Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта (книги полностью TXT) 📗
Le soleil, boule rouge, ensanglantait les eaux de la Loire, derriere les fleches grises de la cite, pret a plonger. La corne d'un guetteur, au-dessus de la porte fortifiee, appela les attardes pour les ramener dans les murs. La ville allait se refermer pour la nuit... Catherine se hata de se rechausser puis, boitillant, rejoignit les gens qui se dirigeaient vers le pont-levis. Le soleil s'etait noye et la nuit montait vite. Handicapee par ses pieds blesses, Catherine franchit la haute ogive de pierre parmi les derniers mais s'arreta pour demander a un soldat de garde ou se trouvaient les halles. Elle savait que, dans la plupart des villes, surtout celles qui jalonnent les routes des grands pelerinages, on amenage un coin de la halle en un reduit ou les pelerins peuvent s'abriter pour la nuit. L'espace delimite entre quelques piliers est clos par un hourdage de bois qui garantit du vent et de l'humidite.
— Va tout droit, puis a main droite ! fit l'homme. Tu vas a Fleury1, femme ?
— J'y vais !
— Dieu te garde, et aussi Monseigneur Saint Benoit !
1. L'abbaye de Saint-Benoit-sur-Loire a longtemps porte le nom d'abbaye de Fleury.
Elle remercia d'un signe de tete, s'engagea dans une rue si etroite que les encorbellements des maisons leur donnaient l'air de s'appuyer l'une a l'autre.
Tout en marchant, elle finit ce qui lui restait du pain de Magdeleine, trouva la halle sans peine. Ce n'etait qu'une haute toiture de lauzes sur d'enormes piliers de bois. Mais le reduit aux pelerins etait bien la. En poussant la porte de planches, la jeune femme vit que la paille y etait fraiche et qu'il n'y avait qu'un seul pelerin, un vieillard deja endormi. Il avait ce visage petrifie que donne la grande fatigue, ouvrit un ?il quand elle entra, marmotta quelque chose puis, refermant son ?il, se remit a ronfler. Heureuse de n'etre point obligee de parler, Catherine s'installa dans un coin, ramena un peu de paille sur elle et s'etendit, un bras sous la tete.
Elle eut l'impression qu'elle venait juste de s'endormir quand elle sentit qu'on la secouait. Le vieux pelerin barbu etait penche sur elle.
— He..., disait-il, he ! Si tu vas a la grande abbaye, il est temps de te lever !
Elle ouvrit les yeux, vit qu'un peu de jour apparaissait au-dessus du hourdage et se hata de se lever.
— La nuit a ete breve, dit-elle avec un sourire d'excuse.
— Elle est toujours breve quand on est bien las ! Viens, il est temps de se mettre en chemin.
Catherine secoua la tete. Sa qualite de pelerine l'obligeait, normalement, a faire a pied tout le chemin. Mais elle etait trop fatiguee pour continuer ainsi.
Elle comptait bien employer l'une des trois pieces d'argent de Sara a trouver un bateau.
— Je ne partirai sans doute pas aujourd'hui, mentit-elle. J'ai a faire dans cette ville.
Les errants de Dieu n'ont rien a faire dans aucune ville hormis le but de leur pelerinage ! Si tu veux etre exaucee, il te faut songer seulement au lieu ou tu vas ! reprocha le vieillard, scandalise. Mais chacun fait comme bon lui semble. La paix soit avec toi !
— Et avec toi aussi !
Le pelerin sortit. Catherine attendit quelques instants, au seuil du reduit, puis l'ayant vu se diriger vers l'autre extremite de la ville, elle se disposa a partir et, tout d'abord, abandonna son baton de pelerin qui ne lui servirait plus guere puisque, comme l'avait dit le vieillard, un voyageur de la Foi n'avait pas droit aux moyens de locomotion. Mais elle s'enveloppa soigneusement dans son grand manteau parce qu'une pluie fine couvrait la ville. Puis elle descendit vers les greves.
Il ne lui fut pas trop difficile de trouver une barque. Un homme, fluet et taciturne, assis sur des filets de peche plies, se trouvait la. Indifferent a la pluie, il mangeait un oignon en regardant couler le fleuve. Quand Catherine lui demanda s'il connaitrait un batelier pour descendre au moins jusqu'a Chateauneuf, il leva de lourdes paupieres grisatres et fripees.
— T'as de l'argent ?
Elle fit signe que oui, mais l'homme ne bougea pas.
— Fais voir ! Tu comprends, c'est trop facile de dire qu'on en a ! L'argent, au temps ou nous vivons, on en voit de moins en moins. Les terres sont ravagees, le commerce est mort et le roi lui-meme gueux comme Job sur son fumier. Alors, maintenant, on paye d'avance.
Pour toute reponse, Catherine sortit une piece d'argent et la mit dans la main crasseuse de l'homme. Celui-ci la fit sauter, la regarda de pres, mordit dedans. Sa figure morose s'eclaira.
— Ca va, fit-il. Mais, pas plus loin que Chateauneuf ! Apres on risque de tomber sur ces Godons maudits qui assiegent Orleans et je tiens a ma peau.
