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Catherine et le temps d'aimer - Бенцони Жюльетта (читать книги бесплатно .txt) 📗

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— Nous allons nous separer, dit brievement Gerbert. Voici les dames hospitalieres qui prendront soin des femmes. Que les hommes me suivent !

En effet, de l'un des batiments sortaient quatre religieuses, portant comme les moines l'habit noir de l'ordre des augustins, mais allege pour elles d'une guimpe blanche.

Josse Rallard et Colin des Epinettes remirent a deux d'entre elles la pauvre Gillette a demi inconsciente. Catherine s'approcha.

— Ma compagne est epuisee, dit-elle. Il lui faudrait des soins, beaucoup de repos. N'avez-vous pas une chambre ou je pourrais m'occuper d'elle ?

L'hospitaliere regarda Catherine avec ennui. C'etait une de ces vigoureuses filles de la campagne auxquelles la force d'un homme ou d'un animal ne fait pas peur. Elle commenca par installer Gillette sur un brancard qu'une s?ur etait allee chercher, designa l'une des extremites a ladite s?ur, s'attela a l'autre et seulement lors consentit a repondre a la jeune femme.

— Nous n'en avons que deux. Elles sont occupees par une noble dame et ses femmes. Cette dame est arrivee voici dix jours avec une jambe cassee. C'est a cause de cet accident qu'elle est toujours ici.

— Je le comprends bien. Mais ne pourrait-elle envoyer ses femmes dans la salle commune et ceder l'une des chambres?

S?ur Leonarde ne retint pas une grimace qui, apres tout, etait peut-

etre un sourire moqueur, et haussa ses solides epaules.

— Personnellement, je ne me risquerais pas a le lui demander. Elle est... disons d'un caractere peu maniable ! C'est une tres grande dame apparemment.

— Vous n'avez pourtant pas l'air facile a impressionner, ma s?ur, remarqua Catherine. Mais si cette dame vous fait peur, je me chargerai volontiers de la commission.

— Ce n'est pas que j'en aie peur, fit s?ur Leonarde. C'est que j'ai horreur des cris, notre Mere Superieure aussi. Et Notre Seigneur a doue cette dame d'une voix terrifiante !

Tout en parlant, le brancard, suivi de Catherine, avait franchi la petite porte basse qui donnait acces a la maison des dames hospitalieres. Les quelques autres femmes du pelerinage vinrent ensuite. On se retrouva dans une immense cuisine lourdement dallee de grandes pierres plates, ou l'odeur de bois brule se melait a celle du lait aigre. Des chapelets d'oignons, des pieces de viandes fumees pendaient aux voutes basses et noires. Des fromages sechaient sur des claies d'osier et, devant la gigantesque cheminee, deux s?urs converses, les manches retroussees, s'occupaient activement d'une grande marmite noire ou cuisait une epaisse soupe aux choux.

On deposa le brancard devant le feu et s?ur Leonarde se pencha sur la malade.

— Elle est bien pale ! dit-elle. Je vais lui donner un cordial ; pendant ce temps, on lui preparera un lit...

— Dites-moi ou se trouve cette dame, fit Catherine qui tenait a son idee, je lui parlerai... Je suis, moi aussi, une noble dame.

S?ur Leonarde, cette fois, ne put s'empecher de rire.

— Je le savais deja ! fit-elle. Rien qu'a votre obstination. Je vais lui parler moi-meme... mais je sais d'avance la reponse. Occupez-vous de cette malheureuse !

L'hospitaliere s'eloigna vers le fond de la piece. Catherine commenca par se pencher sur Gillette qui, peu a peu, reprenait connaissance, mais elle se ravisa et fit trois pas dans la direction suivie par s?ur Leonarde. Elle hesitait a laisser Gillette quand l'une des femmes s'approcha d'elle.

— Je vais veiller sur notre compagne, dit-elle. Allez donc vous occuper de ca.

Catherine sourit en remerciement et se lanca sur la trace de la religieuse. Elle l'apercut devant elle, longeant un couloir glacial et humide au bout duquel elle frappa a une porte avant de disparaitre.

Apparemment, la dame a la jambe cassee avait en effet une voix vigoureuse car, lorsque Catherine s'arreta a son tour devant la porte, elle l'entendit rugir.

