Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта (книги полностью TXT) 📗
L'idee etait bien d'un fou. Je fus surpris comme j'essayais d'escalader le mur d'un jardin, saisi, charge de chaines et traine devant le bey. Il voulait me faire trancher la tete sur l'heure mais le comte Jean, averti, intervint. Non sans peine, il obtint grace pour ma vie ! Mais je n'en fus pas moins livre au bourreau pour expier l'offense dont je m'etais rendu coupable. Lorsque je sortis d'entre ses mains j'etais vivant, mais j'avais cesse d'etre un homme !
On soigna ma blessure suivant le mode barbare usite pour les futurs gardiens de harems : on m'enterra dans le sable jusqu'au cou pendant plusieurs jours.
Je faillis en mourir... mais mon heure n'etait pas venue. Je rentrai en France, retrouvai les miens... et laissai Marie de La Chesnel en epouser un autre...
Muette maintenant, les yeux agrandis d'horreur, Catherine regardait son mari comme si elle le voyait pour la premiere fois. Il n'y avait plus trace de colere en elle, rien qu'une immense pitie qui montait du plus profond de son c?ur pour s'en aller rejoindre cet homme dont, cette fois, elle comprenait le calvaire. Un lourd silence vint remplacer, au fond du caveau, la voix etrangement calme et lente de Garin. Seule, une goutte d'eau tombant de la voute suintante vint le troubler. La gorge serree, oppressee, Catherine cherchait en vain des mots qui ne fussent pas stupides ou offensants car elle devinait en Garin une sensibilite d'ecorche vif. Pourtant, ce fut elle qui parla la premiere, d'une voix contenue, teintee d'un inconscient respect :
— Et... le duc connaissait votre blessure quand il vous a ordonne de m'epouser ?
— Bien entendu ! riposta Garin avec un sourire amer. Seul, le duc Jean connaissait ma honte et m'avait jure le secret. Ce secret, Philippe l'a appris fortuitement, un jour ou, dans un engagement, j'avais ete blesse aupres de lui. Nous etions seuls, ecartes du reste de l'escorte. Il m'a soigne de sa main, ranime, sauve en me faisant emporter rapidement. Mais il savait... Lui aussi me promit le secret. Et il a tenu parole... pourtant, j'ai cesse de lui en etre reconnaissant le jour ou il s'en est souvenu pour vous lier a moi. Je crois que c'est la nuit meme de notre mariage que j'ai commence a le hair, quand j'ai eu la revelation totale de votre beaute. Vous etiez si merveilleuse !... et vous me demeuriez a jamais interdite... inaccessible ! Et moi, je vous aimais, je vous aimais comme le fou que j'ai failli devenir...
Sa voix s'enrouait, il avait detourne la tete, mais a la lueur tremblante de la torche, Catherine vit une larme, une seule, rouler sur la joue mal rasee et se perdre dans les poils hirsutes. Bouleversee, elle se jeta a genoux aupres de l'homme enchaine, tira son mouchoir et, doucement, essuya la petite trainee humide.
— Garin, murmura-t-elle... pourquoi ne me l'avez-vous pas dit plus tot !
Pourquoi ce silence ?
N'aviez-vous pas compris que je pouvais vous aider? Je jure que, si j'avais su cette navrante histoire, jamais le duc ne m'aurait touchee, jamais je ne vous aurais inflige cette honte, ce supplice barbare !
— Et vous auriez eu tort, ma mie ! Vous etes faite pour l'amour, pour le bonheur et pour donner la vie. Avec moi, votre existence etait engagee dans une impasse...
La colere de Catherine changeait de but. C'etait a Philippe qu'elle en voulait maintenant, pour ce froid et cruel calcul dont Garin avait ete la victime. Comment avait-il ose se servir du lamentable secret que le hasard lui avait fait decouvrir ? Par contrecoup, toute rancune s'etait abolie en elle envers son mari.
— Je ne peux pas vous laisser mourir, chuchota-t-elle tres vite. Il faut faire quelque chose... Cet homme, votre geolier... il aime l'or. En lui offrant une fortune, il vous laisserait fuir pour peu qu'on lui assure une retraite...
Ecoutez : je n'ai pas d'argent mais j'ai tous mes bijoux, tous ceux que vous m'avez donnes et meme votre diamant noir. N'importe lequel d'entre eux represente une enorme fortune pour un homme comme celui-la et...
