Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗
— Merci, dit-elle seulement.
Mi-soulagee, mi-inquiete, a cause de l'etrange attitude de Garin, Catherine, escortee de Sara, rentra a l'hotel de Champdivers ou la maitresse de maison lui delivra une homelie sur la modestie et la retenue qui conviennent a une veritable dame et, a plus forte raison, a une jeune fille. Catherine ecouta sans protester, heureuse de la tournure que prenaient les evenements. En effet, il ne lui venait meme pas a l'idee de mettre en doute la parole de Brazey. Il avait dit qu'il ferait liberer Barnabe et elle etait sure qu'il le ferait. Il n'y avait qu'a attendre...
Malheureusement, la demande en grace de l'argentier arriva trop tard. Le vieux truand avait ete mis a la torture pour lui faire avouer les raisons de son geste et n'avait pas resiste : il etait mort sur le chevalet, sans rien dire. Ce fut Jehan des Ecus qui vint des le lendemain matin, apprendre la nouvelle a Sara.
Enfermee chez elle, Catherine desesperee sanglota toute la journee, pleurant son vieil ami et se reprochant amerement de l'avoir envoye, bien inutilement, a une mort aussi cruelle. Des images du passe lui revenaient en foule: Barnabe et sa houppelande a coquilles, vendant ses fausses reliques au portail de Sainte-Opportune, Barnabe dans son antre de la Cour des Miracles, ravaudant ses habits ou discutant avec Machefer, Barnabe a l'assaut de la maison de Caboche, Barnabe dans la barque qui les emmenait au fil de la Seine, ses longues jambes etendues devant lui, recitant des vers...
Au soir de ce triste jour, Sara apporta a Catherine un petit paquet soigneusement cachete que lui envoyait Garin de Brazey. Quand elle l'eut ouvert, elle vit qu'il contenait une dague toute simple, au manche de corne simplement grave d'une coquille et qu'elle reconnut aussitot : la dague de Barnabe, celle qui lui avait servi a frapper Garin... Deux mots l'accompagnaient, rien que deux mots :
« Je regrette !... » avait seulement ecrit Garin.
Un long moment, Catherine garda dans sa main l'arme grossiere. Ses larmes ne coulaient plus. La mort de Barnabe marquait la fin d'un chapitre de son existence et le debut d'un autre. Dans sa paume, le manche de corne se rechauffait, reprenait vie comme si la main du Coquillart l'eut quitte l'instant precedent... Lentement, Catherine se dirigea vers le petit coffret de bois sculpte que lui avait donne l'oncle Mathieu et y deposa la dague. Puis elle alla s'agenouiller devant une petite statue de la Vierge Noire qui ornait un coin de sa chambre et devant laquelle brulaient deux cierges. La tete dans ses mains, elle pria longtemps pour laisser a son c?ur le temps de se calmer.
Quand elle se releva, elle avait pris la decision de ne plus lutter contre son destin. Puisqu'il n'y avait pas moyen de faire autrement, puisque tout semblait se liguer contre sa liberte, elle epouserait Garin de Brazey. Mais nulle puissance au monde, pas meme le duc Philippe, ne pourrait arracher de son c?ur celui qui l'occupait tout entier, sans espoir mais sans partage. Elle ne cesserait pas d'aimer Arnaud de Montsalvy.
Malgre le surcot d'hermine qui lui emprisonnait les hanches et le buste par-dessus sa robe de brocart bleu argent et malgre la houppelande doublee de meme fourrure jetee sur ses epaules, Catherine se sentait glacee jusqu'aux os. Elle devait serrer les levres pour empecher ses dents de claquer. Dans la petite chapelle romane du chateau de Brazey, le froid de decembre mordait cruellement en depit des tapis et des carreaux de velours jetes sous les pieds des assistants.
Et, dans sa chasuble rutilante, le pretre a l'autel, avait l'air transi tandis que les petits clercs s'essuyaient subrepticement le nez a leurs manches.
La ceremonie du mariage avait ete breve. Comme dans un songe, Catherine s'etait entendu repondre « oui » a la question de l'officiant.
Sa voix n'avait ete qu'un souffle. Le vieillard avait du se pencher pour le recueillir. Garin, lui, s'etait engage d'une voix calme, indifferente...
