Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
— Ceci est trop pour elle ! fit la voix calme de maitre Jacques, elle a deja tant souffert du fait de cet homme.
— Elle n'est pas la seule, malheureusement, dit Xaintrailles sombrement. Dans tout le royaume on souffre et on pleure parce que La Tremoille existe...
Un sourire amer se figea sur le visage du pelletier tandis que sa voix se chargeait d'un peu de dedain.
— Et les capitaines, les hommes d'armes tolerent cela ? Combien de temps encore, Messire, vous et vos pareils laisseront-ils le champ libre a ce miserable ?
— Pas plus qu'il ne faudra, maitre Jacques, soyez-en bien certain ! repondit rudement le capitaine. Le temps de reunir assez de chasseurs pour forcer le sanglier dans sa bauge. Pour l'heure, les chasseurs sont disperses, il leur faut revenir des quatre horizons.
Le malaise de Catherine avait pris fin. Appuyee au bras de Sara, elle se relevait, un peu honteuse de s'etre ainsi laissee aller. Mahaut voulut l'envoyer au lit, mais elle refusa.
— Je vais mieux maintenant. Je vais demeurer aupres de lui. Cette nuit, je ne pourrai pas dormir, je le sens. S'il allait...
Elle n'osa pas formuler completement sa crainte de ne pas etre la si Arnaud s'eteignait dans la nuit, mais Xaintrailles, lui, avait compris.
— Je veillerai avec vous, Catherine. La mort n'osera pas l'arracher d'entre nous deux.
Toute la nuit, Catherine, Sara et Xaintrailles se relayerent au chevet d'Arnaud, ecoutant son souffle, epiant le moindre signe d'affaiblissement. Deux ou trois fois, la respiration du blesse s'arreta et, aussitot, le c?ur de Catherine manqua un battement. Malgre sa fatigue, elle passa des heures a genoux, priant eperdument quand Sara ou Xaintrailles veillaient a leur tour. Cette nuit avait pris pour elle une valeur de symbole. Dans son desespoir et son angoisse, elle avait fini par se persuader de l'importance primordiale de ces heures qui s'ecoulaient si lentement. « S'il vit encore au lever du jour, pensait-elle, il sera sauve... » Mais vivrait-il encore lorsque le soleil reviendrait eclairer la terre ? Avant de partir, Rabbi Moshe n'avait pas cache que l'extreme faiblesse d'Arnaud constituait le plus grand danger. Il lui avait fait absorber quelques cuillerees de lait melange d'un peu de miel, puis, pour lui assurer un repos a peu pres calme, une infusion de pavot, mais c'etait l'inertie absolue du blesse qui affolait le plus Catherine. Il suffisait de si peu de chose, semblait-il, pour eteindre la petite flamme de vie qui brulait encore dans cet homme epuise.
Xaintrailles non plus n'avait guere dormi. Assis sur un escabeau, les coudes aux genoux et les mains nouees, il etait reste des heures immobile, les yeux fixes sur son ami. De temps en temps, il parlait, comme s'il avait besoin de paroles pour s'encourager et s'obliger a l'espoir.
— Il s'en tirera, disait-il avec une conviction qu'il puisait en lui-meme. Il ne peut pas ne pas s'en tirer. Rappelez-vous Compiegne, Catherine. La aussi, nous l'avions cru mort !
Mais, parfois aussi, il fermait les veux et les frottait de ses deux poings. Pour empecher les larmes de paraitre ou bien parce qu'il ne pouvait plus endurer la vision de ce corps inerte, de ce visage aux yeux bandes. Au-dehors, en contrepoint sinistre, il y avait le pietinement de ceux que l'on chassait et qui, alourdis du peu qu'ils avaient eu permission d'emporter, se dirigeaient vers la porte Ornoise. Combien atteindraient Beaucaire ou Carpentras, les villes du Sud ou la colonie hebraique etait puissante et toleree ?
Les coqs chanterent bien avant que le jour parut. Les cloches du couvent des Jacobins sonnerent prime, puis, insensiblement, le ciel se fit moins noir. Enfin, du cote de l'orient, une bande claire apparut sur l'horizon et grandit de plus en plus jusqu'a effacer completement la nuit. Sur le rempart, une trompette sonna annoncant l'ouverture des portes et la releve de la garde... Au meme instant, Arnaud bougea.
