Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗
Oh ! cette voix ronronnante, endormante et persuasive ! Qui donc, en l'entendant, eut suppose, rien qu'un instant, qu'elle portait son poids total de perfidie et de haine ? Arnaud, pourtant, commencait a connaitre Zobeida.
— Tu es bien conciliante, tout a coup ! Cela ne te ressemble guere.
La princesse haussa les epaules et repondit, suave :
— Elle est ta s?ur et tu es mon seigneur ! Cela dit tout.
Sur un homme normalement constitue, il est bien rare que la flatterie ne porte pas et, a cet instant, Catherine, inquiete, deplora qu'Arnaud fut tellement normal et eut conserve une telle dose de naivete. Il semblait satisfait d'entendre Zobeida s'exprimer avec cette moderation.
Catherine, elle, n'etait pas dupe. Si la Mauresque faisait patte de velours, il fallait redoubler de vigilance et sa soudaine mansuetude ne lui disait rien qui vaille. Le sourire, la voix charmeuse ne dementaient pas la durete calculatrice du regard. Les nombreuses epreuves subies par Catherine lui avaient, du moins, appris a lire dans un regard, a epier les reactions de l'ennemi : Arnaud, malgre la cruaute de son passage en leproserie, malgre l'effondrement physique et moral d'une aussi terrible experience, n'avait jamais eu a se defendre contre une foule d'adversaires plus forts que lui comme l'avait fait sa femme.
Loyal et chevaleresque, il avait du mal a se mefier d'un sourire tendre, d'une parole caressante, surtout chez une femme...
Catherine se laissa cependant emmener par Morayma avec une certaine docilite. Pour cette nuit, tout etait dit ! Pourtant, avant de s'eloigner, elle se retourna une derniere fois vers Arnaud, sentit son c?ur moins transi en constatant qu'il la suivait des yeux.
— Un homme doit savoir choisir son destin, Arnaud... et s'il est digne de lui-meme, il ne doit permettre a personne, tu m'entends, a personne de s'interposer entre lui et sa conscience...
La chambre, en effet, donnait immediatement sur le jardin. De l'etroite, mais confortable couchette ou Morayma l'avait etendue, Catherine pouvait voir luire, entre deux minces colonnettes, le bassin sous la lune. Morayma, en l'y installant, lui avait fait remarquer le luxe delicat de la petite piece, toute vetue de cristal mauve et vert amande serti de cedre a l'or assourdi.
— C'est peut-etre moins somptueux que ton autre appartement, lui dit-elle, mais plus raffine ! Zobeida n'aime pas les grandes pieces. Tu ne manqueras de rien ici et tu auras presque l'impression d'habiter le jardin.
La Juive se donnait, evidemment, beaucoup de mal pour vanter la nouvelle installation de Catherine. Besoin de la rassurer en se rassurant elle-meme ? Peut-etre !... Des deux, c'etait sans doute elle qui en avait le plus urgent besoin car sous ses voiles safran brodes de bleu, Morayma tremblait comme de la gelee... Catherine voulut l'obliger a le reconnaitre.
— Pourquoi as-tu si peur, Morayma ? Que crains- tu ?...
— Moi ? fit l'autre avec une parfaite mauvaise foi. Je n'ai pas peur.
J'ai... j'ai froid !
— Par cette temperature ? La brise de tout a l'heure est tombee.
On ne voit meme plus bouger les feuilles du jardin.
— J'ai froid tout de meme... J'ai toujours froid !
Tout en parlant, elle disposait au chevet du lit de Catherine une jatte de lait que la jeune femme contempla avec une certaine surprise.
— Pourquoi ce lait ?
— Au cas ou tu aurais soif. Et puis, il te faut boire beaucoup de lait pour l'eclat et la souplesse de ta peau.
Catherine soupira ! C'etait bien le moment de s'occuper de sa peau
! On semblait, dans ce palais, se preoccuper uniquement de secrets de beaute et elle commencait a etre plus que lasse de ce role d'animal de luxe bichonne, engraisse, pomponne pour la consommation du maitre.
Comme si elle n'avait as d'autre souci que l'eclat de son teint !...
