Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги полные версии бесплатно без регистрации TXT) 📗
— Et moi ? demanda-t-elle froidement.
A mesure que parlait Gaucourt, l'indignation s'enflait dans son c?ur en constatant qu'aucun role ne lui etait reserve. Elle ne pouvait plus se taire. Il y eut un silence. Tous les regards se porterent sur elle, et, dans tous, elle lut la meme reprobation, jusque dans celui de Pierre de Breze. Mais ce fut encore Gaucourt qui traduisit le sentiment general.
— Madame, dit-il courtoisement mais fermement, nous vous avons demande de venir cette nuit pour que vous sachiez ce qui va etre fait. C'etait normal, et nous vous le devions. Mais ce qui nous reste a faire nous regarde, nous les hommes. Vous avez grandement merite notre gratitude, certes, pourtant...
Un moment, sire gouverneur, coupa la jeune femme en se levant brusquement. Je ne suis pas venue a Chinon uniquement pour recevoir des compliments, entendre de belles paroles, et ensuite demeurer tranquillement dans mon lit tandis que vous attaquerez votre gibier. Je veux y etre !
— Ce n'est pas la place d'une femme, s'ecria Lore. Foin de jupons pour un combat !
— Oubliez que je suis une femme. Ne voyez en moi que l'emanation, le representant d'Arnaud de Montsalvy.
— Les soldats ne comprendront rien a votre presence.
— Je m'habillerai en homme. Mais, encore une fois, messeigneurs, je veux y etre. C'est mon droit absolu. Je le revendique.
Il y eut un silence. Catherine les vit se consulter tous du regard.
Meme Breze etait hostile a sa presence ; elle le comprit fort bien a son attitude. Seul, Tristan osa plaider pour elle.
— Vous ne pouvez pas lui refuser cela, dit-il gravement. Vous avez accepte le danger insense qu'elle a couru pour vous rendre possible cette attaque, et maintenant vous la rejetez ? La priver de la victoire serait injuste.
Sans repondre, Raoul de Gaucourt se dirigea vers l'escalier taille dans le roc, posa le pied sur la premiere marche et, la seulement, se retourna.
— Vous avez raison, Tristan. Ce serait injuste. A demain, vous tous. A minuit.
Le ton etait sans replique. Personne n'osa la moindre protestation.
Ignorant Pierre de Breze qui lui offrait sa main pour la reconduire a sa chambre, Catherine alla prendre le bras de Tristan.
— Venez, mon ami. Il est temps pour vous de vous reposer, dit-elle affectueusement l'entrainant vers la sortie de la grotte.
Elle refusa meme de voir l'air malheureux de Pierre. Il ne l'avait pas aidee, tout a l'heure. Elle lui en voulait comme d'une trahison.
Lorsqu'elle rentra dans sa chambre Sara se souleva sur un coude et la regarda.
— Alors ? fit-elle.
— C'est pour demain, a minuit.
— Ce n'est pas trop tot. Nous allons enfin voir la fin de cette folle aventure.
Et, satisfaite de cette conclusion, Sara se tourna de l'autre cote et reprit son sommeil interrompu.
La nuit de juin etait claire et tiede. Dans le pourpoint de drap sombre etroitement lace qu'elle portait, Catherine avait trop chaud en montant au milieu des autres, vers le triple chateau. Aupres d'elle, au coude a coude, marchaient Bueil, Lore, Coetivy, Breze et Rosnivinen.
Tristan etait derriere, avec les hommes d'armes, fermant la marche.
Cette troupe de cinquante hommes se deplacait sans faire plus de bruit qu'une armee de fantomes. Les ordres de Jean de Bueil etaient formels et stricts : pas d'armes, dont l'acier pouvait tinter. Les hommes ne portaient que du buffle, mais a toutes les ceintures pendaient les dagues et les haches. Il etait impossible de rien lire sur tous ces visages fermes. Silencieux, disciplines comme une machine de guerre bien huilee, ils montaient d'un meme pas vers les murailles d'instant en instant plus proches. L'ombre d'une tour polygonale s'etendit sur eux, les protegea.
Catherine pensait que cette belle nuit claire et bleue etait un etrange decor pour un meurtre. Elle l'eut preferee bien noire, bien opaque et un peu brumeuse, mais une joie orgueilleuse l'habitait malgre tout.
