Belle Catherine - Бенцони Жюльетта (смотреть онлайн бесплатно книга txt) 📗
Il bondit sur ses pieds et Catherine, terrifiee, le vit tirer une dague. Son visage convulse de fureur etait celui d'un fou.
Elle avait cru que le jour le degriserait, qu'en chassant l'obscurite elle chasserait aussi les demons, mais elle comprit qu'elle avait fait un mauvais calcul, qu'elle avait seulement dechaine les pires instincts de Gilles. Les dents grincantes, les yeux flambants, il marcha vers elle. Affolee, car elle pouvait lire sa mort dans le regard de cet homme, elle chercha desesperement une arme, quelque chose pour se defendre... Sur un coffre, elle apercut une cuvette pleine d'eau sale posee aupres d'une aiguiere. C'etait sa seule chance...
Glissant vivement derriere un haut fauteuil, elle saisit la cuvette et, de toutes ses forces, la jeta a la tete de Gilles. La cuvette d'argent etait lourde. Elle resonna en roulant a terre tandis que l'homme, suffoque par cette douche imprevue, se laissait tomber sur le sol, a demi aveugle. Catherine, alors, ne perdit pas son temps a attendre ses reactions. Elle courut a la porte, tira le verrou et se jeta au-dehors. Dans la galerie, elle se trouva nez a nez avec Poitou.
— Tu avais raison. Il est fou ! souffla-t-elle encore a demi etranglee par la peur qu'elle avait eue.
— Fou non ! Mais bizarre ! Rentrez chez vous, dame Catherine, je vais le calmer. Je sais ce qu'il faut faire. Mais, par Notre Dame, vous avez de la chance. Je n'aurais pas cru que vous en sortiriez vivante !
Ce fut au tour de Catherine de froler la folie dans les mornes heures qui suivirent. Les machoires du piege refermees sur elle lui semblaient monstrueusement terrifiantes : Que pouvaient son courage et sa logique saine contre un etre de la sorte de Gilles ? Elle se heurtait au pire obstacle jamais rencontre, l'anomalie mentale, et elle s'effrayait de cet inconnu sinistre qu'elle venait de decouvrir en Gilles.
Aussi quand, vers le milieu du jour, Anne de Craon franchit le seuil de sa chambre, fut-elle presque soulagee. Tous les habitants de ce chateau maudit lui paraissaient tellement inquietants, vus a travers le prisme de sa peur, que la vieille dame lui sembla extraordinairement normale et sympathique. Pourtant, elle etait, elle aussi, tres inquiete.
— Pourquoi avez-vous fait cela ? Pourquoi etes- vous allee chez Gilles, malheureuse enfant ? Ignoriez- vous donc que nul, pas meme son grand-pere, n'a le droit de franchir, quand il s'y est retire, le seuil de ses appartements ?
— Comment l'aurais-je su ? s'insurgea Catherine. Et comment aurais-je pu deviner que cet homme n'etait qu'a moitie normal ?
— Il n'est pas anormal, ou du moins je ne le crois pas. Seulement, il semble que les heures noires de la nuit dechainent en lui certaines forces mauvaises, incontrolables. Les filles qu'il entraine avec lui ou ses pages ont trop peur pour se plaindre. Il n'est pas bon, voyez-vous, de chercher a connaitre la nature profonde des etres, meme ceux de sa propre famille.
— Mais... sa femme ?
La vieille chatelaine haussa les epaules.
Depuis la naissance de la petite Marie, Gilles n'a plus jamais franchi le seuil de sa chambre. Il passe ses nuits, quand il est au chateau, avec ses habituels compagnons Sille, Briqueville et ce page maudit qu'il couvre de faveurs et de presents. Ma petite-fille et l'enfant sont aussi bien a Pouzauges ou nous les avons envoyees. Mais laissons cela ! Je suis venue vous supplier de paraitre au souper, Gilles l'exige !
— Je n'ai pas a lui obeir ! Je n'irai pas ! Je veux seulement qu'il me rende mes serviteurs. C'etait cela que j'etais allee lui demander ce matin.
— Et vous n'avez reussi qu'a declencher une fureur terrible. Sans mentir, Catherine, vous devez la vie a mon epoux.
Aussi, je vous en conjure, venez au souper. Ne le poussez pas a bout... surtout si vous tenez a la vie de vos serviteurs !
