Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗
— Me ferais-tu l'honneur de me reprocher d'etre encore vivant ?
En verite, ce serait un comble !
— Pourquoi n'as-tu pas cherche a t'enfuir ?
Je l'ai tente mille fois... mais on ne s'evade pas d'Al Hamra ! Ce palais cache dans les roses et les orangers est mieux garde que la plus sure forteresse royale... chaque fleur cache un ?il ou une oreille, chaque buisson un espion. D'ailleurs, puisque tu as rencontre Fortunat, il a du te dire de quelle mission je l'avais charge en l'aidant a nous fausser compagnie quand nous avons quitte Tolede...
— En effet : il m'a dit que tu l'avais envoye vers ta mere pour lui annoncer ton heureuse guerison !
— ... et ma captivite dans Grenade. Il devait, discretement puisque je te croyais remariee, lui apprendre la verite, lui demander de se rendre aupres du connetable de Richemont et de lui confesser l'aventure, en l'implorant de la garder pour lui, sur son honneur de chevalier, ce qu'il aurait fait sans aucun doute, mais en lui demandant d'envoyer une delegation aupres du sultan de Grenade afin d'exiger que je sois mis a rancon et rendu a la liberte. Ensuite, j'aurais gagne la Terre Sainte ou les Etats du Pape sous un faux nom et personne n'aurait plus entendu parler de moi... mais, au moins, aurais-je pu poursuivre un destin digne de moi et digne de mon nom !
— Fortunat ne m'a rien dit de tout cela ! Tout ce qu'il a su faire a ete de me cracher sa haine au visage et sa joie de te savoir enfin heureux entre les bras d'une princesse infidele dont tu etais passionnement epris.
— L'imbecile ! Et, sachant cela, tu as continue tout de meme ?
— Tu m'appartiens, comme je t'appartiens, quoi que tu puisses en penser. J'avais renonce a tout pour toi, je n'allais pas renoncer a toi au benefice d'une autre...
— Ce qui a du communiquer a tes etreintes avec le Calife un agreable sentiment de vengeance, n'est-ce pas ? lanca Arnaud tetu.
— Peut-etre ! admit Catherine. Mes scrupules s'en sont, en effet, trouves amoindris car je te prie de croire que la route est longue entre l'hospice de Ronce vaux ou j'ai vu Fortunat et cette maudite ville ! J'ai eu le temps de penser, moi aussi, d'imaginer tout a mon aise ce que ma mauvaise etoile devait m'offrir a contempler de mes yeux.
— Ne reviens pas toujours la-dessus ! Je te ferai remarquer que j'attends toujours ton recit !
— A quoi bon, maintenant ? Tu ne veux rien entendre, rien admettre ! Il faut, n'est-ce pas, il faut qu'a tout prix je sois coupable a tes yeux pour apaiser tes remords ? Simplement parce que tu ne m'aimes plus, Arnaud, et que tu tiens a cette fille au point d'oublier que je suis ta femme... et que nous avons un fils !
— Je n'oublie rien ! cria Arnaud pour mieux retrouver une colere que l'image soudainement evoquee du petit garcon venait de faire fondre considerablement. Comment oublierais-je mon enfant ? Il est la chair de ma chair comme je suis celle de ma mere.
Catherine s'etait relevee et les deux epoux se dressaient, face a face, comme deux coqs de combat, chacun d'eux cherchant le defaut de la cuirasse de l'autre pour blesser plus surement, mais, de meme que la pensee de Michel avait a demi desarme Arnaud, le rappel d'Isabelle de Montsalvy glaca la colere de Catherine. Elle en voulait a son epoux de toute la puissance de sa deception, mais elle l'aimait trop pour ne pas souffrir du coup qu'elle devait maintenant lui porter. Baissant la tete, elle murmura :
— Elle n'est plus, Arnaud... Au lendemain de la Saint-Michel derniere, elle s'est eteinte doucement. Elle avait eu, la veille, la grande joie de voir notre petit Michel proclame seigneur de Montsalvy par tous tes vassaux reunis... Elle t'a aime et elle a prie pour toi jusqu'au dernier souffle...
Dieu que le silence devint lourd, durant les instants suivants ! Seul le troublait la respiration, devenue rapide et saccadee, d'Arnaud... Il ne disait rien. Catherine alors releva la tete. Le beau visage semblait change en pierre. Son expression figee, son regard fixe ne traduisaient aucune emotion, ni surprise ni douleur... mais de lourdes larmes coulaient lentement le long des joues mates. Elles bouleverserent Catherine qui, timidement, tendit une main, la posa sur le bras d'Arnaud, serra sans arracher a ce bras rigide le moindre tressaillement.
