Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Бенцони Жюльетта (книги полностью TXT) 📗
Sara fut obligee de se secouer pour echapper a l'envoutement malefique de la scene. Elle comprenait que Paquerette, doutant sans doute de ses propres sortileges, etait venue demander, contre l'ennemie qu'elle s'etait decouverte, le secours de quelqu'un de plus fort qu'elle.
Ses invocations terminees, le vieillard revint a Paquerette, la releva et marqua son visage, en croix, avec le sang de la poule noire. Se penchant davantage, il l'embrassa sur la bouche puis, tirant de sa robe un sachet qui devait contenir une poudre, il le lui tendit en murmurant quelque chose a son oreille, avant de se detourner d'elle en designant la sortie du doigt.
Le geste alerta Sara. Paquerette allait partir. Il fallait fuir avant d'etre decouverte ! A toutes jambes, courant presque, sans prendre garde aux angles vifs ou elle se heurtait dans sa precipitation, Sara regagna la sortie.
L'air vif du dehors lui fit du bien. Elle eut l'impression de remonter des enfers. Son instinct de fille des champs et des bois lui fit retrouver le sentier avec la surete d'un chien de chasse sur la trace du gibier, talonnee qu'elle etait par le desir d'etre rentree bien avant Paquerette. Elle atteignit enfin la lisiere du bois, puis la maison. Aucun bruit ne s'y faisait entendre. Catherine dormait toujours paisiblement. Sara arracha ses vetements plutot qu'elle ne les ota, se glissa sous les couvertures. Le froid de ce corps qui arrivait contre elle reveilla legerement Catherine. Elle murmura quelques mots indistincts, se tourna de l'autre cote et se rendormit. Quelques secondes plus tard, Paquerette rentrait a son tour. Bien reveillee, cette fois, les yeux grands ouverts dans le noir, Sara entendit craquer l'echelle au moyen de laquelle la sorciere grimpait dans sa soupente. Un moment plus tard, il n'y eut plus aucun bruit dans la maisonnette. Mais Sara ne parvint pas a se rendormir. Ce qu'elle avait vu l'avait confirmee dans l'idee que Paquerette, jalouse de Catherine, ferait tout au monde pour lui nuire. Elle ne croyait guere aux enchantements de ces sorciers de campagne et ne s'inquietait pas des effets qu'ils pouvaient avoir sur Catherine. Il suffirait de veiller au grain ! Mais le sachet remis par le vieillard l'inquietait. Elle craignait que ce ne fut un poison.
Elle fut, sur ce point, assez vite rassuree. Quand le jour commenca a grisailler a la fenetre de la petite maison, Sara vit redescendre Paquerette. Sans s'occuper des deux dormeuses, la jeune fille prit une ecuelle, y versa de la farine blanche et se mit a petrir des galettes qu'elle fit cuire au feu dans une grande poele noire a longue queue. Entre ses paupieres mi-closes, Sara qui l'observait avait fort bien remarque qu'en petrissant la pate, la jeune sorciere y avait ajoute le contenu du sachet qu'elle portait dans son corsage. Quand les galettes furent pretes, Paquerette coupa de larges tranches d'un jambon pendu dans l'atre, empaqueta le tout dans un linge blanc et glissa ce colis dans la sacoche que Landry, tout a l'heure, pendrait a l'arcon de sa selle. Sous ses couvertures, Sara sourit ironiquement : la poudre etait destinee a l'en-cas que le jeune homme devait emporter pour se restaurer en route. Elle ne pouvait donc etre qu'un philtre d'amour. Les regards un peu trop tendres que le chevaucheur avait adresses, la veille, a son amie d'enfance avaient du persuader son inquietante maitresse qu'il en avait le plus grand besoin!
Deux heures plus tard, Landry, avec un etrange ravitaillement, embrassait les trois femmes et sautait en selle sur un joyeux « au revoir».
La boue que la neige fondue avait formee avec la terre du chemin vola sous les sabots de son cheval. Catherine, un peu melancolique, le vit diminuer sur le sentier, passer au pied de la butte ou le chateau erigeait sa masse menacante et noire, puis disparaitre derriere la colline. Il emportait son espoir, et, tout a coup, Catherine retrouva au fond de son c?ur un desir profond de revoir Philippe. Il etait le seul etre aupres de qui la vie fut facile et douce...