— Non ! coupa brusquement Garin. N'en dites pas plus ! Je vous remercie de cette pensee que vous dictent votre c?ur et votre sens de la justice, mais je n'ai plus envie de vivre ! Au fond, en me condamnant a mort, Philippe Machefoing et ses echevins m'ont rendu service. Vous ne savez pas a quel point je suis las de la vie...
Les yeux de Catherine se riverent aux deux mains de Garin, emprisonnees dans la cangue de bois du cep. Elles donnaient une extraordinaire impression d'abandon et de fragilite.
La liberte ! murmura la jeune femme... la liberte, c'est une si belle chose !
Vous etes encore jeune, plein de vie, riche si vous le voulez. Avec ce que j'ai sauve vous referez une fortune, ailleurs... loin d'ici, vous aurez une nouvelle vie...
— Et qu'est-ce que j'en ferai ? Continuer a endurer ce delicieux et infernal supplice de Tantale que vous representez ? Rester ce Promethee enchaine par l'impuissance et devore tout vif par le vautour du desir, interminablement, jusqu'a ce que vienne la vieillesse ? Non, Catherine, merci ! J'ai fait ma paix avec vous, du moins, je le crois, je peux mourir et, croyez-moi, je mourrai heureux !
Elle voulut tenter encore de le convaincre, desesperee maintenant de savoir sa fin si proche. Tout cela lui paraissait monstrueusement injuste !
Elle en oubliait de bon c?ur que, par sa faute, elle avait connu des tourments plus cruels encore que ceux endures par lui. Mais des bruits de pas se faisaient entendre dans l'escalier, puis le son de deux voix.
— On vient ! fit Garin qui avait entendu. Le geolier et, sans doute, le pere qui vient m'exhorter ! Il vous faut partir. Adieu, Catherine...
pardonnez-moi de n'avoir pas su vous rendre heureuse. Et pensez quelquefois a moi, dans vos prieres. Moi, je mourrai en prononcant votre nom.
Son visage blesse s'etait fige comme s'il etait devenu de pierre. Des larmes jaillirent des yeux de Catherine. Elle tordit nerveusement ses mains l'une contre l'autre.
— Ne puis-je vraiment rien pour vous... rien ? Moi qui voudrais tellement...
Une lueur s'alluma brusquement dans l'?il unique de Garin.
Peut-etre, chuchota-t-il tres bas. Ecoutez ! je ne crains ni la potence ni la torture... mais la claie me fait horreur. Etre traine comme une bete crevee dans la poussiere, a la hauteur des pieds de la foule, sous les immondices et les crachats d'une populace imbecile... cela, oui, j'en ai tres peur ! Si vous pouvez me l'epargner, je prierai Dieu de vous benir...
— Mais comment ?
La porte du cachot s'ouvrait, livrant passage a Roussot et a un moine cordelier dont les mains disparaissaient sous les manches de bure brune de la robe, le visage sous le capuchon baisse.
— C'est l'heure ! fit le geolier a l'adresse de Catherine. Je ne vous ai laissee que trop longtemps. Mais le bon pere ne dira rien. Venez...
— Un moment encore ! s'ecria Garin.
Puis, levant vers la jeune femme un regard qui suppliait qu'on lut en lui :
— Avant d'en finir avec la vie, je voudrais boire encore une fois une pinte de vin de Beaune... de celui que s'entend si bien a soigner mon sommelier Abou ! Demandez a cet homme de vous permettre de m'en faire parvenir un pot.
Roussot eclata d'un gros rire et se tapa sur les cuisses.
— Sacre Bourguignon, va ! Tu ne veux pas sauter le pas sans avoir bu un dernier coup ? C'est une chose que je comprends moi ! Le vin de Beaune, j'aime ca !
— Mon fils ! fit le moine scandalise. Une telle preoccupation avant de paraitre devant Dieu...
— Appelez cela, plutot, un dernier adieu a la terre qu'il a faite si belle !
repliqua Garin avec un sourire.
Catherine ne dit rien. Elle avait compris ce que voulait Garin. Elle se dirigea vers la porte, escortee du geolier, mais, sur le seuil, se retourna. Elle vit que le regard de son mari etait toujours rive a elle et, cette fois, avec une telle expression d'amour et de desespoir qu'un sanglot s'etrangla dans sa gorge.