Ses mains taterent le drap qui le couvrait, puis s'eleverent, grandes ouvertes, tendues en avant avec le geste instinctif des aveugles. Debout de chaque cote du lit, n'osant respirer, Catherine et Xaintrailles regardaient. Le c?ur de la jeune femme lui faisait mal tant il battait fort contre ses cotes. Le charme n'allait-il pas se rompre si elle faisait un geste ? Mais les levres d'Arnaud bougeaient. Il balbutia, comme du fond d'un reve :
— La nuit !... toujours la nuit !
La poitrine oppressee de Catherine se degonfla d'un seul coup. Elle saisit l'une de ces mains errantes, la serra contre son c?ur et, se penchant, demanda doucement :
— Peux-tu m'entendre, Arnaud ? C'est moi... C'est Catherine.
— Catherine ?
Brusquement les machoires du blesse se crisperent et il arracha sa main de celles qui le tenaient.
Que me voulez-vous encore ? souffla-t-il. Quel nouveau piege me tendez-vous ?... Ne savez-vous pas... que c'est du temps perdu ?... Ce n'est pas vous que j'aime !... Vous, je vous meprise. Vous... me repugnez !
Videe d'un seul coup de tout son sang, Catherine chancela. Mais, par-dessus le lit, son regard croisa celui de Xaintrailles et y lut l'ombre d'un sourire.
— Il vous prend pour une autre ! dit-il. L'aimable epouse de La Tremoille s'appelle aussi Catherine, vous le savez bien, et elle a du lui rendre quelques visites dans sa prison. Laissez-moi faire.
A son tour, il se penchait sur son ami, posant ses grandes mains sur les epaules osseuses.
— Entends-moi, Montsalvy !... Tu es en surete ! Ta prison est loin. Tu me reconnais bien, moi ?... Je suis Xaintrailles, ton frere d'armes, ton ami... Tu m'entends ?...
Mais la tete d'Arnaud glissait sur le cote tandis que ses levres ne laissaient plus echapper que des paroles sans suite.
L'instant de lucidite avait ete bref. Deja, les tenebres avaient repris possession de l'esprit du blesse. Xaintrailles se redressa et, prevenant la plainte de Catherine, braqua sur elle un regard farouche.
— Il ne nous entend plus, mais ce n'est qu'un passage. Il retrouvera bientot ses sens.
Il contourna le lit, saisit Catherine par les epaules, refusant de voir les larmes qui roulaient sur ses joues.
— Je vous defends de desesperer, vous m'entendez, Catherine ! A nous deux, nous le sauverons ou bien je me fais moine ! Sechez vos larmes, allez dormir, vous ne tenez plus debout ! D'autres vous relayeront. Moi, je vais rentrer chez moi, mais je reviendrai ce soir... Eh, vous, la !
L'apostrophe finale s'adressait a Sara qui etait allee jusqu'a la cuisine et apparaissait sur le seuil avec un pot de lait. Le ton cavalier du gentilhomme lui fit froncer les sourcils.
— Je m'appelle Sara, Messire !
— Sara, si vous voulez ! Tachez de vous occuper de votre maitresse ! Couchez-la, de force s'il le faut !
Et puis allez me chercher ce grand diable qui a l'air d'une tour de siege et mettez-le de faction aupres du capitaine de Montsalvy.
Sur ces energiques paroles, Xaintrailles embrassa Catherine et disparut en faisant de son mieux pour reprimer ses habituelles facons tempetueuses. Mais il ne put s'empecher de faire claquer la porte. Sara haussa les epaules, tendit a Catherine la tasse de lait et bougonna :
— Qu'est-ce qu'il s'imagine, celui-la ? Je n'ai jamais eu besoin de lui pour savoir comment je devais te soigner ! Mais, pour le reste, il a raison. Messire de Montsalvy ne peut avoir de meilleur gardien que Gauthier. Je le crois capable d'arreter un escadron a lui tout seul.
— Tu crois que nous pourrions craindre quelque chose, ici ?
— On peut toujours craindre ! Tu penses bien que La Tremoille cherchera a retrouver son prisonnier et a tirer vengeance des degats faits a son chateau. Le seigneur Xaintrailles manque un peu de discretion et n'y entend pas grand-chose en matiere de deguisement. Malgre ses haillons et sa barbe, il sent le chef de guerre a plein nez et je me demande meme comment les soldats de l'enceinte s'y sont trompes. Ils devaient etre ivres, ou myopes !