Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта (книги полностью TXT) 📗
Lentement, elles voltigeaient jusqu'a l'eau noire. On sentait que, bientot, ce serait le silence de l'hiver...
Dans la maison de Catherine, le feu etait allume comme dans toutes les autres demeures ; il flambait joyeusement au centre de la haute cheminee de gres de la grande salle ou se tenaient la jeune femme et son peintre. Il y avait maintenant deux heures que Catherine posait pour Jean Van Eyck et elle commencait a se sentir lasse. Des fourmillements montaient dans ses bras et dans ses jambes. Sans bien s'en rendre compte, son expression s'etait figee et le peintre s'en apercut.
— Pourquoi ne me dites-vous pas que vous etes fatiguee ? fit-il avec le sourire en coin qui conferait tant de charme a son visage maigre.
— Parce que vous travaillez avec tant d'ardeur que j'aurais scrupule a vous interrompre, maitre Jean. Etes-vous satisfait ?
— Plus que je ne saurais dire. Vous etes le modele des modeles... C'est assez pour aujourd'hui. Encore une seance et ce sera parfait.
D'un geste vif, le peintre rejetait son pinceau dans un grand vase en faience de Faenza, verte et blanche, qui en contenait deja une bonne vingtaine et se recula pour juger du travail accompli. Du haut panneau de peuplier que sa main avait couvert de peinture, ses yeux gris-bleu, dont le regard avait l'acuite de celui du chirurgien, revinrent a la jeune femme.
Figurant la madone, elle se tenait assise sur une sorte de siege sureleve qu'un dais de tapisserie abritait. Les plis d'une immense robe de velours violet, resserres sous les seins par une haute ceinture d'or, l'enveloppaient tout entiere, retombant meme sur les marches du trone. Aucun bijou n'ornait son modeste decollete en pointe, mais un etroit cercle d'or, piquete de perles et d'amethystes, retenait autour du front la masse somptueuse des cheveux denoues sur ses epaules. Entre ses mains, jointes au creux de ses genoux, elle tenait une sorte de sceptre fait d'un lis d'or finement cisele.
Van Eyck poussa un profond soupir de soulagement.
— Je me demande si je me lasserai un jour de vous peindre, Catherine...
Si je compte bien, c'est le troisieme tableau que je fais de vous ? Mais quel peintre pourrait se lasser d'une telle beaute ?
Un soupir de Catherine repondit au sien. Tranquillement, elle descendait de son siege, posait le lis d'or sur une table et s'approchait d'un dressoir ou s'etageait une collection de coupes multicolores de Venise et un long flacon de meme provenance en verre mouchete d'or. Elle emplit deux coupes de vin d'Espagne, tendit l'une au peintre et trempa ses levres dans l'autre avec un sourire indulgent.
— Allons, Jean... ne recommencez pas. Dans un instant vous allez me dire que je suis unique au monde, dans quelques minutes que vous m'aimez passionnement. Je vous repondrai... ce que je vous reponds toujours. Alors ?
A quoi bon ?
Jean Van Eyck haussa les epaules, vida son verre d'un trait et le reposa :
— Justement : dans l'espoir qu'un jour vous me direz autre chose. Voila trois ans, Catherine, trois ans que le duc Philippe a fait de moi son peintre particulier et m'a donne le titre de valet de chambre, trois ans que je vous regarde vivre a ses cotes, que je vous admire et que je vous aime. C'est long, vous savez, trois ans...
Catherine ota d'un geste las le cercle d'or et de pierreries qui avait laisse sur son front une legere trace rouge et le jeta aupres du lis d'or comme une chose sans importance.
— Je sais... car voila trois ans que je mene, aupres de Philippe, cette vie de chien savant, d'objet de luxe que l'on pare par orgueil... La plus belle dame d'Occident ! Voila le titre dont m'a gratifiee celui que l'on nomme le grand-duc de ce meme Occident. Trois ans !... En realite, Jean, il n'est point de femme plus solitaire que moi.
