Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
— Quelle etonnante chambriere tu fais ! fit Arnaud sarcastique. Est-ce une habitude prise durant votre voyage jusqu'ici ? A quoi donc servait Sara ?
Celle-ci s'etait installee aupres de Catherine, repliee sur elle-meme pour avoir plus chaud. Elle leva sur Arnaud un regard mecontent.
— Quand je n'etais pas en prison et menacee d'etre brulee vive, repliqua-t-elle, j'essayais seulement d'empecher que le desespoir la rendit folle.
Catherine avait suivi avec etonnement la breve escarmouche. Elle ne comprenait pas la soudaine mauvaise humeur d'Arnaud. Pour elle, les soins du geant etaient tout naturels, mais elle voulut attenuer l'impression penible. Si les deux hommes commencaient a se disputer, l'avenir risquait de se montrer ; assez noir. Elle tendit le bras, saisit la main d'Arnaud et l'amena pres d'elle.
Viens pres de moi... J'aurai toujours froid sans toi. Il se calma aussitot, vint s'accroupir a ses pieds.
— Pardonne-moi... mais j'enrage deja d'etre enferme ici, comme un rat dans une cage tandis que la-haut, peut-etre...
La phrase demeura inachevee. Tous les refugies de la cave l'avaient deja completee. Que se passait-il au- dessus de leur tete ? La, dans ce caveau aussi sourd qu'une tombe, ils etaient totalement retranches du monde. Qui pouvait dire si la maison ne flambait pas et si, quand on ferait jouer la plaque de la cheminee, elle ne demeurerait pas coincee par d'enormes decombres ? Sauves de la fureur de La Tremoille, etaient-ils sur le point de finir, miserablement, emmures vivants dans cette cave si bien cachee ? L'idee terrifiante traversa en eclair l'imagination de Catherine et elle sentit le sang refluer vers son c?ur. Deja, sous ces voutes basses, elle se sentait etouffer... Comme pour lui donner raison, un bruit d'ecroulement leur parvint, loin tain, assourdi mais net. La vieille Mahaut se signa precipitamment.
— Doux Jesus ! Si c'etait...
Une meme crainte s'empara des cinq compagnons d'infortune. Assis en cercle, autour du flambeau pose a terre, leurs yeux, ou luisait la flamme jaune, refletaient aussi l'apprehension informulee. Ils osaient a peine se regarder comme si chacun d'eux avait honte de sa peur. Le silence devint etouffant et Arnaud ne put le supporter. Serrant les poings, il se releva et se mit a marcher nerveusement comme un fauve en cage et Catherine n'eut pas le courage de l'en empecher.
Mieux valait encore le bruit cadence, enervant cependant, de ses pas, plutot que l'affolant silence. C'etait encore de la vie, comme appartenait aussi au monde des vivants le regard instable, clignotant, de la vieille Mahaut qui sautillait d'un visage a l'autre comme pour y chercher un reconfort. Elle avait tire de son tablier un chapelet de buis et en egrenait les boules lissees par des milliers de prieres, entre ses doigts crevasses. Les minutes succedaient aux minutes, lourdes, intolerables a mesure qu'elles s'accumulaient. Catherine luttait de toutes ses forces pour ne pas se mettre a hurler.
Et puis, aussi soudainement qu'elle etait venue, l'angoisse quitta les cinq emmures. Dans le cercle de lumiere jaune, sans que personne l'eut entendu approcher, Jacques C?ur apparut. Il souriait, mais il fallut qu'il parlat pour que Catherine admit qu'il etait un etre de chair et non pas un fantome.
— C'est fini ! dit-il calmement. Vous pouvez remonter.
— Mais, fit Arnaud, ce bruit que nous avons entendu ? Nous avons cru que la maison s'ecroulait.
Non, seulement une credence pleine de plats d'etain que le sergent a fait tomber parce qu'il etait persuade qu'elle dissimulait un passage secret. J'admets que le bruit a du etre entendu jusqu'au palais royal ! Venez maintenant, le jour n'est pas loin, et le danger est momentanement eloigne. Mais nous avons bien des choses a preparer.
— Vous aviez ete denonce, n'est-ce pas ?
Jacques C?ur hocha la tete.
— Oui. La tendre amie de messire de Xaintrailles est sensible a l'or a ce qu'il parait et il a eu tort de lui rendre une derniere visite avant de venir a l'eglise. On l'a suivi. J'ai reussi a persuader le chef des archers de ma bonne foi, mais sait-on jamais pour combien de temps. Au surplus, c'est sans importance, tout est pret pour votre depart.
— Quand partons-nous ? demanda Catherine.
— Tout a l'heure.
— En plein jour ?