— J'ai besoin des soins de mes femmes, ma s?ur ! Vous ne voudriez pas que je les envoie dans la salle, a l'autre bout du batiment

? Que diable, un lit est toujours un lit, qu'il se trouve dans une chambre ou dans une autre !

S?ur Leonarde repondit quelque chose que Catherine n'entendit pas, peut-etre parce qu'elle etait occupee a se demander ou elle avait deja entendu cette voix qui lui paraissait tout a coup etrangement familiere... et qui, maintenant, jurait fort convenablement.

— Corbleu, ma s?ur ! C'est pourtant clair : je garde mes chambres.

Une impulsion dont elle ne fut pas maitresse jeta Catherine en avant. Elle ouvrit la porte, entra dans la piece, a vrai dire petite et basse, ou un grand lit a rideaux deteints et une cheminee conique tenaient a peu pres tout l'espace. Mais, le seuil franchi, elle se figea sur place, stupefaite...

Assise dans le lit, etayee par une foule d'oreillers, une grande et forte femme faisait face a s?ur Leonarde qui, par comparaison avec l'imposante personne, n'avait plus la moindre apparence. Les epais cheveux blancs de la dame montraient encore quelques meches rousses et son teint, avive par la colere, etait du plus beau rouge brique. Des couvertures s'empilaient sur elle. Une sorte de dalmatique rouge doublee de renard lui couvrait les epaules, mais une admirable main blanche, tendue vers la s?ur en un geste de menace, sortait des larges manches.

Le grincement de la porte, en s'ouvrant, avait detourne l'attention de la dame qui, devinant une silhouette feminine dans l'ombre du seuil, tourna vers elle sa fureur.

— Ah ! ca, mais on entre chez moi comme dans un moulin ! Qui est celle-la ?

Presque etranglee par l'emotion, partagee entre l'envie de rire et l'envie de pleurer, Catherine avanca jusqu'a ce que le reflet des flammes l'enveloppat.

— Ce n'est que moi, dame Ermengarde ! M'avez- vous donc oubliee ? La stupeur petrifia instantanement sur place la vieille dame.

Ses yeux s'arrondirent, ses bras retomberent, sa bouche s'ouvrit sans qu'aucun son en sortit et elle devint si pale, tout a coup, que Catherine eut peur.

— Ermengarde ? demanda-t-elle avec angoisse. Est-ce que vous ne me reconnaissez pas ? On dirait que je vous fais peur. C'est, moi, c'est...

— Catherine ! Catherine ! Ma petite !...

Ce fut un veritable hurlement qui fit sursauter s?ur Leonarde.

L'instant suivant, l'hospitaliere dut se ruer litteralement sur sa bouillante pensionnaire, car, oubliant son accident, Ermengarde de Chateauvillain allait se jeter a bas de son lit pour courir vers son amie.

— Votre jambe, madame la comtesse !

— Au Diable ma jambe ! Laissez-moi ! Morbleu ! Catherine !...

Ce n'est pas possible ?... C'est trop beau !

Elle se debattait aux mains de la s?ur, mais deja Catherine s'etait elancee vers elle et l'etreignait. Les deux femmes s'embrasserent chaleureusement et demeurerent serrees l'une contre l'autre. Des larmes de joie avaient jailli des yeux de la jeune femme.

— Vous avez raison, c'est trop beau !... C'est un miracle ! Oh !

Ermengarde, c'est si bon de vous retrouver, si bon... Mais comment etes-vous la ?

— Et vous ?

Ermengarde repoussait doucement Catherine et, la tenant a bout de bras, l'examinait.

— Vous n'avez pas change... ou si peu ! Vous etes toujours aussi belle, plus encore peut-etre ! Differente tout de meme... moins eclatante, mais combien plus emouvante ! Je dirais : affinee, spiritualisee !... Du Diable si l'on croirait que vous etes venue au monde dans une boutique.

— Madame la comtesse, intervint fermement s?ur Leonarde, je vous prierais d'eviter toute reference a messire Satan dans cette sainte demeure ! Vous n'arretez pas de l'invoquer !

Ermengarde se tourna vers elle et la regarda avec un etonnement qui n'etait pas feint.

— Vous etes encore la, vous ? Ah ! oui... c'est vrai, votre affaire de chambre ? Eh bien, allez deloger d'a cote ces paresseuses, expediez-les dans la salle commune et installez votre malade a leur place.

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