Catherine Il suffit d'un amour Tome 1 - Бенцони Жюльетта (книги бесплатно без TXT) 📗
— Restez encore un peu, mon cher ami, puisque l'on vous en prie si gracieusement ! Votre demeure n'est pas loin et je suppose que vous ne craignez guere les malandrins.
Avec un sourire a l'adresse de sa fiancee, Garin se rassit. Catherine poussa un soupir de soulagement mais n'osa plus tourner les yeux vers l'homme qu'elle trahissait de la sorte. Elle se meprisait pour ce role qu'elle ne pouvait s'empecher de jouer mais l'amour qui l'habitait etait plus fort que les reproches de sa conscience. Tout plutot qu'appartenir a un autre homme qu'Arnaud !
Quand, une heure plus tard, alors que le creve-feu etait sonne depuis trois grands quarts d'heure et la nuit tout a fait noire, Garin prit enfin conge de Catherine et de ses hotes, celle-ci le regarda d'un ?il froid s'enfoncer dans l'ombre, vers la mort embusquee. Mais, comme on ne fait pas taire si aisement une conscience revoltee, elle ne ferma pas l'?il de toute la nuit.
Garin de Brazey n'est que legerement blesse et Barnabe est arrete...
La voix de Sara tira Catherine de la demi-somnolence ou elle etait tombee depuis l'aube. Elle vit l'ancienne bohemienne debout aupres d'elle avec un visage couleur de cendres, des yeux eteints, des mains qui tremblaient. Elle ne comprit pas tout de suite le sens des paroles de Sara. Il y avait dedans quelque chose d'absurde et d'incroyable... Mais, Sara, devant le regard charge de stupeur de Catherine, repetait les memes mots terribles. Garin de Brazey vivant ? Au fond, ce n'etait pas tellement grave et meme, Catherine s'en trouvait vaguement soulagee.
Mais Barnabe arrete ?
— Qui t'a dit cela ? demanda-t-elle d'une voix blanche.
— Jehan des Ecus ! Il est venu mendier ici des l'aube, avec son sac et sa sebile. Il n'a pas pu m'en dire plus long parce que le cuisinier de la maison s'approchait pour entendre ce que nous disions. C'est tout ce que je sais.
— Alors ai de-moi a m'habiller !
Catherine se souvenait, en effet, juste a propos, de la recommandation faite par le jeune truand quand il l'avait ramenee chez elle : venir le trouver, en cas de besoin, au portail de Saint-Benigne.
C'etait le moment ou jamais ! En un tournemain elle fut habillee, coiffee et, comme tout l'hotel de Champdivers etait en plein emoi, elle put sortir sans trop donner d'explications. La nouvelle de l'attentat dont Garin avait ete victime se propageait comme une trainee de poudre, portee de bouche en bouche et, par la ville chacun la commentait a sa maniere. Catherine n'eut qu'a dire qu'elle s'en allait aux eglises remercier Dieu d'avoir epargne son fiance pour que Marie de Champdivers la laissat sortir avec Sara.
Dans le Bourg qu'elles traverserent en hate, les commeres s'interpellaient d'une fenetre a l'autre ou bien par petits groupes, s'arretaient pour commenter la nouvelle a l'ombre des enseignes de tole peinte et decoupee. Personne, au fond, n'etait vraiment surpris. La fortune du Grand Argentier avait ete trop rapide, son faste trop evident pour ne pas lui creer quelques ennemis. Mais Catherine et Sara ne s'attarderent pas a ecouter les commentaires. A mesure qu'elles approchaient de l'enceinte de la ville et des enormes batiments de l'abbaye Saint-Benigne, l'une des plus grandes de France, Catherine pensait surtout a ce qu'allait encore lui apprendre Jehan des Ecus. Elle sentait son c?ur se serrer.
Sur la place ou s'ouvraient a la fois le grand portail de l'eglise et l'entree du monastere, il n'y avait que peu de monde. Quelques personnes seulement franchissaient le seuil sacre. Dans les hautes tours octogonales a la pierre neuve, couleur de creme epaisse, les cloches sonnaient le glas. Les deux femmes durent attendre le passage d'un convoi funebre qui se dirigeait vers l'eglise. Des moines vetus de bure noire portaient un brancard ou reposait le mort, visage decouvert.
La famille et quelques pleurants les suivaient : fort peu de monde en resume car ce n'etait pas un grand enterrement.
— Je ne vois pas Jehan, chuchota Catherine derriere son voile.