La jeune femme, accablee soudain sous le poids du chagrin, se laissa tomber sur le lit et leva sur la dame de Craon un regard noye de larmes.
— Ne pouvez-vous comprendre la repugnance que j'eprouve, vous qui semblez bonne et clairvoyante ? Je suis retenue ici, contre mon gre, prisonniere pour des crimes illusoires, on me separe de ceux qui me sont fideles et, par-dessus le marche, il me faut faire bon visage a leur bourreau ? N'est-ce pas trop demander ?
Une extraordinaire expression de douceur se repandit sur le visage aigu de la vieille dame. Elle se pencha et, brusquement, embrassa Catherine.
— Ma mie, au cours de mon existence deja longue, j'ai appris que les femmes de ce siecle, et cela quel que soit leur rang, doivent se battre tout au long de leur vie. Et aussi que, plus encore que la guerre, la peste, la mort ou la ruine, c'est l'homme qui est leur pire ennemi ! On se bat avec les armes que l'on possede. Et parfois mieux vaut plier la rage au c?ur que s'opposer a la tempete au risque d'etre brisee. Croyez- moi. Paraissez au diner de ce soir. Et soyez aussi belle que vous pourrez !
Je n'ai aucune envie que messire Gilles s'imagine que je cherche a lui plaire, s'insurgea Catherine. — Il ne s'agit pas de cela. La beaute a un etrange pouvoir sur Gilles. Il a pour elle un tel culte que l'on peut dire, sans crainte d'exagerer, qu'elle l'impressionne. Tout au moins quand il est a jeun ! Je le connais bien. Suivez mon conseil. Je vais vous envoyer des chambrieres.
Quand les trompes du chateau cornerent l'eau et que les valets apporterent dans la grande salle les bassins parfumes ou les convives allaient tremper leurs doigts avant de passer a table, Catherine fit son apparition sur le seuil de la haute porte.
Apparition etait bien le terme qui lui convenait car jamais elle n'avait ete aussi pale... ni peut-etre aussi belle ! D'une beaute a la fois tragique et saisissante ! Le velours pourpre de sa robe cernait ses epaules et sa gorge dont aucun bijou ne venait trancher l'eclat. Le hennin, assorti, laissait trainer jusqu'a terre, derriere elle, le nuage rouge d'un long voile de mousseline. Elle avait l'air d'une flamme, mais, dans son etroit visage immobile, seuls les yeux immenses et la bouche tendre semblaient vivre. Un silence l'accueillit tandis qu'elle s'avancait lentement entre la double haie de valets en livree, comme si un charme avait soudain fige tous les assistants. Gilles de Rais, le premier, secoua le sortilege. Quittant son dais seigneurial, il vint au-devant d'elle a longues enjambees rapides et, sans un mot, lui tendit son poing ferme pour qu'elle y posat sa main. Cote a cote, ils traverserent la salle jusqu'a la table ou avaient deja pris place Jean de Craon, sa femme et les capitaines de la maison. Gilles conduisit Catherine a la place voisine de la sienne propre et, en la saluant, declara brievement :
— Vous etes tres belle, ce soir ! Je vous remercie d'etre venue... et vous prie d'excuser l'incident de ce matin.
— Je n'y songeais deja plus, Monseigneur, murmura Catherine.
Pendant tout le repas, ils n'echangerent pas d'autres paroles. De temps en temps, Catherine sentait, sur elle, le regard de Gilles, mais elle ne levait les yeux de son assiette que pour repondre au vieux Craon qui faisait de visibles efforts pour soutenir une conversation plus que languissante. Elle touchait a peine aux poissons et aux venaisons qui lui etaient servis, mais le seigneur de Rais, lui, ne perdait pas un coup de dents et devorait avec un appetit de loup, engloutissant tranches de pate, poulets entiers et cuissot de chevreuil. Il faisait glisser le tout avec de larges rasades d'un vin d'Anjou dont l'echanson, debout derriere lui, emplissait continuellement sa coupe. Peu a peu, le vin faisait son effet et son visage s'empourprait. Comme on apportait les bassins de confitures, il se tourna brusquement vers Catherine.
— Poitou m'a dit que vous desiriez me parler ce matin. Que vouliez-vous ?
A son tour, la jeune femme se detourna legerement pour lui faire face. Le moment etait venu et elle toussota afin de s'eclaircir la gorge. Mais elle planta son regard bien droit dans les yeux sombres de Gilles.