Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗
— Que voulez-vous dire ?
— Que je suis, moi aussi, une maniere de proscrite. Voyez-vous, mon c?ur, j'ai un fils qui me ressemble. Il en a eu assez des Anglais et de se sentir mal a l'aise dans sa peau de Francais. Il a donc epouse la jeune Isabelle de La Tremoille, s?ur de votre ami l'ex-Grand Chambellan.
— J'espere qu'elle ne lui ressemble pas ! s'ecria Catherine avec horreur.
Pas du tout : elle est charmante ! La-dessus, mon fils a renvoye sa Jarretiere au duc de Bedford et est entre en revolte ouverte contre notre cher duc. Resultat, les troupes ducales assiegent notre chateau de Grancey et, quant a moi, j'ai pense qu'il etait temps que j'aille voir un peu de pays. J'aurais fait un otage detestable. De la vient que vous me trouvez sur les grandes routes, sur le chemin de Compostelle et d'un salut auquel je vais songer serieusement. Mais je benis ce maudit accident qui m'a casse une jambe et retenue ici. Sans lui, je serais deja loin et je ne vous aurais pas retrouvee...
— Malheureusement, soupira Catherine, nous allons nous perdre de nouveau. Votre jambe vous immobilisera encore pour plusieurs jours certainement, et, moi, je dois partir demain avec mes compagnons !
Le teint naturellement colore de la dame de Chateauvillain vira au rouge fonce.
— Ne croyez surtout pas cela, ma belle ! Je vous ai retrouvee, je ne vous quitte plus. Je pars avec vous. Mes gens me porteront sur un brancard si je ne peux tenir a cheval, mais je ne resterai pas ici une minute de plus que vous. Et maintenant, si vous dormiez un peu ? Il est lard et vous devez etre lasse. Venez pres de moi, il y a place pour deux !
Sans se faire prier, Catherine se coula dans le lit aupres de son amie. L'idee qu'elle allait repartir avec, aupres d'elle, la solide sante morale d'Ermengarde l'emplissait a la fois de joie et de confiance dans l'avenir. La douairiere etait indestructible. Une fois deja, apres la mort du petit Philippe, Catherine l'avait crue aneantie. Elle s'etait courbee, avait vieilli d'un seul coup. Son ame avait paru s'absenter... et voila qu'elle la retrouvait sur les grands chemins, plus vigoureuse et plus virulente que jamais ! Certes, avec Ermengarde, la route serait plus facile et combien plus agreable !...
Le feu se mourait dans la cheminee. La comtesse avait souffle la chandelle et l'ombre avait envahi la petite piece. Malgre elle, Catherine ne put s'empecher de sourire en pensant a la tete que ferait Gerbert Bohat quand, au matin, il verrait l'imposante dame sur son brancard et apprendrait qu'il lui faudrait la compter a l'avenir au nombre de ses pelerins. Leur affrontement vaudrait sans doute la peine d'etre vu.
— A quoi pensez-vous ? fit soudain la voix d'Ermengarde. Vous ne dormez pas encore, je le sens !
— A vous, Ermengarde, et a moi ! J'ai de la chance de vous avoir rencontree au debut de ce long voyage !
— De la chance ? C'est moi qui en ai, ma chere ! Voila des mois, que dis-je, des annees que je m'ennuie a perir ! Grace a vous, ma vie va devenir, j'espere, un peu plus, pittoresque et animee. Et j'en avais besoin, sangdieu ! Je m'encroutais, Dieu me pardonne ! Je me sens guerie.
Et, comme preuve de cette miraculeuse resurrection, Ermengarde s'endormit aussitot et se mit a ronfler avec un tel c?ur qu'elle couvrit bientot les tintements melancoliques de la cloche.
Dans l'antique chapelle romane de l'hospice, les voix conjuguees des pelerins repetaient, apres celle du pere abbe, les paroles de la priere rituelle des errants.
— Dieu qui avez fait partir Abraham de son pays et l'avez garde sain et sauf a travers ses voyages, accordez a vos enfants la meme protection. Soutenez-nous dans les dangers et allegez nos marches.
Soyez-nous une ombre contre le soleil, un manteau contre la pluie et le vent. Portez-nous dans nos fatigues et defendez-nous contre tout peril. Soyez le baton qui evite les chutes et le port qui accueille les naufrages...