Le pelletier se mit a rire.
— Le jour ni la nuit ne feront rien a l'affaire. Cette cave ou vous etes a plus de prolongements que vous ne supposez.
Ces deux salles communiquent avec l'ancienne chapelle des Chevaliers du Temple qui se trouve au-dela de la porte Ornoise, mais elles ne sont qu'une infime partie, reconstruite et consolidee par les Templiers pour les besoins de leur ordre, d'un important reseau souterrain jadis construit par les Romains et que j'ai pu retrouver. Certains couloirs, reliant d'anciennes carrieres ou des chambres sepulcrales comme celle que vous avez vue, sont a moitie eboules et dangereux, mais il en existe encore de praticables. L'un notamment qui prend sous les anciennes arenes et suit l'antique canalisation d'eau reliee a l'un des quatre aqueducs. C'est par la que vous allez partir car le souterrain passe sous la rue d'Auron et sous ma maison. Il vous menera hors de la ville, assez loin, a la tour des Bruyeres, une vieille ruine sur le chemin de Dun-le-Roi. C'est la que vous trouverez aussi les j hommes de messire de Xaintrailles.
Il tendit la main, courtoisement, pour aider Catherine a se relever, mais la jeune femme, pas plus que les autres, ne bougeait.
—
Une ville batie sur des souterrains... On croit rever !
Jacques C?ur eut un mince sourire.
—
La ou sont passes les Romains, les traces qu'ils ont laissees font, en effet, rever. On ne conquiert pas un monde sans genie ! Mais un genie qui peut se reveler fort utile a un modeste marchand comme moi.
En regardant Arnaud sauter en selle, a l'aube du lendemain, sous les murs vetustes de la tour des Bruyeres, Catherine eprouva une bizarre impression : celle qu'il venait, une fois encore, de lui echapper. D'un seul coup, par le simple fait de serrer de nouveau les flancs d'un cheval entre ses genoux, Arnaud depouillait l'homme parvenu aux extremes limites de ses ressources qu'il avait ete dans la maison de Jacques C?ur. Vetu de daim noir sous une legere armure d'acier bleu que lui avait trouvee le maitre pelletier, il portait, sur le tout, un ample manteau de cheval, egalement noir, dont le capuchon, rejete en arriere, decouvrait sa tete brune aux cheveux coupes court en une ronde calotte retrouvant ainsi la taille obligee par le port du heaume. Droit sur ses etriers, la tete fierement redressee, il n'avait plus rien du prisonnier miserable du chateau de Sully, rien du proscrit, de la bete de chasse pour limiers d'un quelconque lieutenant criminel. Il etait redevenu semblable a l'image hautaine que Catherine avait toujours gardee de lui. Il etait de nouveau le seigneur de Montsalvy, et la jeune femme, le c?ur un peu serre, se demandait si elle devait vrai ment s'en rejouir. Jamais il ne lui avait ete si proche que dans ces jours de faiblesse physique et d'incertitude morale.
Les dix hommes d'armes envoyes par Xaintrailles, qui les avaient rejoints a la nuit tombante, ne s'etaient pas trompes, eux non plus, sur la qualite profonde de cet homme. Ils avaient instantanement reconnu en lui le guerrier et le chef et, d'un accord tacite, s'etaient plies aussitot a ses ordres. Pourtant, a voir leur mine arrogante et les nombreuses cicatrices qui decoraient leur figure tannee, on ne pouvait douter qu'ils n'appartinssent a l'elite militaire de l'epoque, ou a la pire espece de soudards, ce qui revenait a peu pres au meme. Et elle n'avait pas beaucoup aime les regards, assez equivoques il est vrai dont elle avait ete l'objet.
C'etaient tous des Gascons et tous, a la seule exception de leur chef, le gigantesque sergent Escorneb?uf, de petits hommes noirauds, nerveux, avec des moustaches aigues et des yeux de charbon. Mais c'etaient de terribles soldats, le contact perpetuel avec les terres anglaises de Guyenne ayant fait de la lutte contre l'envahisseur leur occupation quotidienne depuis qu'ils etaient capables de soulever une arme. En arrivant a la tour des Bruyeres avec les chevaux destines aux quatre fugitifs, le sergent Escorneb?uf avait remis a Arnaud un pli scelle. Avec une stupeur amusee, celui-ci avait vu qu'il s'agissait d'un laissez-passer en bonne et due forme, signe et scelle par le Grand Chancelier de France, et enjoignant a tout un chacun de faciliter le voyage du baron de Ladinhac, se rendant avec sa femme, ses serviteurs et une troupe de dix hommes d'armes a Lectoure pour y joindre son souverain naturel le comte Jean V d'Armagnac.