Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
Il semblait ainsi plus jeune et, dans cette immobilite qui le faisait si semblable a quelque gisant de pierre, plus emouvant et plus desarme. Sur la toile de fond de sa memoire, Catherine, les yeux brouilles de larmes, revoyait le chevalier blesse de la route de Flandres. Ce soir-la, aussi, il etait inerte et abattu, mais en pleine force, mais en pleine puissance. On sentait que, dans cette chair blessee, la vie bouillonnait et qu'au sortir de l'inconscience le guerrier reprendrait ses droits.
L'Arnaud de ce soir semblait dormir d'un sommeil qui n'aurait pas de fin... et Catherine, desesperee, eut donne toutes les annees qui pouvaient lui rester a vivre pour qu'il ouvrit les yeux et qu'il lui sourit.
L'entree d'un nouveau personnage la tira de sa douloureuse contemplation. Non sans peine, car elle s'etait si bien enfermee dans son navrant tete-a-tete que tous les autres assistants avaient disparu pour elle. A peine etait-elle consciente de la silhouette rigide de Sara, assise au pied du lit, le dos contre une colonne, et du souffle rapide de Xaintrailles derriere son dos. Mais le nouveau venu avait de quoi eveiller l'attention la plus flottante. Long, maigre et un peu voute, il avait un visage etroit et jaune sur lequel tranchaient d'epaisses levres rouges, un long nez en bec d'aigle et de petits yeux profondement enfonces sous des sourcils
charbonneux. De longs cheveux bizarrement tresses en cadenettes tombaient sur les epaules maigres du personnage et rejoignaient une barbe noire qui semblait faite de copeaux d'ebene. Une robe noire elimee flottait autour de son corps et, sur cette robe, se detachait sinistre une rouelle jaune, a laquelle s'attacha, stupefait, le regard de Catherine. Ce regard, le nouveau venu l'intercepta et eut un rire sec.
— Les enfants d'Israel vous font-ils peur, Madame ? Je jure n'avoir jamais fait mourir, ni reduire en poudre aucun petit enfant, si c'est la votre crainte...
La voix grave de Jacques C?ur s'eleva derriere lui avant que Catherine ait pu repondre :
— Rabbi Moshe ben Yehuda est le plus savant medecin de la ville. Il a etudie a l'universite de Montpellier, dit le pelletier, nul ne saurait mieux que lui soigner mon hote. Bien des fois, en ce qui me concerne, j'ai fait appel a lui car il est habile et sage.
— N'y a-t-il donc, en cette ville, aucun medecin chretien ? intervint Xaintrailles avec une legere grimace. J'avais entendu que maitre Aubert...
— Maitre Aubert est un ane qui tuera votre ami plus surement que les bourreaux de La Tremoille. Apres la medecine arabe, la science hebraique est la plus puissante de notre temps. Elle a pris ses racines a Salerne ou exercait la fameuse Trotula.
Tandis que Jacques parlait, Moshe ben Yehuda, avec un haussement d'epaules, s'etait approche du lit et considerait le malade avec des prunelles retrecies.
— Il n'a pas sa connaissance, murmura Catherine. Parfois, il ouvre les yeux, mais il ne voit rien. Il balbutie des mots incomprehensibles et...
— Je sais ! coupa le medecin. Maitre C?ur m'a tout explique. Laissez-moi l'examiner... Veuillez vous reculer.
A regret, Catherine s'ecarta. Ce grand homme noir, penche sur Arnaud, lui semblait de mauvais augure et lui faisait peur.
Il avait tellement l'air d'un esprit funebre ! Pourtant, elle fut bien obligee de lui reconnaitre une extraordinaire habilete.
Ses longs doigts souples avaient parcouru rapidement tout le corps du blesse, s'attardant sur les ecorchures tumefiees laissees par le fouet et dont certaines suppuraient. D'une voix sourde, il reclama de l'eau pure dans un bassin, puis du vin.
Il fut servi dans l'instant. Sara et Mahaut etaient suspendues a ses levres presque autant que Catherine.
Dans l'eau, il lava ses doigts avant de les poser sur le visage d'Arnaud. Catherine le vit relever les paupieres, examiner longuement les yeux abimes. Il emit un leger sifflement.
— Est-ce que... c'est grave ? demanda-t-elle timidement.