De temps en temps, le regard de la jeune femme glissait vers celui qui etait maintenant son mari. Le froid intense de cette journee d'hiver ne paraissait pas avoir plus de prise sur lui que le fait de prendre femme.
Il se tenait debout aupres d'elle, bras croises, fixant l'autel de son ?il unique avec cette etrange expression de defi qui avait tant frappe la jeune fille, lors de leur premiere rencontre, a Notre-Dame. Ses vetements de velours noirs, ourles de zibeline, ne semblaient pas plus epais que d'habitude et il ne portait pas de houppelande sur son pourpoint court. Pas de joyaux non plus, a l'exception d'une grosse larme de diamant merveilleusement pure, qu'un leopard d'or, pique dans les plis de son chaperon, portait entre ses griffes. Lorsqu'il s'etait degante pour prendre dans les siens les doigts glaces de Catherine, elle avait ete surprise de constater combien cette main etait chaude.
Garin avait tellement l'air d'une statue de plus dans cette eglise !
Quand elle se releva, apres l'Elevation, Catherine sentit glisser sa houppelande et voulut la retenir. Mais deux mains, rapides et legeres, la replacerent vivement sur les epaules frissonnantes. Se detournant a demi, elle remercia Odette de Champdivers d'un sourire. Ces quelques mois ecoules depuis la mort de Barnabe lui avaient du moins valu une amie : la fille des Champdivers enfin revenue au pays.
Trois mois plus tot, le 21 octobre, le malheureux roi Charles VI avait vu s'achever son calvaire et s'etait eteint, entre les bras de sa jeune maitresse, dans la solitude de son hotel Saint-Pol. Seule desormais, en butte aux vexations d'une Isabeau d'autant plus haineuse que l'obesite la rendait quasi impotente, la « petite Reine » etait revenue dans sa Bourgogne natale. Une amitie spontanee avait aussitot rapproche la douce jeune femme qui avait ete l'ange du roi fou et la belle creature qu'abritait l'hotel de Champdivers. Odette savait pourquoi Garin epousait Catherine, elle savait dans quel but le duc Philippe avait voulu faire une noble dame d'une petite bourgeoise et elle plaignait son amie. Car, si elle-meme avait connu l'angoisse d'etre livree a un homme inconnu, du moins le ciel lui avait-il accorde la grace d'aimer cet inconnu, malgre sa demence et au-dela meme de ce qu'elle pensait pouvoir donner d'amour. Mais Catherine pourrait-elle aimer l'orgueilleux et sensuel Philippe qui ne reculait devant rien pour satisfaire son desir Odette, dans la sagesse de ses trente-trois ans, en doutait fort.
La messe se terminait. Garin offrait maintenant a sa femme son poing ferme pour qu'elle y appuyat ses doigts. Les portes de vieux chene s'ouvrirent en grincant sur la campagne enneigee. Un coup de vent s'engouffra dans l'eglise et vint incliner les flammes des gros cierges de cire jaune de l'autel tandis que les rares assistants de ce mariage sans joie, frissonnaient. Un groupe compact de paysans transis, aux nez bleuis et aux mains rouges, tasses les uns contre les autres pour avoir plus chaud, se tenait a la porte et se mit a crier «
Noel » sans grande conviction tant chacun avait hate de rentrer chez soi. De sa main libre, Garin prit une poignee de pieces d'or dans son escarcelle et les jeta a la volee dans la neige. Les paysans hurlerent et se precipiterent a quatre pattes, se battant presque.
Tout cela avait l'air irreel et sinistre. Et, se rappelant les joyeuses noces auxquelles bien souvent elle avait assiste chez des confreres de l'oncle Mathieu ou chez des paysans de la Cote, Catherine se dit qu'elle avait rarement vu mariage aussi lugubre. Jusqu'au ciel bas, d'un vilain gris jaune, lourd de neige a venir et ou passait le vol criard des corbeaux, qui ajoutait a la tristesse de ces epousailles...
Le visage pique par le froid, le souffle court, Catherine se mordait les levres pour retenir ses larmes. Sans la bonne Marie de Champdivers et sans la chaude amitie d'Odette, elle eut ete affreusement seule en ce jour, si important dans la vie d'une femme. Ni Jacquette, ni Loyse, ni le brave oncle Mathieu n'avaient eu l'honneur d'etre convies par le seigneur de Brazey, malgre les prieres de Catherine.