Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗
— Vous venez de dire, fit-elle en redressant la tete et en le regardant bien en face, que j'avais l'air d'une accusee et vous ne vous etes pas trompe. C'est justice que je viens vous demander.
Les sourcils noirs de l'argentier se releverent au-dessus du bandeau et de son ?il unique. Sa voix prit une note plus metallique :
—
Justice ? pour qui ?
— Pour l'homme qui vous a attaque. C'est sur mon ordre qu'il l'a fait...
— Le silence qui tomba entre le fauteuil d'argent et le lit de velours avait le poids meme de la hache du bourreau. Garin n'avait pas sourcille, mais Catherine remarqua qu'il avait pali encore. Les doigts crispes sur la chimere de cristal terminant les bras de son siege, elle n'avait pas baisse la tete. Elle attendait seulement, tremblant interieurement de ce qu'il allait dire, des paroles qui devaient sortir de cette bouche serree, de ce visage fige. Un bourdonnement d'abeille lui emplissait les oreilles maintenant, chassant les bruits de la rue, d'ailleurs affaiblis, brisant le silence enorme de l'instant precedent. La peur, une peur d'enfant, s'emparait de la jeune fille. Garin de Brazey ne disait toujours rien. Il la regardait seulement et il y avait plus d'intensite dans cet ?il unique et dans cette orbite aveugle que dans mille regards... Le corps de la jeune fille se tendit pour bondir, s'enfuir mais, soudain, le blesse parla. Sa voix etait neutre, sans couleur et comme indifferente. Il demanda seulement Vous avez voulu me faire tuer ? Vous me haissez donc tellement ?
— Non, je n'ai rien contre vous. C'est le mariage que je deteste et c'est lui que je voulais detruire. Vous mort... -
— Le duc Philippe en eut choisi un autre. Croyez- vous que, sans son ordre formel, j'aurais accepte de vous donner mon nom, de faire de vous ma femme ? Je ne vous connais meme pas et vous etes de fort petite naissance, mais...
Rageusement, Catherine, rouge jusqu'aux oreilles, lui coupa la parole :
— Vous n'avez pas le droit de m'insulter. Je vous le defends. Pour qui vous prenez-vous donc ? Vous n'etes jamais que fils d'orfevre, comme moi-meme !
— Je ne vous insulte pas. Je dis ce qui est et je vous serais reconnaissant de me laisser finir. C'est bien le moins que vous puissiez faire apres l'incident de cette nuit. Je disais donc : vous etes de petite naissance et sans fortune, mais vous etes belle. Je peux meme dire que vous etes la plus belle fille que j'aie jamais vue... et sans doute qu'ait jamais vue le duc. Si j'ai recu ordre de vous epouser c'est dans un but bien precis : celui de vous elever jusqu'a la Cour... et jusqu'au lit du maitre auquel vous etes destinee !
D'un bond, Catherine se dressa sur ses pieds, dominant l'homme etendu :
— Je ne veux pas. Je refuse d'etre livree au duc Philippe comme un objet ou une serve !...
D'un geste, Garin la fit a la fois taire et se rasseoir. Un mince sourire etira sa bouche devant cette enfantine revolte et sa voix se radoucit.
— Nous sommes tous, plus ou moins, les serfs de Monseigneur et vos desirs, pas plus que les miens d'ailleurs, ajouta-t-il avec une certaine amertume, n'ont d'importance. Jouons franc-jeu, si vous le voulez bien, Catherine, car c'est notre seule chance d'eviter de nous hair et de nous livrer une insupportable guerre sourde. Ni vous, ni moi n'avons le pouvoir de resister a l'ordre du duc ni a ses desirs. Or ses desirs, ou plutot son desir, c'est vous. Meme si le mot brutal vous choque, il faut que vous entendiez la verite !
Il s'arreta un moment pour reprendre sa respiration, saisit une coupe d'argent qui se trouvait a son chevet aupres d'un hanap de vin et d'une assiette de fruits, la vida d'un trait et tendit l'assiette a la jeune fille.