Mais la voix de Catherine ne se melait pas a celle des autres. Son esprit remachait les paroles violentes qui avaient ete echangees entre elle-meme et Gerbert Bohat, juste avant d'entrer a la chapelle pour la messe et l'oraison qui precedent les departs. Voyant apparaitre, sous le porche, la jeune femme soutenant d'un bras Gillette de Vauchelles, encore bien pale, le Clermontois avait blemi de colere. Il avait couru vers les deux femmes avec tant d'emportement qu'il n'avait pas remarque tout de suite Ermengarde qui venait derriere, etayee par deux bequilles.
— Cette femme n'est pas en etat de poursuivre la route, avait-il dit sechement. Elle peut entendre la messe, naturellement, mais nous la laisserons a la garde des dames hospitalieres.
Catherine s'etait promis d'etre douce et patiente pour tenter d'amadouer Gerbert, mais elle sentit tout de suite, au fremissement de colere qui lui vint, que sa patience ne serait pas longue.
— Qui a decide cela ? demanda-t-elle avec une douceur insolite.
— Moi !
— Et a quel titre, s'il vous plait ?
— Je suis le chef de ce pelerinage. C'est moi qui decide !
— Je crois que vous faites erreur. Au depart du Puy, vous avez ete choisi par l'eveque comme notre guide, pour marcher en tete de notre troupe parce que vous lui avez paru homme sage et parce que, cette route, vous l'avez deja parcourue une fois. Mais vous n'etes pas notre
« chef » au sens ou vous l'entendez.
— C'est-a-dire ?
— Vous n'etes pas plus capitaine que nous ne sommes soldats.
Contentez-vous, mon « frere », de nous guider par les chemins et ne vous preoccupez donc pas outre mesure de nous autres ! Dame Gillette souhaite poursuivre sa route, et elle la poursuivra !
Un eclair de fureur que Catherine avait deja appris a reconnaitre brilla, dangereux, dans les yeux gris de l'homme. Il fit un pas vers la jeune femme.
— Vous osez braver mon autorite ? s'ecria Gerbert d'une voix tremblante.
Catherine soutint son regard sans faiblir et lui adressa meme un froid sourire.
— Je ne la brave pas : je refuse de la reconnaitre telle qu'il vous plait nous l'imposer. Au surplus, rassurez-vous, dame Gillette ne vous sera d'aucune peine : elle poursuivra sa route a cheval.
— A cheval ? Ou pensez-vous trouver un cheval ?
Ermengarde, qui jusque-la avait suivi le dialogue
avec interet, jugea qu'il etait temps pour elle de s'en meler. Elle clopina jusqu'aupres de Gerbert.
— J'ai des chevaux, figurez-vous, et je lui en donne un ! Avez-vous quelque chose contre ?
Cette intrusion ne fit visiblement aucun plaisir au Clermontois qui fronca les sourcils et, regardant la vieille dame avec un visible dedain
: — Qui est celle-la ? fit-il. D'ou sortez-vous, bonne femme ?
Mal lui en prit. La douairiere de Chateauvillain devint brusquement ecarlate. Fermement appuyee sur ses bequilles, elle se redressa de toute sa haute taille, ce qui amena son visage a quelques pouces de celui de Bohat.
— C'est a vous, mon garcon, que l'on devrait demander d'ou vous sortez pour etre si malappris ! Ver- tudieu ! Vous etes bien le premier qui ait ose m'appeler « bonne femme » et je vous conseille de ne pas recommencer si vous ne voulez pas que mes hommes vous apprennent la politesse. Neanmoins, comme j'ai l'intention de me joindre a vous pour faire route avec mon amie, la comtesse de B... de Montsalvy, je consens a vous dire que je me nomme Ermengarde, dame et comtesse de Chateauvillain en pays bourguignon, et que le duc Philippe lui-meme pese ses paroles quand il s'adresse a moi ! Encore quelque chose a dire ?
Gerbert Bohat hesita, retenant visiblement a grand- peine une insolence. Mais, malgre lui, le ton autoritaire de la vieille dame agissait sur lui. Il ouvrit la bouche, la referma, haussa les epaules, puis, finalement :
— Je n'ai pas le pouvoir, quel que soit mon desir, de vous empecher de vous joindre a nous, ni de m'opposer au depart de cette femme puisque vous la transportez.