Elle sourit tristement a son peintre. C'etait un homme d'une trentaine d'annees a la physionomie intelligente mais dont l'abord suggerait l'idee d'une grande froideur. Un long nez droit, des levres minces, resserrees, des sourcils blonds a peine traces et des yeux un peu a fleur de tete lui donnaient davantage l'aspect d'un homme de gouvernement que d'un artiste. Et pourtant, de plus grand il n'en etait point ! Il n'avait eu d'egal que son propre frere Hubert, mort a Gand deux ans plus tot... Peu de gens savaient que cet homme maigre et distant cachait une flamme ardente, une profonde sensualite et un amour forcene de la beaute sous son regard averti et son sourire caustique. Mais Catherine etait de ceux-la... Depuis qu'il lui avait ete presente, Van Eyck la poursuivait d'une passion a la fois devotieuse et brulante... etrangement patiente aussi. On eut dit qu'a cette femme si merveilleusement belle, le peintre etait pret a tout passer, a tout permettre.
Meme, si bon lui semblait, de fouler aux pieds son propre c?ur. Elle avait tous les droits, puisqu'elle etait belle. Et, parfois, Catherine avait ete tentee de ceder a cet amour obstine que rien ne decourageait. Mais elle etait lasse de l'amour...
Depuis la mort de Garin, quatre annees s'etaient ecoulees mais chacune d'elles demeurait presente, vivante comme si elle avait ete vecue de la veille. Catherine se souvenait trop bien de son depart de Dijon, peu de jours apres le drame qui l'avait faite veuve ! Pour la soustraire a la curiosite des gens de la cite, curiosite qui n'eut pas manque d'etre cruelle pour la femme de l'Argentier abattu, Ermengarde avait voulu emmener son amie le plus vite possible. Elles avaient quitte la ville toutes les deux, avec Sara, le jour meme ou la pioche des demolisseurs attaquait le magnifique hotel de la rue de la Parcheminerie qui avait ete le signe eclatant et tangible de la richesse de Garin. Du bout de la rue, Catherine put apercevoir les hommes qui commencaient a decouronner la maison de ses girouettes dorees en forme de dauphins. Elle avait detourne la tete d'un geste decide, serrant les levres pour les empecher de trembler. La rue de la Parcheminerie, c'etait une page de sa vie qu'elle desirait tourner avec d'autant plus d'intensite que le dernier regard de son mari, au fond du « crot », la poursuivait. S'ils n'avaient ete l'un comme l'autre victimes d'une terrible fatalite, quel eut ete leur sort commun ? Le bonheur, peut-
etre, eut , ete possible.
A Dijon, Catherine n'avait rien laisse, que des regrets. Meme sa mere et son oncle avaient quitte la rue du Griffon pour s'installer definitivement a Marsannay. L'oncle Mathieu etait assez riche pour vivre sur ses terres et ne souhaitait plus « vivre enferme dans le fond d'un sillon » comme il disait lui-meme. Loyse etait au couvent de Tart, Landry a Saint-Seine. Quant a Ermengarde, la mort de la duchesse-douairiere lui avait porte un coup sensible. Elle aussi avait decide de se retirer dans son domaine de Chateauvillain.
— J'y eleverai votre enfant, avait-elle dit a Catherine. Le sang ducal doit lui valoir une education choisie. Nous en ferons un chevalier ou bien une dame accomplie...
La pensee de l'enfant a naitre n'eveillait aucune joie en Catherine alors qu'elle paraissait inspirer a Ermengarde une profonde satisfaction. La comtesse se sentait une ame de grand-mere et l'idee de pouponner l'enthousiasmait. Peut-etre parce qu'elle n'avait plus grand monde a aimer.
Son epoux vivait aupres de Philippe, un peu trop joyeusement pour son age deja avance. « Il ne se rendra jamais compte qu'il n'est plus un jeune homme et que les femmes sont encore ce que l'on trouve de plus fatigant comme passe-temps ! » disait la comtesse avec philosophie. Cela ne la chagrinait guere. Il y avait beau temps que l'amour etait mort entre elle et son legitime seigneur. Quant a son fils, il guerroyait dans les armees de Jean de Luxembourg et elle ne le voyait pas souvent. Il etait grand amateur de beaux coups d'epee. « C'est de son age et c'est de sa race ! » disait de lui Ermengarde. L'enfant qui devait naitre de Catherine serait le bienvenu pour l'aider a supporter l'ennui d'une vie a la campagne car elle etait bien decidee a demeurer desormais a Chateauvillain, pour y cultiver ses terres et y tenir ses paysans d'une main vigoureuse.