Machinalement, Catherine prit une peche. Garin poursuivit :
— Que nous refusions l'un ou l'autre ce mariage impose et c'est la hache pour moi, la prison pour vous et les votres, peut-etre pire. Le duc n'aime pas qu'on lui resiste. Vous avez tente de me faire tuer. Je vous le pardonne bien volontiers car vous ne saviez pas ce que vous faisiez. Mais si le coup avait reussi, si j'etais tombe sous la dague de ce malandrin, vous n'etiez pas liberee pour autant. Philippe eut designe quelqu'un d'autre pour vous passer l'anneau au doigt. Il va toujours droit au but qu'il s'est fixe, ne l'oubliez pas, et rien ne peut l'en detourner !
Catherine, vaincue, baissa la tete. L'avenir lui apparaissait plus noir encore et plus menacant. Elle se trouvait au centre d'une toile d'araignee qu'elle etait trop faible, avec ses mains d'enfant, pour dechirer. C'etait comme un lent tourbillon d'eau, comme il s'en cree dans les rivieres, qui l'emportait jusqu'au trou central, inevitable...
Pourtant, elle dit encore, sans oser regarder Garin :
— Ainsi, vous, un seigneur, vous acceptez sans broncher de voir celle qui portera votre nom devenir maitresse du prince ? Vous ne ferez rien pour l'en empecher ?
Garin de Brazey haussa les epaules et se remonta sur les nombreux oreillers de soie qui l'etayaient.
Je n'en ai ni le moyen ni le desir. D'aucuns considereraient cela comme un honneur. Pas moi, je vous le concede. Il est bien evident que, si je vous aimais, les choses seraient plus penibles, mais...
Il s'arreta un instant comme s'il cherchait ses mots. Son regard demeurait attache au visage rougissant de Catherine qui, a nouveau, se sentait mal a l'aise. Elle releva la tete d'un air de defi :
— Mais ?
— Mais je ne vous aime pas plus que vous ne m'aimez, ma chere enfant, acheva-t-il doucement. Vous voyez que vous pouvez bannir tout remords. Je ne vous en veux meme pas d'avoir complote ma mort...
Rappelee soudain au but de sa visite, Catherine saisit la balle au bond :
— Prouvez-le-moi alors !
— Vous le prouver ?
Le visage de Garin exprimait la surprise. Ses sourcils se froncerent et un peu de sang monta a ses joues pales. Craignant un eclat, Catherine se hata d'enchainer :
— Oui... Je vous en supplie ! Celui qui vous a attaque est un vieil ami a moi, c'est meme mon seul ami. C'est lui qui nous a cachees apres la mort de mon pere, lui encore qui nous a fait fuir Paris insurge, amenees ici en surete. Je lui dois ma vie, celle de ma mere, de ma s?ur... Il n'a agi que par tendresse pour moi, parce qu'il se jetterait au feu si je le lui demandais. Je ne veux pas qu'il meure a cause de ma sottise. Je vous en supplie !... faites quelque chose.
Pardonnez-lui aussi, faites-le liberer... Il est vieux, malade...
— Pas si malade que cela ! fit Garin avec son mince sourire. Il est encore tres vigoureux. J'en sais quelque chose !...
Oubliez-le. Pardonnez-lui... Vous etes puissant, vous pouvez arracher un malheureux a la potence. Je vous en serais tellement reconnaissante !
Emportee par le desir de sauver Barnabe, Catherine avait quitte son siege et s'etait avancee vers le lit. Elle se laissa glisser a genoux aupres de l'enorme couche et tendit vers le blesse un visage soudain inonde de larmes et deux mains tremblantes. Garin se redressa et se pencha un bref instant vers le joli visage en larmes, dans lequel les yeux violets etincelaient comme des pierres precieuses. Ses traits s'etaient durcis, son nez se pincait.
— Relevez-vous, ordonna-t-il d'une voix rauque, relevez-vous tout de suite. Et ne pleurez plus !... Je vous interdis de pleurer devant moi !
Une colere sourde grondait dans sa voix et Catherine, interdite, obeit machinalement, se releva et recula de deux pas sans quitter des yeux le visage convulse de l'argentier. Les yeux detournes, celui-ci expliquait maladroitement :
— Je hais les larmes !... Je ne peux supporter de voir pleurer une femme ! Allez-vous-en maintenant... Je ferai ce que vous voudrez ! Je demanderai la grace de ce malandrin... mais partez ! Partez tout de suite, vous m'entendez...
Il designait la porte a la jeune fille terrifiee. Catherine ne comprenait rien a la soudaine colere de Garin. Elle reculait a petits pas prudents vers la porte, hesita un instant au seuil, mais avant de franchir la porte, rassembla son courage :