainement de la retenir, descendit dans l'arene et courut se planter en face de Muhammad. Du coup, la foule se tut et le bourreau suspendit son geste, plein d'etonnement. Que voulait cette femme vetue d'or dont on disait dans toute la ville que le Calife l'epouserait le soir meme ? La voix de Catherine s'eleva, percante, accusatrice :

— Est-ce cela, Calife, que tu m'avais promis ?

Qu'attends-tu pour faire honneur a ta parole ? A moins que tu n'ignores ce que cela veut dire ?

Elle avait parle francais, dans un dernier souci de menager encore cet homme qui les tenait dans sa main. Si elle l'humiliait en face de son peuple, ce serait surement effroyable... Mais un mince sourire fit briller les dents du Calife dans sa barbe blonde.

— Je voulais seulement voir comment tu allais reagir, Lumiere de l'Aurore. Tu peux accomplir le geste que je t'ai permis, si tel est ton desir...

Il se leva, dominant de son regard imperieux la foule qui attendait :

— Ecoutez, vous tous, fideles sujets du royaume de Grenade. Ce soir, la femme que vous voyez a mes cotes deviendra mon epouse.

Elle possede mon c?ur et je lui ai accorde, en present de noces, le privilege de tuer, de sa propre main, l'assassin de ma s?ur bien-aimee. Il est juste que meure d'une femme celui qui a tue une femme !

Le grondement desappointe de la populace ne dura qu'un instant.

La compagnie d'archers postee devant la tribune avait leve ses arcs.

On ne protestait pas quand le Calife avait parle.

Le regard suppliant de Catherine chercha celui d'Abou- al-Khayr, mais le petit medecin n'avait pas bouge. Decidement, il dormait bien fort et une amertume se glissa dans le c?ur de la jeune femme : il l'abandonnait a l'instant le plus cruel ! Il etait comme beaucoup : la vie lui etait plus chere que l'amitie...

Cependant, un esclave s'agenouillait devant elle, elevant entre ses mains un plateau d'or sur lequel la dague des Montsalvy brillait d'un eclat sinistre. Catherine s'en empara avec une sorte d'avidite.

L'epervier d'argent se logea tout naturellement dans sa paume comme un oiseau familier. Enfin, elle tenait la delivrance d'Arnaud et la sienne !

Se redressant de toute sa taille, bravant Muhammad de son regard etincelant, elle arracha, dans un geste de defi, le voile dore qui couvrait son visage.

— Je ne suis ni de ta race, ni de ta religion, sultan ! Ne l'oublie pas

!

Puis, hautaine, elle tourna les talons et s'avanca fierement vers l'echafaud. Allons ! C'etait bien l'heure de sa plus grande gloire qui etait venue ! Dans un instant, son ame et celle de son epoux allaient s'envoler, unies, vers ce soleil d'or et de pourpre qui incendiait la place, plus legeres que ces oiseaux noirs qui, la-haut, apparaissaient...

La foule se taisait, subjuguee malgre elle par cette femme si belle qui s'avancait ainsi, portant la mort, vers l'homme crucifie... Une vision splendide et rare qui valait bien, pour ce peuple de civilisation raffinee, le barbare plaisir d'un supplice.

Mais, sur la croix, Arnaud venait de relever la tete. Son regard, etrangement clair et volontaire, croisa celui de Catherine puis le quitta pour se poser sur le Calife.

— Je refuse cette pretendue grace, seigneur Sultan ! La mort rapide que tu as permis a cette femme de m'apporter, c'est aussi le deshonneur ! Quel chevalier, digne de son nom, accepterait de mourir frappe par une femme ? Et, pire que tout, par la sienne ! Car, outre mon deshonneur, tu pretends encore la charger de ton crime, en faire la meurtriere de son epoux ! Ecoutez-moi, vous autres ! - et la voix du supplicie s'enfla, roula sur la foule comme un tonnerre - Cette femme chargee d'or, cette femme que votre Sultan pretend mettre cette nuit dans son lit, est mon epouse a moi, la mere de mon fils ! En me tuant, il la libere ! Sachez encore que, si j'ai tue Zobeida, c'est pour elle, pour la sauver de la torture et du viol, pour que celle qui a porte mon fils ne soit pas souillee par de vils esclaves ! J'ai tue Zobeida et je m'en vante ! Elle ne meritait pas de vivre ! Mais je refuse de mourir de la main d'une femme ! Ecarte-toi, Catherine...

— Arnaud ! implora la jeune femme affolee ! Je t'en supplie... au nom de notre amour !

— Non ! Je t'ordonne de te retirer... comme je t'ordonne de vivre...

pour ton fils !

Vivre ? Tu sais ce que cela veut dire ? Laisse-moi frapper, sinon...

Mais deux gardes avaient suivi la jeune femme et s'emparaient deja de ses mains. Muhammad avait devine qu'elle se tuerait apres avoir tue Arnaud. Son cri de colere fut couvert par la voix d'Arnaud, plus faible maintenant car la souffrance y creusait son haletement, mais toujours implacable, toujours chargee d'une indomptable volonte :

— Fais approcher tes bourreaux, Calife ! Je vais te montrer comment meurt un Montsalvy ! Dieu protege mon Roi et fasse misericorde a mon ame !

A bout de forces, Catherine se laissa tomber a genoux sur le sable de l'arene.

— Je veux mourir avec toi ! Je veux...

Les bourreaux, sur un signe agace du Calife, retournaient a leurs instruments. Dans la populace, il y avait comme une houle. On commentait les paroles courageuses du condamne, on s'etonnait et on s'apitoyait presque... Et soudain, derriere les rouges murailles d'Al Hamra, les tambours roulerent de nouveau...

Toutes les tetes se leverent, tous les gestes demeurerent suspendus car ces battements n'avaient rien de comparable aux precedents : violents, rapides, c'etait une sorte de tocsin qu'ils battaient sur un mode enrage. En meme temps, dans le palais-forteresse, eclataient des hurlements, des plaintes, des cris de rage, de douleur ou de victoire.

La cour califale et l'immense foule, figees de stupeur, attendaient sans trop savoir quoi, mais, dans la tribune, Abou-al-Khayr s'etait enfin decide a remuer. Sans souci du protocole, il baillait largement...

Aussitot, Josse laissa le champ libre a ce cheval trop nerveux qu'il avait tant de mal a contenir et qui se mit a galoper dans tous les sens, creant un affreux desordre dans les rangs des gardes. Aussitot, Gauthier, renversant ses voisins stupefaits, assommait les gardes qui maintenaient la foule de son cote, courait a l'echafaud. Le geant etait dechaine. Emporte par cette fureur sacree qui s'emparait de lui a l'heure du combat, il coucha a terre en quelques instants les gardes de Catherine, les bourreaux et meme le gigantesque Bekir qui, crachant ses dents, s'en alla rouler sous les pieds du cheval cabre de Josse dont les sabots battants enfoncaient quelques cranes. Medusee, Catherine sentit qu'on l'entrainait par la main.

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