C'etait elle qui avait mis en marche ces hommes. S'ils etaient la, lances dans cette chasse mortelle ou chacun jouait sa tete, c'etait parce qu'elle l'avait voulu, avec acharnement. Dans quelques instants, elle serait victorieuse ou vaincue sans recours et, tout a l'heure, en quittant l'auberge, elle avait, avec ses dernieres recommandations, fait ses adieux a Sara.
— Si je ne reviens pas, tu rentreras a Montsalvy et tu iras dire a mon epoux que je suis morte pour lui. Et puis, tu veilleras sur Michel.
— Inutile, avait dit Sara calmement. Tu reviendras.
— Qu'en sais-tu ?
— Ton heure n'est pas venue. Je le sens.
Mais, a mesure qu'elle approchait du chateau, Catherine pensait que Sara pouvait avoir tort, pour une fois. La troupe qui lui avait paru formidable au depart semblait s'amenuiser a mesure que grandissaient les courtines neuves sous leurs hourds brillants d'ardoises bleues. Elle laissa echapper un soupir angoisse, et, aussitot, la main de Pierre de Breze, qui marchait aupres d'elle, voulut prendre la sienne. Mais elle la retira brusquement... L'heure n'etait pas aux douceurs de l'amour et, a cet instant, elle ne voulait etre pour ces hommes qu'un compagnon d'armes.
— Catherine, reprocha le jeune homme. Pourquoi me fuyez-vous ?
Elle n'eut pas a repondre. Ce fut Coetivy qui s'en chargea.
— Silence ! ordonna-t-il. Nous approchons.
Ils arrivaient en effet au sommet du coteau, au pied de la muraille sur laquelle on pouvait distinguer les gardes. Aucune lumiere ne brillait dans le chateau. Dans le logis royal, le Roi dormait sans doute dans son large lit, aupres de la reine Marie qui, elle, devait avoir les yeux bien ouverts. Elle avait promis de veiller pour calmer son epoux en cas d'alerte. Et puis comment aurait-elle pu dormir, sachant ce qui allait se passer ?
Sur un geste imperieux de Bueil, toute la troupe se plaqua contre la muraille et devint invisible des chemins de ronde tandis que le jeune capitaine s'avancait, seul, vers la poterne close. Malgre elle, Catherine retint sa respiration. A ses pieds, elle pouvait voir la ville et ses toits pointus, luisants sous la lune, serres comme un grand fagot bleu dans la ceinture de pierre des remparts, soulignant la coulee brillante de la riviere. La voix profonde de Marie Javelle sonnant minuit la fit tressaillir.
Derriere cette haute porte close, Gaucourt et Fretard devaient etre au rendez-vous.
— On ouvre ! chuchota quelqu'un.
En effet, une tremblante lumiere jaune coula par l'entrebaillement.
Celui qui ouvrait portait une lanterne. Catherine apercut deux silhouettes vetues de fer. Le gouverneur et son lieutenant qui, eux, n'avaient pas besoin de se cacher et pouvaient porter l'armure. L'un apres l'autre, les conjures se glisserent dans le passage que Fretard tenait ouvert. Catherine passa apres Breze qui, nerveux, l'avait saisie par le bras et tiree derriere lui. Agacee, elle se degagea d'un geste brusque. Elle se retrouva dans la cour du Coudray, de l'autre cote de cette tour du Moulin, la plus occidentale de l'ensemble fortifie.
Devant elle, a quelques toises, se dressaient la gigantesque tour ronde ou dormait son ennemi, le donjon derriere lequel on apercevait la chapelle Saint-Martin... Le but enfin !
L'un apres l'autre, Gaucourt devisageait les hommes qui passaient devant lui, levant sa lanterne, les comptant. Quand le dernier fut passe, la poterne se referma aussi silencieusement qu'elle s'etait ouverte, puis le gouverneur se mit a la tete de la troupe. Il designa de son gantelet le donjon silencieux. Au-dessus de sa tete, Catherine pouvait entendre le pas lent et cadence des sentinelles sur le rempart.
Aucune ne s'arreta. L'operation s'effectuait dans un silence impressionnant. Bueil et Lore se dirigeaient vers une des tours tandis que Coetivy et Tristan, a la tete d'un groupe, disparaissaient silencieusement dans d'ombre du donjon. En franchissant la porte du Coudray, Catherine dut respirer plusieurs fois a fond car les battements de son c?ur l'etouffaient. Instinctivement, elle chercha la dague a sa ceinture, serra fortement la poignee dans sa main gauche.