La neige fit place a une pluie diluvienne qui transforma la terre en cloaque, les chemins en bourbiers et la lumiere en une grisaille humide ; un incessant, un deprimant rideau tendu devant les petites fenetres. Le ciel suait l'ennui et le desespoir et les trois femmes, enfermees dans les limites restreintes de la maisonnette, maintenues a l'interieur par ce temps affreux, supportaient mal cette claustration. Landry s'etait a peine eloigne que la pluie s'abattait sur le pays comme si elle voulait retrancher Catherine et ses compagnes du reste des vivants. Au bout de quelques jours, ce fut intolerable.
Sara etait nerveuse, Paquerette taciturne et Catherine inquiete sans trop savoir pourquoi. Chaque fois qu'elle jetait les yeux par la fenetre, son regard se heurtait au chateau installe au milieu de son horizon, silencieux, hostile, gardant le secret de ses deux corps. Aucun mouvement ne s'y etait fait depuis la nuit de la fuite. Sara, discretement, avait surveille, guettant le retour de Garin. Mais le Grand Argentier ne s'etait pas montre. Rien n'avait bouge au chateau.
Catherine avait repris des forces. Son etat la fatiguait toujours, mais les nausees avaient cesse avec la fin du troisieme mois d'attente. Elle se portait mieux qu'elle ne l'avait fait depuis longtemps et tuait le temps comme elle pouvait en s'occupant aux soins du menage. Elle trouvait une sorte de plaisir a petrir la pate pour le pain, filer le chanvre ou la laine, ou bien s'initier a la fabrication des fromages de chevre, humbles taches dont elle avait perdu l'habitude dans l'hotel de la rue de la Parcheminerie.
Les habitants de Malain ne se montraient guere. Personne ne vint chez Paquerette dans les quatre premiers jours qui suivirent le depart de Landry.
Les maisons basses du village tassaient leurs murs faits de blocs de granit sous le chaume pisseux ou la lauze luisante de leurs toits. On devinait, a l'interieur, les paysans frileusement tapis, guettant le ciel derriere les petits carreaux de gros verre ou de parchemin huile des fenetres.
Le cinquieme jour, pourtant, un homme franchit le seuil de Paquerette, tandis que la jeune fille, profitant d'une eclaircie, etait allee en foret ramasser du bois mort. Sara, occupee a faire une lessive a la cendre, reconnut avec une certaine inquietude le grand vieillard qu'elle avait vu dans la grotte de la foret. Instinctivement, elle s'interposa entre l'arrivant et Catherine qui, assise sur la pierre de l'atre, filait une quenouille de chanvre.
— Que voulez-vous, brave homme ? demanda la tzigane.
— Je suis un ami de Paquerette. Elle n'est pas la?
Sara etendit le bras en direction du bois.
— Elle est dans la foret a ramasser du bois. Mais vous pouvez l'attendre...
Un peu d'enervement se trahissait dans la voix de la tzingara en constatant que les yeux clairs, d'un bleu delave du sorcier, s'attachaient a Catherine avec insistance. Le vieillard haussa les epaules sous sa houppelande de grosse toile brune doublee de peau de mouton.
— Non, je reviendrai. Mais...
Il allait sortir, se ravisa au moment d'ouvrir la porte :
— ... Vous pouvez lui dire que Gervais est venu et que j'ai fait faire la commission dont elle m'avait charge.
— Quelle commission ? demanda hardiment Sara dont la mefiance s'etait eveillee.
L'homme eut un geste evasif.
— Rien d'important ! Elle comprendra. Le bonsoir a toutes deux...
— Le bonsoir !
Lorsque Paquerette rentra, Sara imperturbable lui transmit les paroles du visiteur. Elle constata que, malgre son empire sur elle-meme, la fille rougissait. Les soupcons qu'elle trainait avec elle depuis la reunion des sorciers se confirmerent. Elle se souvenait du geste du bonhomme, enfouissant sous sa longue robe noire une partie des cheveux blonds que Paquerette lui avait remis. Dans quel but ce geste ? Un acte secret de sorcellerie, une nouvelle incantation ? Sara n'y croyait guere. Gervais, comme d'ailleurs Paquerette elle-meme, devaient se fier, en fait de malefice, a l'immonde galette placee dans la bouche de l'idole. Les cheveux, tres certainement, avaient une autre destination. Mais laquelle ? Irritee de ne pas trouver de reponse plausible a cette question, Sara ne ferma pas l'?il de la nuit. Vers le matin, pourtant, elle s'endormit d'un lourd sommeil qui la fit plonger au fond d'un puits insondable ou ne parvenaient ni les bruits ni la lumiere. Cette perte de connaissance ne dura pas longtemps, mais assez tout de meme pour qu'il fit grand jour quand elle ouvrit les yeux. Catherine, deja levee, epluchait les choux pour la soupe. Paquerette etait invisible.