— Arnaud... balbutia-t-elle... Si tu pouvais savoir...
Il l'interrompit, sans colere, mais nettement :
— Qui garde Michel... tandis que tu cours les grands chemins ?
demanda-t-il d'une voix blanche comme s'il se fut agi la d'une information sans importance.
— Sara et l'abbe de Montsalvy, Bernard de Calmont d'Olt... Il y a aussi Saturnin et Donatienne... et tous les gens de Montsalvy qui, peu a peu, retrouvent le bonheur de vivre et leur joie d'etre tes vassaux.
Les terres revivent... et les moines de l'abbaye construisent un nouveau chateau, pres de la porte sud, pour que chateau et village puissent mieux se porter secours si revenait le danger...
Tandis que Catherine parlait, le decor enchanteur mais etranger s'effacait pour les deux epoux. A la place du palais rose, de la vegetation exuberante, des eaux dormantes, c'etait la vieille Auvergne qu'ils voyaient devant eux, avec ses plateaux ecarteles de vents, ses lointains bleus, ses eaux rapides et sauvages, ses noires et profondes forets, son sol rude ou murissaient mysterieusement l'or, l'argent et les pierres brillantes, avec ses b?ufs roux et ses paysans butes mais fiers, ses couchants empourpres, ses aurores fraiches, la douceur mauve de ses crepuscules et les longues echarpes de brume au flanc des vieux volcans eteints...
Sous la main de Catherine, le bras d'Arnaud fremit, ceda. Leurs doigts, un instant, se chercherent, tatonnant comme des aveugles cherchant la lumiere, se nouerent. Le contact de la paume dure et chaude d'Arnaud fit courir un frisson de joie jusqu'au c?ur de Catherine.
— Ne veux-tu donc plus revoir tout cela ? Il n'est point de prison dont on ne puisse s'echapper, sauf le tombeau, murmura-t-elle.
Rentrons chez nous, Arnaud, je t'en supplie...
Il n'eut pas le temps de repondre. Brusquement, le mirage s'evanouit, le charme vola en eclats. Precedee d'une cohorte d'eunuques porteurs de torches et flanquee de Morayma, Zobeida venait d'apparaitre sous le portique et s'avancait le long du bassin. L'eau sembla prendre feu, la nuit s'effaca, les mains, unies la minute precedente, se separerent.
Les yeux sombres de Zobeida se poserent d'abord sur Catherine avant de revenir, interrogateurs, sur Arnaud. Au froncement de sourcils qui avait accompagne ce regard, Catherine comprit que la Mauresque s'etonnait de la trouver encore vivante. Elle s'expliqua d'ailleurs plus clairement :
— Tu as pardonne a ta s?ur, mon seigneur ? Sans doute avais-tu tes raisons. D'ailleurs, ajouta-t-elle avec une perfidie calculee, j'en suis heureuse car mon frere t'en sera reconnaissant. Son retour est annonce. Demain, cette nuit peut-etre, le Commandeur des Croyants regagnera Al Hamra ! Nul doute que sa premiere pensee ne soit pour sa bien-aimee...
A mesure que parlait Zobeida, Catherine voyait, navree, se detruire sous ses yeux tout ce qu'elle venait de reconquerir. La main d'Arnaud ne tenait plus la sienne et la colere, de nouveau, habitait son regard.
La realite avait repris ses droits avec ses personnages impossibles a effacer : le Calife et sa s?ur. Catherine, pourtant, voulut encore lutter.
— Arnaud... supplia-t-elle, j'ai encore tant de choses a te dire...
— Tu les lui diras plus tard ! Morayma, emmene-la maintenant chez elle et veille a ce qu'elle soit prete si mon noble frere revient !
— Ou l'emmenes-tu ? interrogea sechement Arnaud. Je veux savoir !
— Tout pres d'ici. La chambre qui sera la sienne donne sur ce jardin. Vois comme je suis bonne pour toi ! je loge ta s?ur chez moi pour que tu puisses la voir. Dans l'enceinte meme du harem ou tu n'as pas le droit de penetrer, ce serait impossible... Laisse-la aller, maintenant. Il est tard, la nuit s'avance, on ne peut causer jusqu'a l'aube...