Catherine des grands chemins - Бенцони Жюльетта (книги полные версии бесплатно без регистрации TXT) 📗
— Alors, peux-tu m'en faire un peu ? coupa Catherine impatiemment. C'est tres grave... tres urgent !
— T'en faut-il beaucoup ? Veux-tu l'experimenter sur plusieurs personnes ?
— Non. Sur une seule.
— Dans ce cas, j'ai ce qu'il te faut.
Tereina se glissa vers le fond de son chariot, fouilla dans une boite cachee sous des oripeaux et en tira un petit flacon, rond, en terre brune, qu'elle vint mettre dans les mains de Catherine en refermant sur lui, tendrement, les doigts de son amie.
— Tiens. Je l'avais prepare pour toi... pour la nuit de ton mariage.
Il est donc a toi.
Fais-en l'usage que tu voudras. Je sais que, de toute facon, ce sera pour le bien.
Saisie d'une brusque impulsion, Catherine prit la petite sorciere aux epaules et l'embrassa chaleureusement.
— Meme s'il arrivait du mal a Fero, je resterai ta s?ur, Tereina. Je voudrais t'emmener avec moi. Mais, pour le moment, je ne peux pas.
— Et je dois rester ici. Ils ont besoin de moi, tu sais ?
Au-dehors, cependant, le sergent d'armes s'impatientait. Il ecarta de son poing ferre le feutre qui fermait le chariot et passa la tete.
— Depeche-toi un peu, femme ! J'ai des ordres. Assez parle.
Pour toute reponse, Catherine embrassa encore une fois Tereina et glissa le flacon dans son aumoniere.
— Merci, Tereina, et prends soin de toi. Moi, je vais voir si je peux quelque chose pour Fero. Adieu !
D'un souple mouvement, elle se glissa hors du chariot et rejoignit les hommes d'armes.
— Rentrons. J'ai fini.
Ils l'encadrerent de nouveau puis, traversant la tribu rassemblee et silencieuse, ils remonterent le fosse pour rejoindre la rampe d'acces.
Au passage, Catherine reconnut Dunicha, la fille qui l'avait obligee au combat, et detourna la tete. Mais pas assez vite cependant pour n'avoir pas saisi au vol le regard brulant de haine de la Tzigane. Dunicha devait la rendre responsable de la capture de Fero et, sans doute, a cette heure, la detestait cent fois plus que lors du combat... Catherine, d'ailleurs, ne lui en voulut pas de ce sentiment. Dunicha, puis qu’elle aimait Fero, avait toutes les raisons de hair celle qui le lui avait pris et pour laquelle il allait mourir. Elle se promit cependant de veiller sur elle-meme ; Dunicha n'etait pas fille a laisser sa haine inactive et a ne pas chercher vengeance.
Un appel de trompettes, derriere elle, la fit se retourner. Le jour, maintenant, etait bien clair... Sous les rayons du soleil, la Loire scintillait entre ses rives herbeuses comme un fleuve de feu, et, sur ce fond eblouissant, passant les ponts, se detachaient les couleurs eclatantes d'un important cortege. Des chevaliers en harnois de guerre contrastant vigoureusement avec un escadron de dames en robes claires montees sur de paisibles haquenees, entouraient une grande litiere dont les rideaux de soie bleue frappes de lys d'or etaient releves. A l'interieur, une dame soigneusement emmitouflee de mousselines blanches, une nourrice portant un bebe, deux suivantes et trois petites filles echelonnees entre trois et huit ans. Une compagnie d'archers, des pages et des herauts precedaient le lourd vehicule au-devant duquel un porte-etendard tenait une lourde banniere sur laquelle Catherine, le c?ur battant soudain un peu plus fort, lut les armes de France accolees a celles d'Anjou. D'instinct, elle s'etait arretee, mais le sergent, deja, la bousculait pour l'obliger a monter sur le talus herbeux avec les archers.
— La Reine ! Place ! Et n'oublie pas de t'agenouiller, l'Egyptienne, quand notre bonne dame passera.
Catherine n'avait garde d'oublier la recommandation. Marie d'Anjou, reine de France, etait une femme timide et effacee, mais elle avait une excellente memoire et Catherine, durant de longs mois, avait ete de ses dames d'honneur. Il etait bien improbable qu'elle la reconnut sous son deguisement d'Egyptienne, mais la, dans cette robe de servante de bonne maison, avec ce beguin de toile qui dissimulait ses cheveux, il ne restait guere pour la cacher que la teinte un peu trop foncee du visage et l'arc noir des sourcils. Deja, la nuit passee, tandis qu'elle se mettait au lit, la dame de La Tremoille avait considere sa nouvelle servante d'un air songeur.