— Je ne saurais vous dire. Plusieurs fois deja, j'ai vu de ces cas de cecite chez des prisonniers. C'est une affection due, je crois, a la nourriture infecte des prisons. Hippocrate lui donnait le nom de Keratis.
— Cela veut-il dire... qu'il est aveugle pour toujours ? fit a son tour Xaintrailles d'une voix si chargee d'angoisse que Catherine, instinctivement, tendit une main vers lui. Mais Rabbi Moshe hochait ses cadenettes noires.
— Qui peut savoir ? Certains sont restes aveugles, d'autres ont retrouve la vue, parfois dans un delai assez bref. Grace au Tres-Haut, je sais comment soigner avec les meilleures chances de reussite.
Tout en parlant, il s'etait deja mis a l'ouvrage. Toutes les blessures furent lavees soigneusement avec du vin, puis enduites d'un onguent fait de graisse de mouton, de poudre d'encens et de terebenthine lavee, enfin bandees de toile fine.
Sur les yeux malades, Rabbi Moshe ben Yehuda appliqua un cataplasme de feuilles de belladone et d'huile de palme, en recommandant de le changer tous les jours.
Nourrissez-le de lait de chevre et de miel, dit-il enfin quand il eut fini. Veillez a le tenir dans une parfaite proprete. S'il souffre, donnez-lui quelques grains de pavot, je vous laisserai tout ce qu'il faut. Enfin, priez Yahweh qu'il vous prenne en pitie car Lui seul peut tout, car Lui seul est le maitre de la vie et de la mort.
— Mais, dit Catherine, qui s'etait glissee au chevet d'Arnaud des que le medecin l'avait abandonne et avait pris l'une de ses mains dans les siennes, vous reviendrez le voir chaque jour, n'est-ce pas ?
Rabbi Moshe eut un sourire amer et ne repondit pas. Ce fut Jacques C?ur qui, d'une voix genee, repliqua :
— Malheureusement, cette visite n'aura pas de seconde. Rabbi Moshe doit quitter notre ville cette nuit... avec tous ses coreligionnaires ! L'ordre du Roi est formel : au lever du soleil tous les Juifs doivent avoir franchi les murailles sous peine de mort. Deja, j'ai retarde Rabbi Moshe qui etait pret a partir !
Un silence de mort accueillit ces paroles. Lentement, Catherine s'etait relevee et regardait tour a tour Jacques C?ur et le medecin.
— Mais... pourquoi cet ordre ?
La voix mordante de Xaintrailles lui repondit :
— Parce que La Tremoille n'a jamais assez d'or ! Il a reussi a obtenir enfin, a ce que je vois, cet edit frappant les Juifs.
On les chasse, mais, bien entendu, on ne chasse pas leur or. Ils doivent partir sans rien emporter de leurs biens. Demain, les coffres de La Tremoille seront pleins ! Et je suppose que, lorsqu'il les aura vides, il s'attaquera a d'autres : les Lombards par exemple.
Cette nouvelle, qui ne la touchait qu'indirectement, fut cependant pour Catherine la goutte d'eau du vase trop plein. Ses nerfs lacherent d'un seul coup. Secouee de sanglots convulsifs, elle s'abattit au pied du lit en poussant des cris inarticules.
Tout son corps tremblait et se tordait, raidi par instants en une sorte de crampe douloureuse. Sara s'etait precipitee sur elle et tentait de la relever, mais en vain. Elle avait agrippe l'une des colonnes du lit et s'y cramponnait de toutes ses forces.
On l'entendit gemir :
La Tremoille !... La Tremoille !... Je ne veux plus... entendre ce nom-la !... Je ne veux plus... Jamais... Plus jamais ! Plus jamais La Tremoille ! Il va nous devorer tous... Arretez-le ! Mais arretez-le donc ! Vous ne voyez pas comme il ricane dans l'ombre... Arretez !
Posant vivement la besace qu'il avait reprise, le medecin etait venu s'agenouiller aupres de la jeune femme. Il avait pris sa tete entre ses mains et la massait doucement en murmurant, en langue hebraique, des paroles d'apaisement ou d'exorcisme. A cet instant, Catherine paraissait se debattre avec un demon interieur, mais, peu a peu, sous les mains souples de Rabbi Moshe, elle se calmait. Son corps se detendit, des flots de larmes jaillirent de ses yeux et, insensiblement, sa respiration s'apaisa.