Tout en parlant, il faisait glisser au fleuve une barque plate et aidait Catherine a s'y installer. La jeune femme prit place a l'avant, face tournee vers l'aval du fleuve. L'homme sauta a son tour, d'un bond souple qui fit a peine tanguer l'esquif, saisit la longue gaffe qu'il planta dans l'eau et donna une vigoureuse poussee. Le courant etait rapide, la barque se mit a glisser presque sans aide. Assise a la pointe, Catherine regarda defiler la ville puis les berges plates, chevelues de roseaux qui portaient encore les rouilles de l'hiver. Elle ne se souciait pas de la pluie qui mouillait son visage et dont l'epais manteau de bure la protegeait bien. Des reminiscences du passe montaient en elle, lui rendant, avec une etrange precision, les images d'autrefois. Elle se revoyait, fuyant Paris insurge, avec Barnabe, sa mere, sa s?ur et Sara... Comme elle avait aime ce premier voyage que le vieux Coquillart avait rendu si attrayant ! Elle croyait encore entendre sa voix profonde et lente recitant doucement les vers du poete : C'est la cite sur toutes couronnee Fontaine et puits de science et de clergie Sur le fleuve de Seine situee...
Mais Barnabe etait mort, Paris etait loin et la cite vers laquelle Catherine voguait etait une ville aux abois, affamee et desesperee dont elle ne pouvait guere attendre que la mort, ou pire meme : la plus affreuse desillusion. Pour la premiere fois, elle se demanda ce que serait l'accueil d'Arnaud et si meme il la reconnaitrait ! Tant de jours s'etaient ecoules depuis leur rencontre sous les murs d'Arras !
Catherine s'efforca, alors, de chasser les pensees morbides, nees sans doute de sa trop grande fatigue et de la tension nerveuse qu'elle s'etait imposee.
Elle voulait, intensement, gouter cet instant de paix, la descente de ce beau fleuve aux herbes grises, aux sables jaunes... Vers la fin de l'apres-midi, apparurent les tours blanches et les poivrieres bleues d'un grand chateau dont les pieds baignaient dans l'eau de larges douves dependant du fleuve.
Catherine demanda ce qu'etait ce beau domaine.
— Sully ! repondit le batelier. Il appartient au sire de La Tremoille, le favori de Charles VII...
Et, pour bien montrer l'estime que lui inspirait le maitre du chateau, l'homme cracha dans l'eau d'un air degoute. Catherine ne repondit pas. Elle avait deja eu l'occasion de rencontrer Georges de La Tremoille, ce Bourguignon transfuge qui etait devenu le plus cher conseiller et le mauvais genie du roi de Bourges. Il lui inspirait quelque chose d'assez analogue au degout manifeste par son guide, mais elle n'en dit rien. D'ailleurs la barque obliquait vers la rive pour accoster.
— Nous nous arretons ? fit-elle, surprise, en se detournant a demi.
— J'ai a faire a Sully, repondit l'homme. Descends...
Elle se leva pour monter sur le plat bord. A cet instant precis, elle recut un coup violent sur la tete et s'effondra la tete la premiere, sans connaissance...
Lorsque Catherine reprit conscience, le jour en etait a ses derniers feux.
L'ombre montait de l'est tandis que, vers l'occident, il ne restait qu'une faible lueur pale sur laquelle, de l'autre cote de la Loire, se detachaient les tours pointues de Sully. Elle se redressa sur un bras, vit qu'elle etait etendue dans l'herbe, sur la berge et qu'elle etait absolument seule. Il n'y avait plus de bateau en vue, plus de batelier, rien qu'un vol de courlis qui partit en fleche a quelques toises d'elle. Il lui fallut quelques instants pour realiser parce que sa tete lui faisait affreusement mal. En y portant la main, elle toucha une grosse bosse tres sensible. Le batelier l'avait assommee, sans doute pour la voler. Et, de fait, le peu qu'elle possedait encore avait disparu : les deux dernieres pieces d'argent, la dague et enfin le grand manteau qui l'avait si bien protegee des nuits froides et de la pluie. Un profond decouragement l'abattit un moment. C'etait a croire que tout se liguait pour l'empecher de rejoindre Arnaud. Les obstacles s'accumulaient sur sa route comme pour lui interdire le passage. Mais ce ne fut qu'une breve defaillance. Aristocrate d'occasion et d'education, Catherine avait l'indomptable vitalite d'une gamine de Paris habituee a se colleter, front contre front, avec les pires difficultes. Elle fit un effort pour se lever ; s'accrocha aux branches basses d'un saule pour garder son equilibre. Quand la terre s'arreta de tourner autour d'elle, elle prit une profonde respiration, remonta sur son cou le bord de son surcot de laine troue et quitta la berge pour rejoindre le chemin qui suivait le fleuve. Elle savait qu'il n'y avait plus qu'a se laisser guider par le cours et aussi, que la grande abbaye de Saint-Benoit n'etait plus qu'a deux lieues. La, on lui donnerait asile et reconfort. Sa journee en bateau et la bonne nuit precedente lui avaient rendu des forces et, n'eut ete la douleur de sa tete, elle se fut trouvee presque bien. Elle hata si bien le pas qu'une heure plus tard, elle voyait se dresser devant elle les vastes batiments du monastere et leur majestueuse entree : une enorme tour- porche romane, carree, puissante et belle comme une forteresse, grave et jaillissante comme une priere. Un peu de lumiere brillait entre les massifs piliers, faisant vivre les personnages et les fleurs des admirables chapiteaux. Catherine vit que nombre de pelerins dormaient la, les uns a cote des autres, tasses pour mieux se tenir chaud. La voyant apparaitre, une vieille femme lui fit signe de s'approcher et se poussa-pour lui faire place :