— C'est drole, avait-elle dit. Il me semble que je t'ai deja vue quelque part. Tu me rappelles quelqu'un... mais je ne saurais dire qui...
Catherine avait beni ce bienheureux trou de memoire et s'etait hatee de repondre que, sans doute, la noble dame se souvenait d'une de ses s?urs, venue danser au chateau. Il ne fallait pas que la comtesse cherchat trop longtemps. Et, de fait, elle avait paru n'y plus penser. Ce serait une catastrophe si, maintenant, la Reine la reconnaissait.
Aussi, quand la cavalcade royale suivie des cris de joie des gens d'Amboise passa aupres d'elle, se hata-t-elle de s'agenouiller et de baisser la tete en grande humilite... d'autant plus qu'au meme moment une troupe de seigneurs sortait du chateau pour accueillir la souveraine et qu'a la tete de cette troupe il y avait Gilles de Rais.
Heureusement il ne lui preta aucune attention et, la litiere entree sous la voute des remparts, Catherine crut pouvoir relever la tete ; ce fut pour voir les jambes d'un cheval arrete devant elle tandis qu'une voix juvenile et seche demandait :
— Qu'a fait cette femme, sergent ? Et pourquoi l'emmenes-tu ?
La hauteur du ton fit rougir Catherine qui, sans trop savoir pourquoi, se sentit coupable. Pourtant, le questionneur ne devait pas avoir beaucoup plus de dix ans. Maigre, le teint jaune, le cheveu noir et raide, ce jeune garcon etait pourvu de larges epaules osseuses, d'un grand nez et d'une paire de petits yeux noirs etrangement vifs et perspicaces chez un etre si jeune. 11 n'avait rien de seduisant, mais, a la maniere de porter fierement la tete, a la beaute du cheval qu'il maintenait fermement de ses mains nerveuses et, surtout, au costume mi-partie rouge, mi-partie noir et blanc, apanage des princes du sang, qu'il portait, Catherine comprit qu'elle avait en face d'elle le Dauphin Louis, fils aine du Roi.
Cependant, le sergent, rouge d'orgueil, se hatait de repondre :
— Je ne l'emmene pas, Monseigneur, je l'escorte seulement, d'ordre de Tres Haute et Tres Noble Dame de La Tremoille.
Bouche bee, Catherine vit le Dauphin hausser les epaules, se signer precipitamment puis cracher a terre sans ceremonie.
Quelque esclave maure, sans doute. Je hais cette engeance maudite, mais rien ne m'etonne de la Dame, Qui se ressemble...
Il n'acheva pas la phrase commencee, un autre cavalier s'etait approche vivement et lui parlait a l'oreille, ' sans doute pour lui conseiller plus de moderation dans ses propos. La vue de ce nouveau venu fit rougir Catherine jusqu'a la racine des cheveux et changea ses inquietudes en panique. Malgre l'armure qui emprisonnait l'homme tout entier, elle avait reconnu les croix de Jerusalem brodees sur la cotte d'armes et, surtout, le beau visage blond sous la ventaille relevee du heaume. Pierre de Breze ! L'homme qui, a Angers, s'etait epris d'elle des la premiere entrevue et au point de lui demander sa main. Il faisait partie du complot contre La Tremoille et ne demasquerait pas Catherine. Mais elle pouvait craindre un geste de surprise en la retrouvant aussi inopinement au bord du chemin.
Pourtant, a le revoir, elle eprouvait une joie soudaine, inexplicable et ne pouvait s'empecher de le regarder avec admiration. Il etait vraiment tres beau, ce Pierre de Breze, et de tres noble allure sur son grand destrier gris. Le lourd vetement de fer semblait ne rien peser a ses larges epaules, non plus que la longue lance de frene qu'il appuyait a sa cuisse. La voix du jeune homme la tira de sa contemplation.
— Monseigneur, disait Breze, nous nous attardons ; et la Reine vous attend.
Mais, tout en parlant, son regard bleu accrochait celui de Catherine en meme temps qu'un leger sourire detendait les levres fermes du chevalier. Ce ne fut qu'un bref regard, l'espace d'un instant, mais dans lequel la jeune femme lut toute la passion qu'il lui vouait. Il n'etait la que pour elle, bravant le deplaisir du Roi et la haine de La Tremoille en venant, avec l'escorte de la Reine, dans ce chateau ou l'on ne le souhaitait pas. Non seulement il l'avait reconnue, mais il trouvait moyen de lui redire, sans un mot, sans un geste, son amour... Pourtant, si discret qu'eut ete ce sourire, il n'avait pas echappe a l'?il aigu du prince Louis qui decocha au chevalier un regard moqueur.