— Mais si ! Sous le porche... ce moine en froc brun.
C'etait en effet le truand. Revetu d'un habit de frere mendiant, besace au dos et baton en main, il demandait la charite pour son couvent d'une voix nasillarde. Quand elle s'approcha de lui, Catherine vit qu'il l'avait reconnue car son ?il brilla plus fort sous le capuchon poussiereux. Elle vint droit a lui, mit une piece dans la main tendue et murmura, tres vite :
— Il faut que je vous parle, tout de suite.
— Des que tous ces braillards seront rentres, fit le faux moine, De profundis clamavi ad te Domine...
Quand tout le cortege eut penetre dans l'eglise, il attira les deux femmes dans l'encoignure de la grande porte.
— Que veux-tu savoir ? demanda-t-il a Catherine.
— Ce qui s'est passe !
— Facile ! Barnabe a voulu faire le coup tout seul... c'etait une affaire privee, qu'il disait, un trop gros risque pour le prendre avec des copains. Pourtant, a bien reflechir, avec tout ce que l'Argentier trimballe toujours comme joaillerie sur lui, ca pouvait valoir la peine.
Mais Barnabe est comme ca ! Il a seulement accepte que je fasse le guet. Moi, je voulais qu'il prenne l'Assommeur avec lui, pour etre plus sur, tu comprends ? Brazey est encore jeune et Barnabe se fait vieux. Mais, va te faire fiche il est plus tetu qu'une mule d'abbe mitre.
Il a bien fallu faire ce qu'il voulait. Moi, je lorgnais du cote du Bourg et lui, il s'etait cache derriere la fontaine qui fait le coin de la rue. J'ai vu arriver l'homme, suivi d'un seul valet, et j'ai siffle pour avertir Barnabe, puis je me suis ecarte. Quand l'Argentier est passe pres de la fontaine, le vieux a saute dessus avec tant de force qu'il l'a fait tomber de son cheval. Ils se sont battus un moment dans la poussiere et moi je surveillais le valet. Mais ce n'etait pas un brave. En bon couard, il s'est tire au bout d'une minute en criant « misericorde !... ». Ensuite, j'ai vu l'un des combattants se relever et je me suis elance parce que je croyais que c'etait Barnabe. Je voulais lui donner un coup de main pour jeter le cadavre a l'Ouche. J'avais meme prepare quelques grosses pierres. Mais c'etait l'autre. Barnabe etait reste a terre et geignait comme femme en gesine.
— Il me semble que c'etait le moment ou jamais de lui donner de l'aide, coupa sechement Catherine.
C'etait bien mon intention ! Seulement, comme j'allais tirer mon eustache pour en decoudre a mon tour avec le Garin, le guet a juste debouche de la rue Tatepoire. Brazey les a appeles et ils ont rapplique. Moi, j'ai eu juste le temps de me faire tout petit. Ils etaient tout de meme un peu trop pour un pauvre truand tout seul ! acheva-t-il avec un sourire contrit.
— Et Barnabe ? Qu'est-ce qu'ils en ont fait ?
— J'ai vu deux gaffres qui le ramassaient et l'emportaient sans trop de ceremonie. Il bougeait pas plus qu'un cochon egorge mais il n'etait pas mort. Ca s'entendait au souffle ! D'ailleurs, j'ai entendu le chevalier du guet ordonner qu'on l'emporte a la prison. C'est la qu'il est maintenant... a la maison du Singe. Tu connais ?
Catherine fit signe que oui. Elle tordait nerveusement entre ses doigts un coin de son livre d'heures couvert de velours rouge, cherchant vainement la solution a ce nouveau probleme qui se posait avec une terrible urgence : arracher son vieil ami a la geole !
— Il faut le tirer de la, dit-elle, il faut qu'il sorte !
Un sourire sans gaiete releva d'un seul cote, la
bouche sinueuse du faux moine. Il fit tinter sa sebile de bois a l'adresse de trois commeres, en bonnet et tablier, des marchandes du Bourg qui venaient prendre un air de messe entre deux ventes.
— Pour en sortir, il en sortira, mais peut-etre pas comme tu le souhaiterais. On lui offrira une petite promenade au Morimont et une petite conversation avec le grand « Carnacier » de Monseigneur.
Le geste qu'il joignait a la parole etait sinistrement explicite. Jehan avait, de son doigt tendu, fait le tour de son cou. Catherine se sentit palir.