Tandis que Morayma disparaissait aussi vite que le permettaient ses courtes jambes, Catherine tenta de raisonner sa situation. La proximite immediate de Zobeida ne lui faisait pas peur. Sans doute la princesse y regarderait-elle a deux fois avant de persecuter celle qu'elle croyait la s?ur de son amant et ce n'etait pas elle qui tourmentait le plus la jeune femme. C'etait Arnaud !... Comme il etait etrange et deconcertant !
Tout a l'heure, quand il l'avait reconnue, elle n'avait pas doute une seconde de sa joie de la retrouver ni meme de son amour pour elle. Il y a des elans qui ne trompent pas ! Mais Zobeida avait souffle cette joie comme une chandelle avec ses insinuations venimeuses et Arnaud avait oublie cette brusque bouffee de bonheur pour ne plus ecouter que sa jalousie, sa colere d'epoux trahi. Encore, songeait tristement Catherine, ignorait-il certains episodes tels que celui du camp des tziganes, avec le malheureux Fero, ou celui du donjon de Coca... et il fallait qu'il les ignorat toujours, sinon il n'y aurait plus ni treve ni repos, ni bonheur possible pour Catherine. Il se detournerait d'elle a tout jamais...
Pourtant, la fatigue due aux emotions de cette journee finit par clore ses yeux, mais elle ne s'endormit pas de ce sommeil profond qui restaure si bien, en quelques heures, les forces les plus amoindries.
Elle dormait mal, nerveusement, avec de brusques sursauts et un subconscient plus actif que jamais. Du fond de son sommeil, elle avait l'intuition d'un danger dont, bien sur, elle ne pouvait determiner la nature, mais qui s'approchait inexorablement.
Une soudaine sensation d'etouffement l'eveilla tout a fait, la redressa brusquement dans son lit, baignee de sueur et le c?ur fou. Le clair de lune, maintenant, s'allongeait sur le dallage de la chambre. Un cri d'horreur s'etrangla dans la gorge de la jeune femme : la... dans la longue eclaboussure blafarde, ondulait lentement une forme mince, noire et luisante... un serpent qui rampait vers le lit !
Ce n'etait pas un accident et Catherine le comprit dans le temps d'un eclair. La jatte de lait que Morayma avait disposee a la tete de son lit
!... Le lait, regal prefere des serpents ! La hate de s'enfuir, la peur qui faisait trembler Morayma, Catherine en saisissait maintenant tout le sens, et aussi le cote premedite... Cette bete immonde qui s'avancait vers elle, c'etait la main meme de Zobeida, la mort sous son aspect le plus hideux !
Les yeux exorbites d'horreur, serrant convulsivement les couvertures de soie contre sa poitrine nue tandis que de desagreables filets de sueur froide coulaient le long de son dos, Catherine regardait approcher le serpent. Jamais elle n'avait eprouve pareille peur, semblable paralysie de tout son etre. Elle etait fascinee par le long corps noir qui, lentement, deroulait ses anneaux sur le dallage, plus pres, toujours plus pres. Et c'etait comme un cauchemar sans reveil possible car elle n'osait pas crier. Le serpent n'etait pas tres grand, mais elle distinguait une large tete plate, triangulaire, hideuse dont un appel, peut-etre, precipiterait la morsure. Et puis appeler qui ?
Catherine ne pouvait conserver aucune illusion sur l'intention feroce qui lui avait envoye l'abominable messager de mort. Personne ne viendrait a son appel... Et elle etait la, seule, aussi exposee que sur un echafaud avec l'unique rempart de quelques soieries... incapable meme de fermer les yeux pour ne plus voir l'affreuse bete.
Son esprit affole se tourna vers son epoux. Elle allait mourir la, a quelques pas de lui, et demain sans doute, quand on decouvrirait son cadavre deja froid, Zobeida trouverait une infinite d'excuses et de regrets hypocrites. Toutes les chambres ouvraient sur le jardin.
Comment pouvait-elle deviner qu'un serpent, attire par la fraicheur des bassins peut-etre, entrerait dans celle- la ?... Et Arnaud, peut-etre, la croirait... Alors, parce que maintenant le serpent allait atteindre le lit bas, parce qu'elle avait trop peur et parce qu'elle avait desesperement besoin de lui, Catherine gemit :